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refis impunie ; le traître fut protégé ; du Gué-Trouin
voulut encore quitter le fervice ; mais il aimoit trop
la patrie ôc la gloire.
En 1705 , toujours des prifes ôc des fuccès ; mais
il perd encore un fécond frère. « Famille de héros !
» s’écrie M, Thomas : de trois frères, deux ont donné
jj l’exemple de mourir pour la patrie ; du Gué-Trouin,
>j celui de ne vivre que pour elle jj.
En 1706, avec trois vaiffeaux, il fbutient pendant
deux jours le plus rude combat contre fix vaiffeaux
de guerre portugais ;• trois boulets lui paffent l’un après
l’autre , entre les jambes ; fbn habit ôc fon chapeau
font percés de coups de fufil ; il efl bîeffé , mais légèrement
, ce il remporte la viéloire. Il va défendre
Cadix ; ôc le- gouverneur de cette place, le marquis
de Valdécagnas fait infulter fes chaloupes ; il demande
juftice, il efl mis aux. fers. Louis X IV le vengea
pour cette fois ; il fit ôter le gouvernement de Cadix
au marquis de Valdécagnas, oc celui de l’Àndaloufie,
au marquis de Villadarias fon beau-frère ; il augmenta
les honneurs de du Gué-Trouin. .
En 1707, le 21 oélobre, joint avec le comte ou
le chevalier de Forbin, il livra un grand combat contre
line filtre angloifè. Forbin ôc du Gué-Trouin crurent
dans cette oçcafion avoir a fe plaindre l’un de l’autre,
mais ils vainquirent ; la nationles abfout ôc fe loue de tous
deux. (Voye? l'article F o rbin. ) C’efl dans ce combat
que le vaiffeau anglois le Devonshire fut brûlé avec plus
de mille hommes qui le montaient , délùftre dont
M- Thomas a l'ait une peinture terrible, qu’il termine
par ce' voeu ; « puiffe le génie de l’humanité, mettre
jj fouvent de pareils tableaux devant les yeux des Rois
jj qui ordonnent les guerres !
Mais de toutes les expéditions de du Gué-Trouin,
la plus brillante à la fois & la plus''importante, efl-
celle de Rio-Janéïro dans le Bréfil en 1 7 n . Elle
valut, dit-on, plus de fept millions à nos armateurs ;
mais elle caufa un. dommage de plùs de'vingt-cinq
millions aux portugais. Du Gué-Trouin pmù. périr à
-fon retour par une tempêté; il n?en fut que plus précieux
à la nation ; il devint pour la France entière,
un grand objet dé curiofité : on s’attroupoit autour
de lui, une femme de qualité perça lg foule pour
'pénétrer jufqu’à lui, voulant , d-foit-elle , voir un héros
en vie. Les mèr:-s le montraient à leurs enfants; le
Roi l’ennoblit. Ses lettres de nobleffe rapportent fes
lèrvices ; elles font datées de 1700. Ses armoiries-avoient
pour dev.fe : dédit hase injîgna virtus. Il fut nommé
chef d’efeadre en 1715 , commandeur de l’ordre de
St. Louis , le premier mars 1728, lieutenant-général
le 27 du même mois. En 1731 , M. le comte de
Maurepas lui procura le commandement d’une efeadre
de fl. née à foutenn l’éclat de la nation francoife dans
la Méditerranée.
1 En 1733 , au renouvellement de là guerre, il fut
deflxéà commander des arm.éesLnayales au «pelles une
prompte paix ne donna pas lé temps de fe mettre en
mer. Du Guc-Trouin mou rat le 2 7 feptembre 1736, &L
fes ennemis, dit M. Thomas, convinrent alors qu’il
était un grand homme,
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GUEBRES, f m. pi. (Hiß. anc. & mod.) peuplé
errant Ôc répandu dans plufieurs contr ées de la Perfè
ôc des Indes. C’efl le trifte refte de l’ancienne monarchie
perfane que les caliphes arabes , armés par la
religion, ont détruite dans le 7e fiècle , pour faire régner
le dieu de Mahomet à la place du dieu de Zoroaftre.
Cette fanglante million força le plus grand nombre des
Perfes à renoncer à la. religion de leurs pères : les
autres prirent là fuite, Ôc fe difpersèrent en différents
lieux de l’A fie, où fans patrie Ôc fans roi, méprifés
& hais des autres nations, ôc invinciblement attachés
à leurs ufages , ils ont jufqü’à préfent conforvé la loi
de Zoroaftre, la doélrine des Mages , ôc le culte du
feu, comme pour fervir de monument à l’une des
plus anciennes religions du mondé.
