
14* J A C
£ E fpagne. ) Conquérir des royaumesréunir de nouvelles
provinces aux états de les ayeux , porter le fer
& la flamme } le ravage & la mort dans dès régions
éloignées ; dévafbr des riçhes contrées , y répandre la
te'rr'eur & la confternation , çeft acquérir des droits
à hT- célébrité. Jacques I , roi d’Aragon , fe rendit
très-illuftre par les armes; çe ne furent pourtant pas
fes brillant s conquêtes qni lui apurèrent les titres les
plus yiconteftables a l’admiration de lès contemporains,
& à Mime de la poftérité : ce fut fa grandeur d’ame,
& ce défmtérëffement, plus rarejînçore, qui le porta
à renoncer à un trône fur lequel il avoit lès droits les
plus fàcrés , les plus ineonteftabks ; âcrifices d’autant '
plus généreux 5 que rien alors ne rçliftoit à, la force
de fes armes 5 aufli cette aéüon noble , grande, fu-
blime , le fit-elle regarder comme un héros' dans le
fèns le plus rigoureux. Çe héros, cependant, le fï<*na-
loit aufli par des aéfes d’injuffice , d’uliirpation , de
violence qui enflent fait rougir l’homme le moins jaloux
de la réputation , 8c dans- le temps qu’il renonçoit 3
un royaume qui lui appartenoit ,-il en ufurpoit un autre'
par la violence, & contre la foi des traités. Qu’etoit-
ce donc que ce Jacques 1 ? un fouverain ambitieux ,
enflammé du défit dé remplir l’Europe 8ç la terre du
bruit de lès aéîions guerrières & héroïques ; il répffit :
on s’occupa beaucoup de lui-. Mais depuis le treizième
liècle, combien peu de perfonnês y a-t-il qui connoif
font l’exiflence du roi Jacques I ? Au refle^ ce n efl
pas que ce prince ne réunît à la. plus éclatants valeur
des talents fupérieurs & quelques vertus : il fut d’ailleurs
excellent .politique , habile négociateur ; & toutefois,
• maigre tant de Brillantes qualités, Ion nom à peine s’eff
fouvé de lfoubli. Si les rois conquérants Ikvoient combien
peu, lorfquils ne feront -plus , on s'occupera
d'eux, leur amour-propre lèroit cruellement humilié !
Jayme pourtant , mente qu’on lui donne quelques
lignes. Il étoit fils de don Pedre I I , roi d’Aragon ,
& de dona Marie , fille unique du comte de Montpellier
, & il naquit le premier février 1207. Il n’avoit
pas encore fept ans , lorfque la mort de fon père, tué
à la bataille de Muret en 1213 , fit paflèr fur fa tête
la couronne d Aragon 3 mais ce ne fut qu’après bien
des troubles fufeités par fes oncles/qui vouîoient lui
ravir le feeptre, que les grands du royaume attachés
au fang de leurs fouverains, parvinrent à le faire re-
cbnnoîtrepour roi , & formèrent un confeilde régence,
à la tête duquel' ils mirent don Santhe , comte de
Rouflillon, fon grand-oncle, & celui-là même qui avoit"
fait les pdus grands efforts pour sMeoir fur le trône.
