
rnoumt le 5 janvier 1387. Dès la-veille J reine
.Sybille, coupable de tant d’excès envers le nouveau
fouverain , avoit pris la fuite, & s’étoit réfugiée dans
1- château de.Fortia., chez fon frère.: elle y fut affiégée,
forcée de fe rendre & conduite au roi Jean I , qui
la traita avec une rigueur qui ne lui étoit pas naturelle,
am iis que Sybille n’avoit que trop méritée. A la folli-
citation du pape , la vie lui fut c.onfervée ; mais elle
fut dépouillée de tous' les domaines & de tous les
revenus qu’elle tenoit de don Pedre , & que le roi
'Jean I donna fur le champ à dona Violante fon époufe,
& laquelle il avoit été marié quelque temps avant la
mort de don Pedre, L’Aragon étoit tranquille, & le
nouveau fouverain prit les raeliires les plus fages pour
maintenir ce calme & prévenir tout ce qui eût pu le
troubler, foit au - dehors , foit au-dedans. Le duc de
Lancaftre lui envoya l’archevêque de Bordeaux, pour
réclamer quelques payements auxquels i’Aragon étoit
.obligé, en vertu d’un traité fait avec l’Angleterre,
fous M règne précédent : mais l’archevêque de Bordeaux
fe plaignit avec tant de hauteur & parla .avec
tant d’infolence, que, malgré tome fa douceur, Jean 1
11e pouvant retenir fon indignation, fit arrêter 1 audacieux
prélat. Le duc de Lancaftre fut très - irrité de
.cet emprisonnement, qu’il regardoit d’abord .comme
un attentat; mais informé de .la licence de l’archevêque,
Il fe radoucit, & cette affaire meut aucune fuite. Par
les confèils de^fon époufe , Jean 1 fe rangea fous
l’obédience de Clément VII , qui réfidoit à Avignon,
& lui fit faire hommage pour-la Sardaigne, ou don
.Simon Perez d’Azenos gouvemoit avec beaucoup de,
fageffe en qualité de vice-roi. Jean n’avoit qu’un foui
objet d’ambition ., & cet objet étoit de plaire à la
reine Violante fon .époufe qui, aimant beaucoup les
plaifirs, & for-tout la mufique & la poëfie, engagea
fon époux à faire venir des maîtres en ce genre, & 3
en établir une école. Cette inftitution déplut beaucoup
jà la nobleffe, & les foigiieurs qui ne çonnoiffoient
d’autre plaifir que .celui de .combattre & de maltraiter
leurs vaffaux , fe plaignirent hautement. Les- prélats
hypocrites., ignorants $£. défopprobateurs , pensèrent
«St agirent .comme la nobleffe ; enforte que pour fatifo
faire, les mécontents, Jean Çz la reine fon époufe
renoncèrent à ,ees amufoments _, & renvoyèrent les
muficiens & les po.ëtes qu’ils avoient attirés dans l’état.
