
dans fon intégrité lui épargne l’embarras de rendre
des comptes détaillés de fon adminiftration ; mais
fa femme n’a parmi les autres perfonnes de fon fexe
que le dernier emploi de-' la maifon , tandis que
lepoufe de celui des conforts qui a le dernier emploi
parmi les hommes , a le premier rang parmi les
femmes, avec toutes les fonctions & le titre de mai-
treffe. C tft elle qui veille à la boulangerie , à la
cuiline , &c. qui fait faire les toiles , les étoffes &
les habits , & qui les diftribue à tous les conforts.
Les hommes , à l’exception du maître , qui a toujours
quelque affaire en ville , s’occupent tous egalement
aux travaux ordinaires. Il y en a cependant
qui font particulièrement chargés, l’un du foin des
beftiaux & du labourage ; d’autres de la culture des
viones ou des prés , & de l’entretien des futailles.
Les enfans font fbigneufement élevés , une femme
de la maifon les conduit à l’école , au catechifme ,
à la méfié de paroiffe, &. les ramené. Du refte,
chacun des conforts reçoit tous les huit jours une
légère diftribution d’argent dont il difpofe à fon gte,
pour fes amufemens ou fes menus plaifirs.
Ces laboureurs fortunés font réglés dans leurs
moeurs, vivent fort à l’aifë & font fur-tout fort charitables
; ils le font meme au point qu’on leur fait
un reproche de ce qu’ils logent & donnent à fouper à
tous les mendians qui s’écartent dans la campagne,
& qui par cette facilité s’entretiennent dans une
feinéantife habituelle , & font métier d’être gueux
& vagabonds ; ce qui eft un apprentiflage de vols &
de mille autres défordres. „
Sur le modèle de ces communautés, ne pourroifr-
on pas en former d’autres , pour employer utilement
tant de fujets embarraffés, qui foute de conduite &
de talens , & conféquemment faute de travail &
d’emploi, ne font jamais aufli occupés ni aufli heureux
qu’ils pourroierft l’être , & qui par-là fouvent
deviennent à charge au public & à eux-mêmes ?
On n’a guère vu jufqu’ici quç des célibataires , des
«ccléfiaffiques & des religieux qui fe foient procuré
les ayantages des aflociations ; il ne s’én trouve
prefque aucune en faveur des gens mariés. Çeiixr
ci néanmoins , obligés de pourvoir à l’entretien de
leur famille > auraient plus befoin que les célibataires,
des fecours que fourniflent toutes les fociétés.
Ces confidérations ont fait imaginer une affectation
de bons citoyens ,. lefquels unis entr eux par
les liens de l’honneur §c de la religion, puflent les
mettre à couvert des follicitudes 6c des chagrins
que le défaut de talens & d’emploi rend prefque inévitables
; affociation de gens laborieux , qui, (ans renoncer
au mariage, puffent remplir tous les devoirs
du chriftianifme , & travailler de concert à diminuer
leurs peines &àfe procurer les douceurs de la vie, éta-
bliffement, comme l'on voit, trè&défirable, Si qui ne
paraît pas impoffjble ; on en jugera parle projet fuivant,
i°. Les nouveaux affociés ne feront jamais lies
par des voeux , & ils auront toujours une entière
liberté de vivre dans le mariage ou dans le célibat,
£ns ê#g affujettis à auçunj obtervançe pionaftique;
mais fur-tout ils ne feront point retenus malgré eux.»
& ils pourront toujours fe retirer dès qu’ils le juge^
ront expédient pour le bien de leurs affaires. En un
mot , cette fociété fera véritablement une communauté
féculière & libre dont tous les membres exerceront
différentes profertïons , arts ou métiers , fous
la dire&ion d’un chef & de fon confeil ; & par con-
féquent ils ne différeront point des autres laïcs , fi
ce n’eft par une conduite plus réglée par un grand
amour du bien public ; du refte, on s’en tiendra pour
les pratiques de religion à ce que l'églife preferit à
tous les fidèles.
2°. Les nouveaux affociés s’appliqueront constamment
& par état, à toutes fortes d’exercices &
de travaux, fur les Sciences & fur lés arts ; en quoi
ils préféreront toujours le nécefTaire & le commode
à ce qui n’éft que de pur agrément ou de pure curio-
fité. Dans les Sciences , par exemple , on cultivera
toutes les parties de la Médecine & de la Phyfique
utile ; dans les métiers , on s’attachera fpécialement
aux arts les plus vulgaires & même au labourage ,
fi l’on s’établit à la campagne ; d’ailleurs , on n’exigera
pas un fou des portulans, dès qu’ils pourront contribuer
de quelque manière au bien de la communauté.