On sapperçut bientôt-de l’imprudence qu’on avoit eue
de confier le royaume 8c le prince à tin tel Homme,
& on prit des mefii res pour réprimer fon,ambition ;
mais elles furent inutiles ; Sanche leva dès troupes,
fit plnfieurs tentatives pour s’emparer de la couronne ,
ne réuflït pas ; mais caufà tant de mal, & menaça
l'état d’un tel bouleverfement, que les états afïèmblés
crurent ne pouvoir mieux faire que -d'acheter, de •
lui, Ta paix à prix d’argent: il fe fit accorder des revenus
ccnfiderables, & à cette condition.,, il confentit
# rendre hommage au petit-neveu. Cet otage calmé
J a c
ne rendit pas encore la tranquillité au royaume d&
vafte dans toutes fes parties par la licence des fèfoneurs
armés les uns contre les autres , quand ils ne ïétoient
pas pour opprimer leurs vaffaux & ufurper leurs p0f-
feflions. Ces violences nétoient pas les feules qui <jé-
chiraflent 1 Aragon , encore plus ravagé par les armes
des rebelles, qui, fous prétexte dufoien public, excitaient
des foulevements, opprimoient les citoyens ôc
brayaient audacieufement l’autorité royale. Jayme
quoiqu’il n’eut que douze ans , fut fi fenfible à cet
excès ^d’infolence , qu’il fe mit , quelques efforts que
Ion fît pour l’en détourner, à la tête de fes troupes
marcha contre les révoltés, les réduifit ; obligea l j
feigneurs- à terminer leurs querelles , leur défendit les
voies de fait, s’empara des places fortes des plus
obfbnés, & fi^l’efTai heureux de fon autorité, Encou-
rage par les -avantages qu’il venoit de remporter , il
crut que lé moyen le plus sûr d’affermir fa puiffànce
efoit dè s’afliirer de fappui du plus formidable des
fouverains d'Efpagne ; & dans cette, vue , il fit deman-
| der : en mariage l’infante dona Eléonore , foeur de
donax Berangère , reine de Caftille .; fa demande fut
accueillie 5 le mariage-fut célébré', 8c le roi n’avant
alors que treize années, refta un an làns avoir commerce
avec fa jeune époüfe , parce qu’il n’étoit point encore
en âge : fi cependant il n’étoit. point aflez, âgé,pour fe
conduire en époux, il l’étoit- allez pour.gouverner ; mais
aupararant.il lui reftoit quelques obftacles à ap.piatiir,
& il n’en impofoit pas afiez. pour, fe faire obéir de
tous les grands. 'Le plus turbulent d'entr’eux étoit l’infant
don Ferdinand, abbé de Mpnte-Àragon , qui voulant
à toute force gouverner le royaume , fe ligua avec
quelques feigneurs , saflura ■ de la perfonne dirroi
oç de la reine , fous prétexte, que les flatteurs & les
favoris les perdraient, s’empara du gouverrr-ment,
& abufa autant qu’il étoit en lui , de -l’autorité ufurpée.
Jaynü fouffroit impatiemment fa captivité , n’ofoit
pourtant fe plaindre hautement de don Ferdinand fon
oncle , qui lui marquoit les plus grands égards', & il
difliniula pendant un an. Alors parodiant tout açcou-
jutpy a fà fituation, & feignant de ne prendre aucun
interet âu gouvernement, il propofà aux feigneurs qui
le gardoierit-, d’aller à Tortofe, ils y confetti rent ; mais
pendant le voyagé il leur échappa, & fe rendit à
T e iv e l, d’où il envoya ordre à; toute la nobleffe de
venir le joindre pour, l’accompagner dans une ’expé-'
dition contre les Maures. Cette expédition réuffit j if
tourna fes armes contre l’infant don Ferdinand s &
il réuffit encore. Sa valeur & fa conduite lui ramenèrent
la plupart des feigneurs rebelles ; ils fe fournirent,
& les villes fatiguées enfin de fe foulever pour des
faélieux qui les foulôient , fe fournirent aufli : mais
le feu des diffenfions n’étant pas totalement éteint, &
