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de confifquer tous les biens des Juifs qui -embrafToient
le Chriftianifme. Cette coutume fi bizarre,.nous la
fçavons par la loi qui l’abroge ; c’eft l’édit du roi donné
à Bafville le 4 Avril 1392. La vraie raifon de cette
confifcation , que l’auteur de Yefprit des loix a fi bien
développée, étoit une elpèce de droit d’amortifiement
pour le prince, ou pour les feigr.eurs, des,taxes qu’ils
Lvoient fur les Juifs ^ comme ièrfs mainrmortables,
auxquels ils fuccédoient. Or ils étoient privés de ce
bénéfice, lorlque ceux-ci embrafloient le Chriftianifme.
En un m ot, on ne peut dire combien, en tout lieu,
on s’eft joué de cette nation d’un fiècle à l’autre. On a
confifqué leurs biens, lorfqu’ils recevoient le Chriftianifme
; & bientôt après on les a fait brûler, lorfqu’ils
ne voulurent pas le recevoir.
. Enfin , profcrits fans celle de chaque pays, ils trouvèrent
ingénieufement le moyen de fauver leurs fortunes
, & de rendre pour jamais leurs retraites allurées.
Bannis de France fous Philippe, le Long en 1318 , ils
fe réfugièrent en Lombardie, y donnèrent aux négo-
cians des lettres for ceux à qui ils avoient confié leurs
effets en partant, & ces lettres furent acquittées. L’invention
admirable des lettres de change iortit du fein
du délèlpoir ; & pour lofs feulement le commerce pût
éluder la violence, & fe maintenir par tout le monde.
Depuis ce tèmps-là, les princes ont ouvert les yeux
fur leurs propres intérêts , & ont traité- les Juifs avec
plus de modération. On a fenti, dans quelques endroits
du nord& du midi, qu’on ne pouvoit le palier
de leur lècours. Mais, fans parler du Grand-Duc de
Tofcane, la Hollande & l’Angleterre animées de plus
nobles principes, leur ont accordé toutes les douceurs
poflîbles, fous la proteéiion invariable de leur gouvernement.
Âiiifi répandus de nos jours avec plus de
fureté qu’ils n’en avoient encore eue dans" tous les pays
de l’Europe ou regne le commerce , ils font devenus
des. inflxumens par le moyen delquels les nations les
plus éloignées peuvent converfer & -correlpondre en-
fernble. Il en eft d’eux, comme des chevilles & des
doux qu’on employé dans un grand édifice , & qui
font nécefîaires pôiir en joindre toutes ies parties. On
s’eft fort mal trouvé en Efpagne de les avoir chaffés,
airifi qu’en France d’avoir penêcuté des fojets dont la
croyance différoit en quelques points de celle du prince.
L’amour de la religion chrétienne confifte dans fa pratique;
& cette pratique ne refoire que douceur, qu”hu-
manité, que charité. (D . JJ)
Juifs , Philof&phie des, ( Hiß. Philofoph. } Nous
ne connoifions point de nation plus ancienne que la
juive. Outre fon antiquité, elle a for les autres une
féconde prérogative qui n eft pas moins-importante ;
c’efi de n’avoir point paffé par le polithéifme, & la
fuite des fopevftitioris naturelles & générales pour arriver
à l’unité de Dieu. La révélation & la prophétie
ont été les deux premières, four ces de la connoiflance
de fes fages. Dieu fe plut à s’entretenir avec N o é ,.
Abraham, Ifaac, Jacob, Jofeph , Moyfe & fès fuc-
cefTeurs. La longue vie qui fut accordée à la plupart
d’entreux, ajouta beaucoup à leur expérience. Le
loifir dè l’état de pâtres qu’ils avoient cmbraffé, étoit
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très-favorable à la méditation & à l'obfemtîon de U
nature. Chefs de familles nombreufes , ils étoient très-
verfés dans tout ce qui tient à l’économie ruftique &
domeftique,& au gouvernement paternel. A l’extinélion
du patriarchat, on voit paroître parmieux un Moïfe ,
un David, un Salomon, un Daniel, hommes d’une
intelligence peu commune, & à qui l’on ne refufera
pas le titre de grands législateurs. Qu’ont fçu les phi-
'folbphes de la Grèce, les Hiérophantes de l’Egypte, &
les Gymnofophiftes de l’Inde qui les éleve au deflus
des prophètes ?
Noe conftruit l’arche, fépare les animaux purs des
animaux impurs, fe pourvoit des fubftances propresà
la nourriture d’une infinité d’efpèces differentes,-plante
a vi§^e » en exprime le vin , & prédit à fes enfans leut
deftinée.