On applaudit beaucoup à ce façrifice , & la tranquillité
du rçgne de ce prince ne fut troublée que par
le corqte d’Armagnaç, qui, prétendant avoir des droits
fur le royaume de Majorque, y fit une irruption, 8t
ne fut point heureux, Le frère du roi , lè duc de
Montblanç , .dont le fils don Martin d’Elferiea avoit
.époufé dona Marie, reine de Sicile , fit une expédition
aufli glorieufe qû’heureufe en Sicile, $z tous ceux qui
^voient pris les armes contre P Aragon Turent punis fé- :
vèrc-ment. De nouveaux troubles s’élévèrent en Sar-
daigne, & Jean réfolut d’y paffer ; mais les Maures ;
menaçant de faire Une irruption dans le royaume de J
Valence , il ne put exécuter ce projet ; il fe contenta ]
d’y envoyer des troupes. Quelque temps après lë
déport de .ce fepours, Jean pujriîi fes ^eùx filles, les
/ înlantes 3ona Yolande & dona Jeanne ; la première'
au duc d’Anjou, la fécondé à Matthieu, comte de
-Foix. Il eut foin aufli de fixer les limites qui féparoient
1 Aragon de la Navarre , & les fuites prouvèrent la fk-
geffe & la grande utilité de cette précaution. Libre
des foins qui l’avoient occupé jufqu’âlors , Jean fe difo
pofa à paffer en Sardaigne, oà les troubles Setoient
accrus, & ou fon frère, fon neveu .& fa nièce étoient
affieges dans Catane par les mécontents : mais les
fonds lui manquant, il eût été obligé de différer, encore
fon expédition, fi don Bernard de Cabrera,
engageantgénereufement fes biens, n’eût fourni à toutes
les depenfes & hâté les feepurs avec lefquels le roi ÔC
la reine de Sicile furent délivrés du danger qui les
menaçoit. Toujours fondé fur fes prétentions, 1? comte
d’Armagnac ne ceffoit point fes hoftilités, 8z faifou fes
plus vives incurfions èn Catalogne. La Sardaigne agitée
demandoit du fecours ; la Sicile étoit toujours expofée
aux fureurs de la guerre ; la reine Violante gouvernoij:
fous le nom de fon époux , &c celui-ci plus empreffê
de jouir des plaifirs qu’il pouroit prendre, qu atnb-i-
tieux de regner, écoutoit les remontrances des états
&. leur repondoit de la manière la plus honnête & la
plus fatisfaifante ; eftimoit, protégeoit, avançoit ceux
qui lui partaient avec le plus de force & de vérité
des devoirs & des fondions de la royauté ; ne vouloit
mécontenter perfonne, mais aufli ne vouloit fe priver
d aucun de fes plaifirs ; celui qui avoit pour lui le plus
dattraits , étoit la chaffe , &. il lui fut fatal ; un jour
qu’il s’y livroit avec ardeur , il tomba de cheval, &
fa chyte fut fi cruelle, qu’il en mourut le. 19 mai 1393 ,
dans la neuvième année, de fon règne & la quarante-
cinquieme de fon âge. Les éditeurs du Diêtionnaire de
Morerl difent, for la foi d’un hifîorien , Imhoff, que
perfonne ne eonfolte, & d’un autre hiftorien, Zurita,
que perfonne ne croit , que la foibleffe de Jean I le
rendit meprifeble a fes fojets , que les premières
années de fon régne furent remplies de féditions & de
troubles. Çes deux affertioijs font deux erreurs : il.n’efl
pas vrai que les premières années du règne de ce
prinçe aient été troublées par aucune fedition , par
aucun fouièvenjent ; & Jean , fi l’on en excepte les
adhérents & les complices de la reine Sybille ,. n’eut
ni rebelles a pourfoivre , ni traîtres à punir. Il eft plus
faux encore que Jean 1 fe foit rendu méprifable à fes
fojets ; ils l’aimèrent , le chérirent & fermèrent les
yeux for fon extrême confiance pour Violante fon
époufe. Quand on' veut juger les rois d’Efpagne , je
penfe que ce n’eft ni d’aprçs Imhoff, ni d’après Zurita
quil faut fe décider ; je ne voudrpis pas même toujours
prononcer d’après Mariana, (Z. C. )
Jean IJ, roi d’Aragon, ( Hijloîre d’Efpagne. )
Suppofez a un roi les vertus les plus éminentes, les
plus brillantes qualités, tous les talens de Tefprit*
Famé la plus belle, le coeur le plus magnanime ; fop*
pofëz-le équitable , courageux^, libéral, magnifique
plein de valeur dans les combats, doux „ bienfaifànt,
aimable dans la fociété. Avec toutes çe.s grandes ÔÇ
rares qualités, ne lui foppofez qu’un défaut, une fo&
bUfie, un penchant irréfiflible pour les femmes, §£
|-op drattachement à celles pour lefquelles ils s’eff une
fois déclaré ; dès-lors ce roi , modèle de toutes les
perfeélions humaines, court grand rifque de ne plus être
qu’un prince malheureux , fi même il eft poffible qu’il
ne devienne pas un médiocre- ou méchant ro i, in-
ÿiffe, efféminé, avare , dur , fombre ôl inacceflible.