Quoiqu’il y ait beaucoup de fuperftition & encore
plus d’ignorance parmi les Guebres , les voyageurs
font afiez d’accord pour nous en donner une idée qui
nous intéreffe à leur fort. Pauvres ôc fimples dans
leurs habits, doux ô c ,humbles dans leurs manières,
tolérants,, charitables & laborieux, ils n’ont point de
mendiants parmi eux, mais ils font tous arti-fants ,
ouvriers ôc grands agriculteurs. Il femble même qu’un
des dogmes de leur ancienne religion ait été que
l ’homme eft fur la terre pour la cultiver , & pour
l ’embellir, ainfi que pour la peupler. Car ils eftimèpt
que l’agriculture eft non feulement une profeffion
'belle 8 t innocente, mais noble dans la fociéte ôc
méritoire devant Dieu. C ’eft le prier, difent-ils, què
de labourer ; ÔC leur créance met au nombre des
aélions vertueufes de planter un arbre, de défricher un
champ , & d’engendrer des enfants. Par une fuite de
ces principes, fi antiques qu’ils font prefque oubliés
par-tout ailleurs , ils ne mangent point le boeuf, parce
qifil fertau labourage ,-ni la vache qui leur donne du
lait ; ils épargnent de même le coq, animal domeftique,
qui les avertit du lever du foleil; & ils eftiment particulièrement
le chien qui veille aux troupeaux , ôc
qui garde la maifon. Ils fe, font un religieux devoir
dé tuer les infeéles ôc tous les animaux malfaifants ;
& c’eft par l’exercice dé ce dernier précepte , qu’ils
croyent expier leurs péchés ; pénitence fingulière j mais
utile. Aveç une morale pratique de cette rare efpèce,
les Guebres ne font nulle part des hôtes incommodes ;
on connoît par-tout leurs habitations au coup-d’oeil,
tandis que leur ancienne patrie , dont' l’hiftoire nous
a vanté la fertilité, n’eft plus qu’un défert ÔC qu’une
terre inculte -fous la . loi de Mahomet , qui joint la
contemplation au delpotifme.
Ils font prévenants envers les étrangers , de quelque
nation qu’ils foient ; ils ne parlent point devant-eux
de leur religion , mais ils ne condamnent perfonne,
leur maxime étant de bien vivre avec tout le monde ,
ôc de n’offenfer qui que ce . foif. Ils haïffent en
général tous les conquérants ; ils méprifent 8c déteftent
lingulièrement Alexandre., comme un des plus grands
ennemis qu’ait eu le genre humain. Quoiqu’ils aient
lieu de haïr particuHèrement les Mahometants , ils fe
font toujours repofés fur la providence du foin de punir
ces çruels uforpateurs ; ils fe. confolent par une,
très-ancienn^
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ifls-anctenne tradition dont ils entretiennent leurs en-
.fents, que leur religion reprendra un jour le deffus ,
Si. qu’elle feraprofeflee de tous les peuples du'monder
à cet article de leur -croyance.., ils joignent auffi cette
-attente vague-8c indéterminée., qu’on retro.uve .chez tant
• d’autres peuples-, de perfonnages illuftres ôc fameux
•qui doivent venir-à la fin. des temps pour rendre les
hommes heureux les préparer ^au grand renouvellement.
Une difcipline révère & des moeurs fages régnent
dans l’intérjeur - de leurs. maifons. ; ils n époùfent que
des femmes de leur religion.,& de leur- nation; ils
ne'fouffrent point la -bigamie ni le divorce; mais en
cas de ftérilité, il leur eft permis de prendre une fécondé
femme au-bout-de neuf-années., en gardant cependant
la première.’ Par-tout où ils font tolérés, ils reçoivent
le joug-du prince, ôc vivent entr’eux fous la conduite
de leurs anciens qui leur fervent de magiftrats.
Ils ont auffi des prêtres, qui fe difent iffus des anciens
mages , ôc qui dépendent d’un fouyerain pontife,
& que les: Guebres appellent dejloiir , dejlouranla
règle des règles ou la loi des l o i x Ce piètres n’ont
aucun habit particulier, rôdeur ignorance les cliftingue
à peine du peuple. Ce font eux qui ont le foin du feu
fàcré , qui tmpofent les pénitences, qui donnent des
abfolutions , Ôc qui , pour de l’argent , diftribuent
chaque mois dans les maifons le feufacré, ôc l’urine
de vache qui -fort -aux purifications,
•Ils prétendent pofféder encore les livres que Zoroaftre
a reçus du ciel ; .mais ils ne peuvent plus les
lire , ils n’en ont que.des commentaires qui font eux-
mêmes très-anciens. Ces livres contiennent des révélations
fur -ce qui doit arriver jufqu’à la fin des temps ,
des .traités d’aftrologie ôc de diyihation. Du refte ,,
leurs traditions fur leurs prophètes ,ôc fur „tout ,ce qui
concerne l’origine de leur culte , ne forment qu’un
tiffu mal afforti de fables merveilleufes ÔC de graves
puérilités. Il en eft à cet égard de la religion des
Guebres comme de toutes les autres religions d’Afie,; la
morale en eft toujours bonne , mais rhiftorique,, o_u
pour mieux dire le roman, n’en vaut jamais rien. .Ces
hiftoires., il eft vrai, devroient être fort indifférentes
pour le culte en général ; mais le .mal eft que les
hommes n’ont fait que trop coniifter îeffentiel'de la
religion dans un nom. Si les nations, afiatiques vouloîent
cependant s’entendre eptr’elles , ôc oublier,.ces noms
divers de Confiiciusde Br,.ahma , ..de Zoroafte ôc -
de Mahomet , il.arriverait qu’elles «’auraientprefque
toutes qu’une, même créance , Ôc qu’eUes feraient par
là d’autant plus proches de la véritable.