Sans ajouter foi aux rêveries que les payens &Ies
Juifs ont débitées for le compte de Sem & de Cham,
ce que l’hiftoire nous en apprend fiiflît pour nous les
rendre refpeélables ; mais quels hommes nous offre-t-
elle qui foient comparables en autorité, en dignité,
en jugement, en piété, en innocence, à Abraham , à
Ifaac & à Jacob ? Jofeph fe fit admirer par fa fegefle
chez le peuple le plus inftruit de la terre , ôt le gou*
verna pendant quarante ans.
Mais nous voilà parvenus au temps de Moïfe ;.
quel hiftorien î quel législateur î quel philofophe 1 quel
poète 1 quel homme t
La fagefle de Salomon a paffé en proverbe. Il écris*
vit une multitude incroyable de paraboles ; il connut
depuis le cedre qui-croit fur le Liban, jufquaJ’hyffope;
il, connut & les oifeaux & les poiflons, & les quadrupèdes
, & les reptiles ; & l’on accouroit de toutes
les contrées de la terre pour le voir, l’entendre ÔC
l’admirer.
Abraham , Moïfe, Salomon, Job , Daniel, &
tous les fages qui fe font montrés chez la nation juive
avant la captivité de Babylone, nous fourniroient une
ample matière, fi leur hiftoire n’appartenoit plutôt
à la révélation qu’à la philofophie/
Paffons maintenant à l’hiftoire des Juifs-, au fortir
de la captivité de B a b y lo n e à ces temps où ils ont
quitte le nom d’Ifraelites &L d’Hébreuxpour prendre
celui de Juifs.
De la philofophie des Juifs depuis le retour de la captivité
de ^Babylone, jufqu’à la ruine de Jérufalem. Per-
fonne n’ignore que les Juifs rfont jamais paffé pour
un peuple fçavant. Il eft certain qu’ils n avoient aucune
teinture^ des foiences exaétesJ & qu’ils fe trom-
poient groffierement for tous les articles qui en dépendent.
Pour ce qui regarde la Phyfiqué, & le détail
immenfe qu^lui appartient , il n’eft pas moins conf-
tant quais n’en avoient aucune connoiflance, non
plus que des diverfes parties de l’Hiftoire naturelle. Il
faut donc donner ici au mot philofophie une fignifica-
rion. plus étendue que celle qu’il a ordinairement.
En effet il manqueroit quelque chofe à l’hiftoire de
cette fcience fi elle étoit privée du détail des opinions
de de la d-oélrine cîe. ee peuple, détaÿ
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«üi jette un grand jour for la philofophie des peuplés
avec lefquels ils ont été liés.
Pour traiter cette matière avec toute la clarté pofe
fible, il faut diftinguer exactement les lieux où les
Juifs ont fixé leur demeure, & les temps où fe font
faites ces tranfmigrations : ces deux chofes ont entraîné
un grand changement dans leurs opinions. Il y a
for-tout deux époques remarquables; la première eft
Je fchifme des Samaritains qui commença long-temps
avant Efdras, & qui éclata avec fureur après fa mort ;
la féconde remonte jufqu’au temps où Alexandre
tranfporta en Egypte une nombreufe colonie de Juifs
qui y jouirent d’une grande confidération. Nous ne
parlerons ici de ces deux époques qu’autant qu’il fera
néceflaire pour expliquer les nouveaux dogmes qu’ elles
introduifirent chez les Hébreux.
Hiftoire des Samaritains. L’Ecriture-fainte nous apprend
( ij. Reg. 15.) qu’environ deux cents ans avant
qu’Efdras vît le je ur, Salmanazar r. i dès Aflyriens,
ayant emmené en captivité les dix tribus d’Iftael,
avoit fait paffer dans le pays de Samarie de nouveaux
habitans, tirés partie dès campagnes voifines
de Babylone , partie d’Avach, d’Emath, de Sephar-
vaïm & de Cutha ; ce qui leur fit donner le nom de
Cutkéens fi odieux aux Juifs. Ces ’ cliftérens peuples
emportèrent avec eux leurs anciennes divinités, &
établirent chacun leur foperftition particulière dans les
villes de Samarie qui leur échurent en partage. Ici l’on
adoroit Sochotbenoth ; c’étoit le dieu des habitans
de la campagne de Babylone ; là on rendoit les honneurs
divins à Nergel; c’étoit celui des Cuthéens. La
colonie d’Emach honoroit Afiïna ; les Hevéens, Ne-
bahaz & Tharthac. Pour les dieux des habitans de
Sepharvaïm, nommés Advamelech & Anamelech , ils
reftèmbloient affez au dieu Moloch , adoré par les
anciens Chananéens; ils en avoient du moins la cruauté,
& ils exigeoient aufli les enfans pour viâimes. On
voÿoit aufli les pères infenfés les jetter au milieu
des flammes en l’honneur de leur idole. Le vrai Dieu
étoit le feul qu’on ne connût point dans un pays conj
facré par tant de marques éclatantes de fon pouvoir.