Ain fi le plus petit nuage peut obfcurcir lè foleil le plus
radieux. En effet, il en bien difficile qu’un ro iq u e l-
qu’éclairé qu’il foit , ait la force de refifter ou de re-
jetter.perpetuellemnnt les eonfeils imprudens ou inté-
refles d’une maîtreffe qui l’enchaîne, qui règne for
fes fens êz fon ame avec plus d’empire qu’il' ne régné
lui-même; for fes peuples- Il me paroît bien mal-aife
de fe défendre perpétuellement-,: 6z toujours avec fucces,
des infpirations- d’une maîtreffe idolâtrée.Ils font donnés
avec tant d’àrt ces dangereux eonfeils i ils font donnes
êz répétés- dans des momens fi doux, fi enchanteurs;.
F amante qui les donne paroît fi défintéreflee, animée
de tant de bonne foi, infpirée elle-même par dé fi bons
motifs,- qu’on croiroitfe manquer à foi-même, de ne
pas les foivre ; & s’ils font écoutés & foivis que devient
ce roi fage, courageux, bienfaiiant, libéral, jufte,
doux ? Que deviendra l’état lui-même ? A quelle caufe
le fouvèrain trop crédule & trop confiant attribuera-t-il
les revere- qu’il éprouvera ?• Et à- quelle autre caufe
qu’à fon- aveugle comp'aifance pour là reine Jeanne',
êz pour fes maîtreffes qui le trompoientJean I I put-il
rapporter les malheurs de fon régné, les troubles qui
agitèrent fes. états,-les difgraces qu’il éprouva-lui-même^,
les injufiiees qu’il fit, quoiqu’il fut par caraélere &. par
principe le plus jufte des hommes ?. Il étoit courageux,
& en; plus- d’une, occafion. il fut fur pris lui-même de
manquer de fermeté:: il aimoit à verfer des bienfaits ,
lans. lè vouloir , il refufa plus d’ùnefois de. récom-
penfer des fer vices :. il étoit gai, &, il tomba fouvent
dans la mélancolie. I l foivit trop les eonfeils de fes maîtreffes
; il écouta fes favoris; & fut trop facile à prendre
lès impeeffions qu’ils lui donnèrent. Sans ces foibleffes ,-
qui. eurent des mites fâcheufes, il eût été un bon roi,
& digne à-tous égards de l’eftime , du refpeâ & de
l’amour de fes fojets. Fils de Ferdinand , infant de Caf-
tille, roi dAragon & de dona Léonore d’Albuquerque,
il- étoit fort jeune encore, lorfque fon père l’ayant profits
en mariage à-Jeanne, reine dé Naples, & ayant
»même figné- le contrat1, lè' fit paffer en Sicile : mais
Jeanne impatiente d’attendre avoit époufé Jacques de
Bourbon*, comte de. la- Marche1,- lorfque l’infant- don
Juan arrivai en Sicile. Mécontens de cette alliance ,-les-
Napolitains offrirent à Ferdinand de prendre les armes'
en faveur; de fon fils ; mais ce roi fage leur fit répondre
qu’il avoit: affez. dè couronnes, & que fon fils, étoit
trop heureux d’avoir manqué d’époufer une reine auffi
inconftànte.L’infant, auffi peu fenfible que fon père,-
a. là, légéreté: de Jeanne, refta en Sicile jufques après
la.mort de Ferdinand: mais Alphonfè V , fon frère,.,
roi d’Aragon,, le rapfella, dans la crainte que les-
Siciliens,. nation wrbulente 61 avide de résolutions,
ne voulùffent le mettre fur ie trône. Jeaw revînt à la s
cour de /6n ?rere & peu de teiiips'après:* en 1419, j
fi-éooufà cîoiu Bianche^ r ç ^ .deuairierç. ds Sicile,
héritière du royaume de Navarre. Elle ne tarda que-
peu d’années a jouir de fes droits, & don Carlos le noble
étant mort, Jean monta fur- le trône de Navarre , oîi if
fe fit aimer de fes fujets ,. autant qne les puiffances étrangères
l’eftimerent pour fa juftice & le craignirent pour
la- valeur.- Le premier aae de royauté qu’il exerça ?