quelques grands étant afiez puiflants pour fufeiter de
nouveaux troubles, Jayme / , dans la vue d’étouffer
toute femence de divifion, propofa de terminer tous
les différends par la voie de l’arbitrage, & de s’en rapporter
à la décifion de l’archevêque de Tarragone , de
1 eveque de Lerida & du grand - maître des Templiers,
Sa proposition fut acceptée ; les arbitres mirent fin aux
diffenfions
J A C
diffenfions, & prévinrent par leur décifion, torit fiijet
de brouillerie. Le roi fut fi content du fuoces de ce
tnoyen j qu’il ne manqua point dans la fuite'à l’employer
dans toutes les affaires épineufes , 8c il eut toujours
lieu de s’en applaudir. Il avpit vingt ans alors , 8c
depuis quelque temps il méditôit la conquête-du royaume
de Majorque, occupé par les Maures : il fit part de fon
projet^aux étais, qui l’approuvèrent 8c l’engagèrent a
l’exécuter : mais il avoit un autre deffein qui l’occupoit,
encore plus que le defir de conquérir Majorque ; il
vdulpit , ou du moins quelques hiftoriens affurent
qu’il vouloit fe défaire- de la reine fon èpbufe , dont il
étoit fort dégoûté. Aufli le cardinal évêque de Sabine,
fé^at du pape, étant informé que le roi 8c h reine
étpient parents au quatrième degré , fo plaignit, &
prétendit que leur mariage etoit nul : Jayme eut de
grands fcrupules, 8c parut fort agité.^ La reine^ dona
Berengère confentit que cette' affaire fut examinée par
un concile : il s’en affembla un à Tarragone , 8c les
pères du concile déclarèrent le mariage nul ; mais
comme il faut être conféquent dans fes décifions , ils
déclarèrent en même temps que don Alphonfe , né de
ce mariage nul 8c proferit, étoit 8c devoit être légitime
8c l’héritier de la couronne. Il faut avouer que les
pères du concile de iarragone railonnoient avec une
étonnante fagacité, 8c qu’ils jugeoient bien fainement.
Quoi qu’il en foit, Jayme fut très-fournis à leur décifion
, renvoya , fon époufe, 8c ne forigea plus qu’à
l’expéditipn de Majorque , dont iî s’empara maigre la
réfiftance des Maures 8c la valeur du roi 'de cette île ,
qui fut • fait prifonnier. Le roi de Valence ayant fait
depuis peu une trêve avec 1 Aragon , refufa de fecourir
celui de Majorque ; 8c fes fujets le foupçonnant d’être
feèrètement chrétien , l’obligèrent de fortir , ainfi que
fon fils, de Valence8c quoiqu’il pût compter encore
fur la fidélité de quelques villes, il fe retira en Aragon
avec fon fils : Jaym& leur fit un accueil diftingué, leur
affignades revenus confidérables, 8c conçut le deffrin
de s'emparer aufli, de Valence' ÿ comme il s’é'toit rendu
maître de Majorque. Peu de monarques ont été aufli
heureux que Jayme ; il eût pu fe difpenfer de conquérir ;
la fortune prévoit foin d’accroître fa puiffànce , 8c de
lui donner des états. Don Sanche, roi de Navarre,
vieux, fans enfants , 8c irrité contre fon neveu Thibaut
, comte de Champagne , adopta le roi d’Aragon,
8c le fit reconnoître par les grands pour fon feicceflèur ;
mais les .aequifitions de ce genre ne flattoient pas
Jayme l\ 8c il aimoit mieux conquérir une ville, que
de recevoir, à'titre de donation , une monarchie
entière. Il ne s’ëtoit point propofé d’envahir la Na-
’varre, 8c il fut peu fenfible au don que Sanche lui
en fit ; il avoit formé le projet de fe rendre maître du
royaume de Valence , 8ç le pape Grégoire IX lui
accorda une croifade pour çette expédition : il ne négligea
rien pour en affurèr le fue.cès, 8c déjà il avoit
commencé les hoftilités, lorfque lé roi don Sanche mourut;
