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dant, 8c fes voeux ne furent pas vains : la prudence 8c
la fortune applanirent tous les obftacles ;fon adrefie fut
même telle, qu’il parut être forcément porté fur le trône,
& non fe frayer lui - même la route qui devoit l’y
conduire. Pénétré , en apparence , de -refpeél pour
les dernières' volontés du roi Ferdinand , le grand-
maître , auffi-tit que-ce fouverain fut mort, invita
le roi de Caftille à venir prendre le fceptre , 8c lui
demanda la régence du royaume jufqu’à ce que dona
Béatrix eût accouché d’un prince. Le roi Jean refufa
imprudemment, 8c, dit-on, avec mépris, la demande
du grand-maître, qui, dès ce moment, fe croyant
dégagé envers cet impérieux fouverain , parut craindre
pour fa propre fureté , dans la vue de connoître
rattachement de fes partifans, Sc feignit d’être alarmé ,
lorfque fur la demande des ambafïadeurs du roi de
Caftille, Ion époufe , dona Béatrix fut tumultuaire-
ment proclamée à Lisbonne , reine de Portugal. Cependant
il s’en falloir bien que cette proclamation eût
eu l’aveu de tous les citoyens , des grands les plus
diftingués fur-tout, ennemis déclarés de la réunion
des deux couronnes; & perfeadés que fi elle avoit
Keu, bientôt le Portugal ne fèroit plus qu’une province
Caftillane. Le chancelier étoit à la tête de cette
publiante faéfion ;. iis fe réunirent tous au grand-
maître , en qui feuls ils fondoient leurs efpérances ;
mais leur plus grande crainte étoit de voir tous leurs
projets déconcertés par la docilité de la reine Léonore
aux confeils d’Andeiro fbn amant, qui , étant Caf-
tillan, travailleroit de toute la puifïance en faveur de
l’époux de dona Béatrix. Le grand-maître leur promit
de prévenir tous les efforts d’Andeiro r 8c en effet, il
alfe au palais , fit ligne à Andeiro q»il avoit à lui
parler , l’attira dans une falle voifine de l’appartement
de la reine ; & là , fans lui dire un mot, il tira un
poignard, le lui plongea dans le fein , 8c laifFant aux
grands qui le foivoient , fe foin d’achever de mettre
à mort la viéfime, il fît fermer les portes du palais ,
après avoir fait fortir un de fes pages & le chancelier,
qui allèrent répandre & crier par la ville que le
grand-maître étoit dans le plus grand danger, 8c que
peut - être en ce moment on le poignardoit au palais.
A ces cris, les habitants de Lisbonne prirent les armes,
coururent furieux au palais , enfoncèrent les portes,
montèrent à la tour ©ù s’étoit réfugié don Martin,
évêque de Lisbonne, dont tout le crime étoit d’être
Caft'Jlan , & le précipitèrent du- haut en bas. Le
grand-maître jugeant par ces excès de ce qu’il avoit à
attendre du zèle des Portugais, fe montra 8c permit
au peuple de le défendre contre un péril qu’il navoit
point couru. Il alla enfuite juftifier auprès de Léonore ,
fe rigueur envers Andeiro , & s’efforça d'en démontrer
la c-éceffité. La reine lecouta avec une froide
& fifencieufe indignation, 8c lui detmnda feulement
de lui permettre de fbrtir de Lisbonne. Il y confentit,
& e lletè retira à Alanguer. Alors le grand - maître
rafiembla les principaux d’entre fes partifens., parut
inquiet & très-chagrin d’avoir renoncé , pour la tranquillité
publique, à fà propre tranquillité, affeâa la
plus grande incertitude fur le parti qui lui refont à
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prendre, laiffant même entrevoir qu’il préféreroit de
bon coeur celui de la retraite. Le vieux chancelier
don Alvare Paez combattit de toutes fes forces cette
réfolution, 8c foutint que dans la fituation aâuelle fe
grand-maître ayant pour lui ,1e peuple, devoit tout
entreprendre 8c tout ofer pour la fûreté de la nation
& pour la fienne. Le grand - maître affeâant de fe
faire à lui-même la plus grande violence, promit de
fe facrifier au bien général ; & tandis qu’il jouoit cette
feène, le peuple 8c la rtobleffe affemblés par les foins
de fes adhérants, le proclamèrent prote&eur de la na*
non 8c régent du royaume , firent ferment de ne
1 abandonner jamais, & .quelques moments après vin^
rent en foule le conjurer de nerien négliger pour la
défenfs des Portugais. Cependant le roi de Caftille,
à la tête d’une armée confidérable > entra dans fe
royaume, dont il s’étoit flatté de foire aifément fe
conquête, 8c pénétra jufqua Santaren, où il fit fon en»
trée publique avec la reine dona Béatrix, fon époufe,
& fe fit proclamer roi de Portugal. Mais bientôt fes
hauteurs mécontentèrent le petit nombre de feigneurs
qui s’étoient attachés à lui. Peu occupé de leur manière
de penfer à fon é g a r d & toujours perfùadé que le
royaume alloit tomber ions fà puiffance, il ne fon*
geoit qu’à hâter fes préparatifs , & joindre à fon
armée affez de troupes pour former le fiège de Life
bonne. Mais il connoiffoit peu. le rirai redoutable
qu’il avoit à combattre , les reffources , la valeur 8c