On apprendra des métiers à ceux qui n’en fauront
point encore ; & en un mot, on tâchera de mettre
en oeuvre les fujets les plus ineptes , pourvu qu’on
leur trouve un cara&ère fociable , & fur-tout l’efprit
de modération joint à l’amour du travail.
2°. On arrangera les affaires d’intérêt, de manière
que les affociés , en travaillant pour la maifon, puif-
fent travailler aufli potur eux-mêmes ; je veux dire ,
que chaque affocié -aura , par exemple, un tiers , un
quart , un cinquième ou .telle autre quotité de ce
que fes travaux pourront produire , toute dépenfe
prélevée ; c’eft pourquoi on évaluera tous les mois
les exercices ou les ouvrages de tous les fujets, & on
leur en payera fur le champ la quotité convenue ,
ce qui fera une efpèce d’appointement ou de pécule
que chacun pourra augmenter à proportion de fon
travail & de fes talens.
L’un des grands ufages du pécule , c’eft que chacun
fe fournira fur ce fonds le v in , le tabac & les
autres befoins arbitraires, fi ce n’eft en certains jours
de réjouiffance vqui feront plus ou moins fréquens,
& dans lefquels la communauté fera tous, les frais
d’un repas honnête ; au furplus , comme le vin , le
café , le tabac , font plus que doubler la dépenfe
du nécefTaire, & que, dans une communauté qui aura
des femmes, des enfans, des fujets. ineptes à fou-
tenir , la parcimonie devient abfolument indifpen-
fable ; on exhortera les membres en général &
en particulier , à méprifer toutes pes vaines délica-
teffes qui abforbent l’aifance des familles , & pour
les y engager plus puiffamment, on donnera une
récompenfe annuelle à ceux qui auront le courage de
de s’en abftenir,
4°. Ceux qui voudront quitter l’afTociation, emporteront
non-feulement leur pécule , mais encore
l’argent qu’ils apront mis en fo piété, avec les inté*
tête
rets ufités dans le commerce. A l’égard des mou-
rans , la maifon en héritera toujours ; de forte qu a
la- mort d un affccie, tout ce qui fe_ trouvera lui appartenir
da s la communauté, fans en excepter fon
pécule ,• tout cela, dis-je , fera pour lors acquis à
la congrégation , mais tout ce c.u’ii poffédera au
dehors appartiendra de droit à fes héritiers.
5°* Tous les affociés, dès quMs auront fait leur noviciat,
feront regardés comme membres de la maifon
, 6c chacun fera toujours fûr d’y demeurer en
Cette quaiiré , tant qu’il ne fera pas de faute confi-
dérable Ôt notoire contre la religion , la prebité ,
les bonnes moeurs. Mais dans ce cas, le confeil af-
femb'e aura droit d’exclure un fujet vicieux , fîrp-
pofé qu il ait contre lui au moins les trois quarts des
voix ; bien entendu qu’on lui rendra pour lors- tout
ce qui pourra lui appartenir dans la maifon , fuivant
les difpofi.ions marquées ci-deflus.
6°. L- s enfans des affociés feront élevés en commun
, ô£ fuivant les vues d’une éducation chrétienne ;
je veux dire, qu'on les accoutumera de bonne heure
a la frugalité , à méprifer le plaifir préfent , lorf-
qu’il entraîne de grands maux & de grands déplairtrs;
mais fur - tout on les élevera dans l’efprit de fraternité,
d’urnon , de concorde , & dans la pratique hab'tueüe
d' S aits & des feiençes les plus utiles , le tout avec
les précautions., l’ordre &. la décence qu’il convient
d’obïerver entre les enfans des deux fexes.
. Les garçons demeureront dans la communauté
jufau’a l’âge de feize ans faits'; après quoi, fi fa ma-
j-Jte l’agree, on enverra les plus rebuftes. dans les
villes frontières, pour y faire un cours militaire det
dix ans. La ils feront formés aux exercices de la
guerre , & du refte occupés aux divers arts & mé- v
tiers qu’ils- auront pratiqués dès l’enfance ; & par
confequent. ils ne feront point à charge au roi, ni au
public dans les tems de paix ; ils feront Ta campagne
aJL tems de guerre , après avoir fait quelqu’appren-
tiiiage des armes dans les garnifons. Ce cours militaire
leur acquerra tout droit de maîtrife pour les
arts & pour le commerce ; de façon qu’après leurs
dix années de ferv ce , ils pourront s’établir à leur :
cho'x dans 1a communauté féculière ou ailleurs, li- j
bres d exercer par-tout les différentes profeliions des j
arts & du négoce.