Il déchaîna les lions du pays contre les idolâtres qui le
profanoient. Ce fléau fi violent & fi fobit portoit tant
de marques d’un châtiment du ciel, que l’infidélité
même fut obligée d’en convenir. On en fit avertir
le roi d’Aflyrie : on lui repréfenta que les natidns-
qu’il avoit transférées en Ifrael, n avoient aucune
connoiflance du dieu de Samarie, & de la manière
dont il vouloit être honoré. Que ce Dieu irrité les
perfécutoit fans ménagement ; qu’il raflembloit les lions
de toutes les forêts, qu’il les envoyoit dans les campagnes
& jufques dans les villes ; &. que s’ils n’appre-
noient à appaifer ce Dieu vengeur qui les pourfoivoit,
ils. feroient obligés de délerter , ou qu’ils périroient
tous. Salmanazar touché de ces remontrances, fit
chercher parmi ies captifs un des anciens prêtres de
Samarie , & il le renvoya en Ifrael parmi les nouveaux
habitans, pour leur apprendre à honorer le diqu du
pays. Les leçons forent écoutées par les idolâtres,
mais ils ne renoncèrent pas pour cela à leurs dieux ;
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au contraire chaque colonie fe mit à forger fe divinité.
Toutes les villes eurent leurs idoles; les temples & les
hauts lieux bâtis par les Ifraélites recouvrèrent leur ancienne
& fecrilège célébrité. On y plaça des prêtres
tirés de la plus vile populace, qui furent chargés des
cérémonies & dü foin des fecrifices. Au milieu de ce
bizarre appareil de foperftition & d’idolâtrie, on
donna aufli fa place au véritable Dieu. On connut
par les inftru étions du lévite dlfrael, que ce Dieu
fouverain méritoit un culte fupérieur à celui qu’on rendoit
aux autres divinités ; mais foit la faute du maître,
foit celle des difciples, on n’alla pas jufqu’à comprendre
que le Dieu du ciel & de la terre ne pouvoit louffrir
ce monftrueux aflemblage ; & que pour l’n dorer véritablement
, il falloit l’adorer feul. Ces imj. yv.és rendirent
lés Samaritains extrêmement odieux aux Juifs ; mais
la haine des derniers augmenta, lorfqu’au retour de la
captivité, ils s’apperçurént qu’ils n’avoient point de
plus cruels ennemis que ces faux frères. Jaloux de voir
r bâtir le temple qui leur reprochcit leur ancienne réparation
, ils mirent .tout en oeuvre pour l’empêcher. Ils
fe cachèrent à l’ombre de la religion', & affinant les
Juifs qu’ils invoquoient le même Dieu qu’eux, ils leur
offrirent leurs fervices pour raccompliflement d’un
ouvrage qu’ils youloient ruiner. Les Juifs ajoutent à
1 Hiftoire îainte, qu’Efdras & Jérémie aflemblèrent
trois cents prêtres*, qui les excommunièrent de la grande
excommunication : iis maudirent celui qui mangeroit du
pain avec eux, comme s’il avoit mangé de la chair
de pourceau. Cependant lès Samaritains ne cefloient de
cabaler à la cour de Darius pour empêcher 1 os Juifs de
rebâtir le temple ; & les gouverneurs de Syrie et de ,
Phénicie ne cefloient de les feconder dans ce dtflèin.
Le fénat & le peuple de Jérufalem les voyant fi animés-
contr’eux, députèrent vers Darius, Zôrobabel & quatre
autres des plus diftingués, pour fe plaindre des Samaritains.
Le roi ayant entendu ces députés, leur fit
donner des lettres par Iefquelles il ordonnoit aux principaux
officiers de Samarie, de feconder les Juifs dans
leur pieux deflein, & de prendre pour cet effet for
fon tréfor provenant des tributs de Samarie, tout ce
dont les fecrificateurs de Jérufalem auroient befoin
pour^ leurs fecrifices. ( Jofephe, Antiq. jud. lib. X L
cap. iv. )
La divifion fe forma encore d’une manière plus
éclatante fous l’empire d’Aléxandre le Grand. L’auteur
de la chronique des Samaritains ( r*yye%_ Bafoage, Hift,
des Juifs, liv. III. chap.iij.) rapporte que ce prince
pafîa par Samarie, -où il fut reçu par le grand prêtre
Ezéchias qui lui promit la viétoire for ies Perfes ï
Aléxandre lui fit des préfens, & les Samaritains profitèrent
de ce commencement de faveur pour obtenir
de grands privilèges. :Ce fait eft contredit par Jofephe
qui l’attribue aux Juifs, de forte qu’il eft fort difficile
dè décider lequel des deux partis a raifon; & il n’efl
pas forprenant que les fçavans foient partagés for ce
fojet. Ce qu’il y a de certain c’eft que les Samaritains
jouirent de la faveur du roi, & qu’ils réformèrent
leur doélrine pour fe délivrer du reproche d’héréfie
que leur faifoient les Juifs, Cependant la haine de ces