Plufieurs fçavants ont cru reconnoître dans les. fables
que les Guebres débitent,de Zoroaftre, quelques.traits
de.reffemblance.àvec Gham , Abraham.ôc Moyfe ; on
pourrait ajouter .auffi avec Ofiris, Minos Ôc Romulus;
mais il y a bien plus d’apparence que leurs fables font
tirées d’une formule générale que des anciens s’éîôient
faite pour écrire l’hiftoire de leurs grands hommes., en
^tbüfant des fombres. veftiges de îhiftoire ancienne de la
Rature. ,
■ jPh*s l*on remonte dans l’antiquité . ÔC „plus l’on
/Iijloire, Tomejfffi
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remarque que l’hiftorique ôc l’appareil des premier'us-
religions ont étépuifés dans de pareilles fources. Toutes
les fêtes .des mages croient appelées des mémoriaux
(.Selden , de dus Syris ) ; .ÔC à en juger aujourd’hui par
les ufages de leurs defeendants , on ne peut douter que'
leur euge n’ait effectivement été un refte des anciennes
commémorations de la ruine ôc du renouvellement
du monde , qui a dû être un des principaux objets de
la morale ÔC de la religion fous la loi de nature. Nous
fçavons que fous la.loi écrite ôc fous la loi de grâce., les
fêtes ont fùcceffivement eu pour motif la célébration
des .évènements qui ont donné ôc produit ces loix.:
nous pouvons donc penfer que fous la loi de nature
qui les a précédées, les fêtes ont dû avoir ôc ont eu
pour objet les grands évènements de l’hiftoire de la
nature, entre lefquels il n’y en apas eü fans doute de plus
grands .ôc de plus mémorables que les révolutions qui
ont „détruit, le genre humain,, ôc changé la face de la
terre.
C ’eft après avoir profondément étudié les différents
âges du inondé fous ces trais points de vue , que
nous ofons hafarder de dire que telle a été l’origine
de la religion des Guebres ôc des anciens mages.. Si
nous les confidérons dans leurs dogmes fur l’Agriculture,
fur la population , ôc dans leur .difcipline. domeftique
, tout nous y retracera les premiers befoins ôc
lés vrais, devoirs , de l’homme ,. qui n’ont jamais été fi
bien .connus quaprès la ruine du genre hutnain devenu
fage par fes malheurs. Si nous les envifageons dans les
terreurs qu’ils ont „des.éçlipfes, des comètes, ôc de
tous les écarts de la nature, ôc dans leurs traditions
apocalyptiques., nous y reconnaîtrons les triftes reftes
de l’efpè-ce humaine .long-temps épouvantée & effrayée
par le feul fouvenir des phénomènes de leurs anciens
défaftres. .Si nous analyfons leur dogme des deux prin-
çipes , ôc leurs fables, fur ies anciens combats de la
lumière .contre les ténèbres., ÔC que nous en rapprochions
tant d’autres traditions .analogues répandues chez
divers peuples.; nous y reverrons auüï ce même fait que
quelques-uns ont,appelle chaos , débrouillement, ôc d’autres
création ÔC renouvellement. En étudiant leur .culte
du feu , ôc leurs preffentiments fur . les incendies,
futurs , - nous n’y retrouverons que le reffentiment des.
incendies paffés , ôc que des ufages .qui en dévoient
perpétuer le fouvenir : enfin , fi nous les fuivons dans
ces fêtes qu’ils célèbrent pour le foleil ÔC pour tous les
éléments , tout nous y retracera de même des infti-
tutions relatives à cet ancien objet qui a été perdu ,
çublié, corrompu par les Guebres, par les Perfes eux-
mêmes, ôc par tous les autres peuples du monde qui
n’ont préfentement que fies traces plus ou moins fombres,
deees religieufes commémorations, qui dans un
certain âge ont été générales -par toute la terre.
C ’eft une grande que-ftion de fçavoir files Guebres
d’aujourd’hui font id o lâ t r e sô c fi le feu facré eft
l’objet réel de leur adoration préfente. Les Turcs , les
Perfans , ôc les Indiens les regardent comme tels ; mais
félon les voyageurs européens , les Guebres prétendent
n’honorer le feu qu’en mémoire de leur K giilateur
qui fe fauya miraculeufement du milieu des flammes :
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