l’habileté du régent, qui, par fbn affabilité , fes bienfaits
répandus à propos , groffiffoit fbn parti , ne
cherchant , en apparence, qu a défendre les intérêts
& fautenir les droits de Finfont don Juan , prifbnnier
en Caftille. L’armée du régent étoit 4 éjà prefqu’affez
forte pour lutter contre celle du roi don Juan, qui
forma vainement le fiége de Lisbonne *que leproteéleur
l’obligea de lever. Les Portugais éteient pourtant eu*
mêmes dans une- violente fituation ; 8c les moiffons
ravagées par les Caflillans , les expofoient aux horreurs
. de la famine qui eommençoit déjà fe faire fentir :
mais ce fléau fut détourné par les foins aéfifs du,régent,
qui lui-même, fuivi d’une foule de jeunes gens, allait
de village en. village apporter du fecours aux hahi-
tàns , & foiioit amaffer à Lisbonne d’abondantes pro-
viflons. Le roi de Caftille reconnut- alors combien
il lui ferait difficile, d’abattre la puiffance du proteâeur;
& défefpérant de le vaincre ou de fe l’attacheril eut
la baffeüe de recourir, pour s’ en défaire , à la plus
odieufe des voies. ; il corrompit lé comte de Tranfta-
mare , qu’il engagea àjaire aflaffiner le régent; mais
ce complot aviliffant pour fon. auteur fut découvert,
& le régent n’en devenant que plus cher à la nation,
les états s’affemblerent à Conimbre pour y. délibérer
en quelles mains on remettroit le fceptre ; plufkurs
croyant même faire leur cour au régent, paroifToient
défirer que ce fut dans celles de l’infant don Juan; le
chancelier prouva que le trône étant vacant, 8c les
Portugais étant les maîtres, de fe choifir un ro i, per-
fbnne ne méritoit plus, fer-tout dans les çirconfiances
préfentes , d’être chargé du poids de la couronne que
le grand maître d’Avis q ui, pendant fe régence,
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avoit fait de fi grandes chofes pour la nation & contre
les efforts des Caftillans. Le connétable balança les droits
desprétendans aù trône, & fans fe décider pour atcun
d’entr’eux, il conclut que, fans perdre de temps j il
étoit de la dernière importance que les états nommaf-
ferit un fouverain. L-’afemblée alloit procéder à cette
éleélion, lorfque le régent prenant la parole d’un ton
tranquille 8c modefte, fit le tableau de la fituation ©ù
le royaume fe trouvoit, expofa avec beaucoup de
force les fatigues, les foins 8c les dangers auxquels fa
régence l’avoit expofé ; ajouta que n’ayant aucun
droit, aucune prétention à la couronne que d’ailleurs
il étoit très-éloigné d’ambitionner, il étoit, par cela
même, d’autant plus impartial dans le jugement qu’il
portoit fur les deux prétendans, que le roi de Caftille
êc fbn époufe aVoient perdu leurs droits en entrant a
main armée en Portugal, & que cette démarche
devoit donner- aux citoyens les plus vives 8c les^ plus
jufles appréhenfions d’avoir à obéir à de tels maîtres ;
qu’à l’égard de don Juan , il étoit prifonnier, & qu’il
n’y avoit pas .d’apparence, fi on le nommoit, que le
roi de Cafiille lui permît de venir régner; que du
relie fi ce prince réimiffoit les fuffrages, il ferait le
premier à le reconnoître & à lui prêter ferment; que
pour lui il ne fe fentoit point toutes les qualités qu’exi-
geoit l’exercice des fonctions de la royauté , mais qu’il
feroit toujours prêt, en zélé citoyen. à nfquer fes biens
8c fa vie pour chaffer les ennemis, les combattre,
défendre la liberté de la nation , & demeurer fidèle à
celui qui feroit déclaré fon légitime maître. Soit que
î’affemblée comprît à quoi tendoit ce difeours adroit,
fbit qu’elle fût féduite par la faillie modeflie du régent,
la délibération fut courte, 8c il fut unanimement élu
& déclaré roi de Portugal. L’interregné finit, & le
grand-maître fut couronne fous le nom de Jean I. Son
ambition étoit fàtisfaite , 8c cependant il ne parut recevoir
lefeeptre qu’avec peine. Sa conduite fur le trône fut
la même que celle qui l’avoit diftingué pendant la régence,
toujours affable, acçeflible, prêt à obliger, 8c fur-tout à
fervir l’état, les portugais lui eurent obligation encore
des vues ambitieufes qui Favoient fait parvenir a la
royauté. Informé de cette éleélion, le roi de Caftille
furieux , entra en Portugal, dévafta, autant qu’il fut en
lui, tous les lieux par où il paffa, tant il étoit animé du
défir de ruiner 8c de détruire ce royaume. Moins entraîné
par la colère, le nouveau fouverain affeéla au
contraire beaucoup d’incertitude fer le fuccès, fe fît
prier, par fon armée, dont il ne cherchok qu a irriter
la valeur, de la conduire à l’ennemi. Lorfque Jean I
la vit animée du défit véhément de combattre | il prit
un ton plus afliiré, la conduifit à l’ennemi, dont les
forces étoient fi fupérieures , que, fuivant la plupart
des hiftoriens, les Portugais n’étoient qu’au nombre
de fix mille fix cens contre trente mille combattans.