les grands de Navarre , qui n’^voient que forcément
■ adhéré aux volontés de leur fouverain , crurent 8c
délibérèrent qu’il étoit de l’intérêt de l’état de mettre
fur le trône le comte de Champagne, 8c de protefter
fJiJlQiqe, Tor^e / / if
X A- c
contre le ferment qu’ils avoient fait' de reconnoître
le roi d’Aragon, qu’ils prièrent meme de vouloir bien
les difpenfer .de tenir un engagement qu’ils n’avoient
pris que malgré eux 8c par obéiffance aux volontés
de don Sanche. Les grands de Navarre çonnoiffoient
fans doute la grandeur d’ame 8c les fentim.ents lié-^
roïques - de Jayme quand ils lui firent cette demande
fingulière , 6c qui eût irrité tout autre fouverain. Leurs
efpérances ne furent point trompées ; 8c, par le plus
rare, défintéreflement, le roi d’Aragon renonçant à
fes droits fur ce trône, confentit qu’on y fît monter
le comte de Champage; 8c fans attendre les remer,-
ciments de Thibaut 8c des Navarrois pour ce généreux
facrifice , il ne s’occupa qu’à étendre fes conquêtes 8c
fa dpmination dans le royaume de Valence. Ce fut
pendant le cours de cette expédition, que Grégoire IX ,
rempli d’eftime 8c d’admiration pour /iry/wF , auquel
d’ailleurs il venoit d’être redevable de l’établiffement
de Pinquifition dans les états d’Aragon , lui propofà
d’époufer dona Yolande , fille d’André , roi de Hongrie
: Jayme y confentit ; 8c quelques mois après ,
couvert/ de lauriers qu’il avoit moiffonnés dans Pile
d’Ivica, dont il avoit fait la conquêteil fe rendit à
Barcelonne , ou fon mariage avec dona Yolande fut
célébré. Sa nouvelle époufe ne put le retenir auprès
d’elle que peu de jours ; uné paflion plus impérieufe-,
le defir de la gloire -, le ramena fous .les murs de
Valence, qui, malgré la réfiftance de Zaën, qui en
étoit fouverain, fut contrainte de capituler 8c de fe
rendre aux conditions que Zaën 8c fes fujets fortiroient
librement de çette capitale , avec tout ce qu’ils pourraient
emporter fur eux , 8c qu’ils lui livreraient tous les
châteaux 8c toutes les forterefïes qui étoient au-delà
ffe la rivière de Xucar. Cette condition fut exaékment
remplie; les Maures,. précédés de leur’ roi, for tirent
de Valence, au nombre de cinquante mille ; Jayme
leur accorda une trêve de fept ans , ôc entra en triomphe
dans Valence , qui fut bientôt repeuplée de chrétiens.
De cette ville çonquife , Jayme .partit pour
Montpellier , ou fa préfence étoit d’autant plus né-
ceffaire, que. les habitants foulevés contre le gouverneur
, menaçoient de ne plus reconnoître le roi
d Aragon pour leur comte. Pendant fon abfence, fes
généraux , violant fans pudeur la brève qu’il avôit
accordée à Zaën , fe jettèrent avec fureur fur les
mahométans de Valence , 8c s’emparèrent de plufieurs
forterefïes. Jayme eût dû punir exemplaffement une
"infidélité auffi manifefte , 8c qui bleflbit la foi pübliqr.e
avec tant d’indignité. Les Maures qui comptoient fur
fon intégrité , attendirent fon retour , 8c ' aufli'tôt qu’il
fut rentre, dans fes états , ils lui demandèrent jufllce ;
mais à leur grand étonnement, Jayme au lieu de punir
fes généraux , approuva la violence de leur conduite,
l’excita lui-même ; & fans refpeéler- Te nité ni
l’honneur , abufant de fa - fupétiorité , il s'empara de
prefque tout le royaume de Valence. L’ancien 8c criminel
ufage où font les fouverains d’agir comme Jayme9
lorfqu’ils font les plus forts, exçufe d’autant moins l’iniquité,
de cette infra&ion, qu’il avoit paru jufqu’alors
auffi jaloux de l’eflinie peuples que de la gloire dq