fut de fe rendre médiateur entre le roi d’Aragon , fon-.
frere, & celui de Caftille,,, prêts à fe faire Une cruelle
guerre.-Dans la fuite , & lorfque par fes foins il f«t
parvenu à rendre fes états floriffans-, il accompagna la
roi Alphonfè V ,- fon frère, dans l’entreprilè de la
conquête du royaume de Naples,, où il fe fignala- par'
fa valeur autant que par- la prudence &- l’utilité des-
eonfeils qu’il donna,- & qui furent foivis;. Ce fut- encor®
lui qui, toujours- rempli de zèle pour- les. intérêts du-:
conquérant, vint de Naples en Efpagne, annoncer aui
états d’Aragon affemblés ,-les foccès éclatans desaffnes
de leur fouverain. D ’Aragon il paffa en Caftille ,■ oir
d’importantes affaires le retinrent. Ce fut pendant les-
troublés qui agitèrent ce royaume , &. auxquels le roi-1
de Navarrè prit peut-être trop de part, contre les avis-
d’Alphonfe,. que mourut la reine blanche, fon époufe,,
dont il avoit eu trois enfans don Carlos,- prince de
Vianet' Blanche, qui fut" mariée à Henri I V , roi da
Caftille , & qui en fut féparée à caufe de l’impniffance
de fon époux ; & Eléonore, qui dans là fuite fut ap~
pellée au trône de Navarre. La mort de la reine-
Blanche fut une fource de malheurs pour fes enfants ,,
&• de chagrin pour Jean', qui ayant époufé en fe-;
condes nôces , Jeanne Henriquez ,. fille de l’amirante'
de Caftille, & ne fe conduifant plus que d’après les
foggeftions de cette femme ambitieufe, méchante &
cruelle marâtre ,- écouta fes odieufes dénonciations ; &
d’après fes calomnies , traita don Carlos,. fon fils, avec
tant de rigueur,. que les Navarrois fèulevés prirent les
armes r & voulurent lé forcer à- remettre îe feeptre-
à don Carlos ,- qui avoit r à la vérité ,- les droits les-
plus inconteftables à la couronne dit chef de fà mère
& en qualité; de petit-fils de Charles III y fornommé*
le noble. Jean ,. toujours animé par fa perfide époufe
en u fa plus févèrement encore ; ôc le prince de Viane 5-
violemment petfécuté ,- prit lès armes, moins dans Jat-
vue de détrôner,.fbn père, qu?il ne ceffa jamais dêJ
refpeifter , que pour fe fouftraire aux foreurs de fon »
implacable marâtre. La Navarre étoit divifée entre-
le père & lè fils ; . chacun d’eux étoit à la tête d’une-
arrnéé nombreufe,- impatiente de combattre î laguerre-
civile éclata , déchira le royaume , dura long-temps ,',
fot malheureufè pour don Carlos r qui tomba au pou--
voir de fon père , & fot,- à l’inftigation de l’infléxibla'
Jeanne ,-enfermé dans une obfeure prifon1, d’ofi, après-
avoir langui pendant quelques années-,- il fe retira &
Naplès , dans l’èfpérance- de; trouver auprès- d’Al--
phonfe V ,- fon oncle , ; un repos -qu’il eût en vaia^
cherché à la cour dè fon pèire. Alphonfè V ‘ , touché-’
des malheurs dé fon neveu ,, agit fi puiffamment 6c~
avec tant de zèle qu’il parvint à-calmer le reftentiment"
, dé Jean , vqur rappeîlà le' prince de Viane ; ' mais îat
reine- Jeanne., , qui avoit1 depuis-long—temps jnréria?
I>ertç de-, doa - Carlos, , dans! I4- vue . de- faire- saonîeÆ