Bientôt les deux armées fe rencontrèrent, & fans faire
attention à. l’inégalité y les Portugais attaquèrent avec
tant de valeur ks Caftillans, que ceux-ci ne pouvant
fbutenir Fimpétuofité du choc, s’abandonnèrent à la
fuite 8c furent mis en. déroute, laiffant plus de dix
mille morts fer, je. champ de bataille. Le roi de Caftille
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lui-même fe feuva précipitamment fer une mule, & ne
s’arrêta que la nuit fuivante à Santaren, à plus de trente
milles de la plaine d’Aljubarote, où ce combat s’étoit
donné. Jean I profita de fa viéîoire en général Habile ï
il s’empara fecceifivement de toutes les places dont les
ennemis s’étoient rendus maîtres dans le royaume j
8c ce ne fut qu’après qu’il eut eu feul la gloire de
délivrer fes états, que le duc de Lancaftre, Ion allié a
étant arrivé à la Corogne avec dona Confiance, fbn
époufe , 8c fes'filles, Jean I alla l’ÿ trouver, 8c peu
de jours après arrêta fon mariage avec l’aînée de ces
princeffes, qu’il époufa bientôt après à Lisbonne. Ligué
avec le duc de Lancaftre qui prenoit le titre de roi
de Cafiille du chef de fon époufe, il alla foire une
irruption en Caftille, où il eut peu d’avantage. Plus
heureux l’année fuivante , il fit feul avec l’aimée Por-
tugaife une feçonde irruption dans le même royaume ,
s’empara de plusieurs forts , 8c-fe rendit maître de la
ville de Tuy en Galice. Don Juan , roi de Caftille ,
fatigué d’une guerre qui ne lui avoit caufé que des
pertes 8c de i’inqihétude, 8c craignant de plus grands
revers, fit propofer une trè'/e à Jean / , qui y confentit
d’autant plus, volontiers , qu’il attendait avec
impatience que des temps plus tranquilles lui permirent
de rendre fes états floriffans. Le roi de Caftille
mourut, 8c la longue minorité de fon fucceffeur perpétuant
les troubles dans ce royaume, la tiève avec
le Portugal fut prolongée pour quinze ans. Afin de
parvenir au rang qu’il occupoit; le roi , pour s’attacher
les grands , avoit verfé fur eux drs bienfaits
qui Favoient épuifé. Ces libéralités déplurent au chancelier
, qui remontra à fon maître qu’il s’étoit réduit
à un tel état , que s’il lui fervenoit encore quelques
enfens , il feroit dans l’impoffibilité de leur former des
apanages; que le feul moyen de remédier à cette
prodigalité , étoit de révoquer les donations qu’il avoit
faites en dédommageant ceux qui tenoient de lui de
fi vaftes poffefiions. Jean fe rendit à ces. repréfenta-
tioûs , 8c fe conduifit d’après ce confeil : le connétabie
Alvarès de Péreyra, auquel le roi étoit en partie redevable
dé la couronne, 8c qui étoit l’un de ces plus
riches donataires , fe croyant léfé par cette révocation
, fe plaignit amèrement, fe retira dans fes terres y
8c parut déterminé à fbrtir du royaume. Jean I , qui
avoir la plus vive reconnoifîance 8c la plus tendre
amitié pour ce feigneur, fut très-affligé.du parti
qu’il fembloit vouloir prendre, lui envoya phmeurs
perfbnnes pour l’en diffuader , 8c ne pouvant rien
gagner , lui ordonna de venir à la cour ; l’ayant
fait entrer dans fon cabinet , il lui expliqua avec tant
de franchife les raifons de fa conduite , Lui parla avec
tant d’intérêt du projet qu’il avoit formé de marier
Alphonfe , fon fils naturel, ' avec la fille du connétable
, que celui-ci entrant avec chaleur dans les
vues de fon maître , 8c voyant quer la révocation
des donations ne venoit d’aucun motif de réfroi-
difïêment , redoubla de zèle pour les intérêts de Jean ,.
8c dit qu’il étoit prêt, non- feulement à rendre tous
les biens qu’il avoit reçus en don , mais encore à. fà-
crifier tous ceux qu’il tenoit de fes pères. Cependant