8°q Lorfqu’il s’agira de marier ces jeunes gens , ;
çe qu on-ne manquera pas fixer à un âge convenable
pour les deux fexes , leur étabhffement ne fera
pas d fticile , & tous les fujets auront pour cela des
moyens fuffifans ; car outre leur pécule plus ou
moins confiderable , la communauté fournira une
hom.ete légitime à chaque enfant | laquelle confiftera
tant en argent, qu’en hab lit mens & en meubles ; légitime
proportionnée aux facultés de la maifon , &
du refte égalé a tous , avec cette différence pourtant
qu elle fera double au moins pour ceux qui
auront fait le fervice militaire. Après cette efpèce
d héritage, les enfans ne tireront plus de leurs paréos
que ce que ceux-ci voudront bien leur donner de
leur propre pécule ; fi.ee n’eft qu’ils euflent des biens
Hijioire. Tome j j j t
hors la maifon , auquel cas les enfans en hériteront
fans difficulté.
11 ne faut aucune donation , aucun privilège, aucun
legs pour commencer une telle entreprife ; il eft
vifible que tous les membres opérant en commun ,
on naura pas bèfoin de ces fecours étrangers. Il ne
faut de même aucune exemption d’impets, de corvées,
de milices, &c. 11 n’eft ici queft’.on que d’une
communauté laïque , dépendante à tous égards de
l’autorité du roi 6c de l’état , & par conféqiù nt fu-
fette aux impcfitiôns & aux cha-g: s ordinaires. On
peut ^ donc efpérer que les pu;fiances protégeront
cette'nouvelle affociation , puifqu’elie do t être plus
uti'e que tant de focéiés qu’on a autordées en divers
tems , & qui fe font multipliées à 1 infini, bien
qu’elles foient prefque toujours onéreufes au pi.b’ic.
Au refte on ne donne ici que le plan général dé
la congrégation propofée , fans s’arrêter à développer
les avantages fenfibks que l’état & les particuliers
en podrroient tirer , & fans délâi’ler tous les
reglemens qui feroient nécefiaircs pour conduire un
t 1 corps. Ma s on pr.opofe en qutfticn ; favoir , fi
fuivant les loi* étables dans le royaume pour les
entreprifes & fecrétés' de commerce , les premiers
auteurs d’un pareil étabHfcraent pourroleut s’obliger
les uns envers les autres , & fe donner mutuellement
leurs biens & leurs travaux , tant pour eux que
pour■ leurs fuceeffeurs ,* fans y être expreffement au-
torifés par la ccur.
C q qui pourroit faire croire qu’il n’eft pas be-
fo n d’une" apprebat on formelle , cfeft que planeurs,
fcciéiés afièz lemb'ables , aéluellement ex’ftarnes,
n’ont point été autorifées par le gouvernement ; ôe
pour commencer par Ls frères cordonniers 5c les
freres tailleurs , on fait qu’ ls n’ont poi t eu de lettres*
patentes. De même 1 s communautés d’Auvergne
fubfiftent depu s des fiècks , fars qu’il y ait eu au-»
cune intervention de la cour j our Lur étabuff ment:
Obje£lio/is fe réponds. On ne manquera pas de dire
qu’une affociation de gens mariés eft abfolument
importable ; que ce fero t une occafion perpétuelle
de trouble, & qu’infa;lliblement les femmes mettioient
la défunion parmi les conforts ; mais' ce font-’à des
objeâîous vagues , & qui nom aucun fondement
folide. Car pourquoi les femmes cauferoient-cües plinôt
du déferdre dans une communauté conduite avec de
la fâgefle , qu’elles n’en caufent tous les jours dans;
la port ion aâuelle , cîi chaque famille , plus libre
& plus, ifbiée, plus expofée aux maavaifes fuites de
la m.fere & du chagrin , n’. ft pas contenue, comme
elle le fcroit à , par une police domeftique &. bien
fui vie ? DarfUurs , fi q- ici ;u’un s’y trouvoit déplacé ,
s’il y paro-.ffo-t inquiet, ou qu’il y mît la divifion ;
dans ce cas ; s’il ne fe retiroit de lui même , ou s’il
ne fe corrigeoit , on ne manqueroit pas de le congédier.
Mais on n’empêcheroit pas , dit-on , les amours
furtives , & 'bientôt c-s amours cauferoient du trouble
& du fcandale.
A cela je léponds. que l’on ne prétend pas