
On fera éternellement- à M. de Marivaux le reproche
d’avoir été affeélé & maniéré dans fon ftyle, & ce
reproche fera éternellement injufte. Sa manière d’écrire
étoit celle qui lui étoit prefcrite par fa manière
de voir & de fêntir, & elle en eft la plus fidèle ex-
prefîion. Loin qu’elle lui coûtât de la recherche & de
l’effort, c’eft pour écrire autrement, c’eft pour écrire
d’une manière qui aurait paru plus naturelle , qu’il
eût été réduit à faire des efforts. S’il ne réunit pas
tous les fuffrages , c’eft que tout le monde n'a pas
affez d’efprit pour goûter tout le fien. Qui pourrait
cependant n’aimer pas Marianne & le Payfan parvenu ?
qui peut les quitter quand on s’eft une fois engagé
dans cette leéture ? Où trouve-t-on des tableaux plus
vrais , plus fins , plus philofophiques , une peinture
plus fidelle du coeur humain dans toutes les fituations ,
dans tous les ordres de la fociété, dans toutes les
conditions de la vie ? Il peint en miniature, il eft vrai ;
mais comme il fait fortir toutes les physionomies !
comme malgré la petiteffe & la fineffe des traits, tout
fe diftingue , tout frappe, tout fait effet l Dans le
Spectateur François que de grandes & fortes leçons !
Que d’hiftoires morales & intéreffantes I les critiques
les plus juftes qu’on ait faites du talent de Marivaux ,
tombent fur fes comédies, d’ailleurs charmantes, telles
que les deux furprifes de I Amour, le Legs 3 le préjugé
Vaincu, la Double Inconfiance , CEpreuve , la
Mère Confidente. C’eft-là qu’on peut dire véritablement
qu’il y a trop d’efprit, parce que tous les per-
fohnages ont toujours -le même efprit, qui eft celui
de l’auteur, au lieu d’être celui du perfonnage. On a
dit que toutes fes pièces n’étoient toujours que la fùr-
prife de l’amour, & que pour fe faire un mérite de
cette uniformité , il aurait dû les intituler, première,
fécondé , troifième, quatrième , &c. Surprife de IA -
mour ; qu’alors ce qui a paru ftérilité $ défaut d’invention
, aurait paru tour de force & fécondité. Ce
langage Singulier & original, ce jargon, fi l'on veut*
que Les. ennemis, de M. de Marivaux ont agpellé du
marivaudage , peut en effet paraître mefquin aux ef-
prits nourris des grands modèles, & accoutumé» à
une manière plus férieufe & plus noble ; mais il
n’arrête jamais le leéleur par aucune obfcurité , par
aucun embarras , par aucune difproportion, aucune
difconvenance entre l’idée & TexprefEon. Il ne faut
pas imiter ce ftyle, mais il eft bon qu’il eu exifte ce
modèle unique.
Ajoutons à la gloire de M. de Marivaux, confia
déré du moins comme Romancier, que ces grands
Romanciers Angîois , ces grands peintres de la nature
& des moeurs, le reconnoiffent pour leur modèle dan?
le genre qui les a immottalifés.
M. de Marivaux étoit né à Paris, en 1688, doin
père qui avoit été dîreéleur de la monnoie à., Riom,
en Auvergne , &. d’une famille ancienne dans le parlement
de Rouen ; il fut reçu à l’académie françoife le
14 février 1743 , à. la place de l’abbé Houtteville.
Sur la manière dont il fut reçu par l'archevêque de
Sens 3 M. Languet de Gergy , alors direélejir. Voye^
l’article-Languet. M. de Marivaux mourut le i i :
février 1763.
Son goût étoit aufîi fingulier que fon ftyle ; ami
de M. de la Motte & de M. de Fontenelle , il,
combattit fous eux dans la querelle des anciens & des
modernes, & outrant leur iyftême , il le pouffa jusqu'au
mépris formel des anciens. Il ne goûtoît pas
Molière, & trouvoit fon genre de comique mauvais,
toute vanité d’auteur s part ; car il étoit fincèrement
modeftè : il préférait fon dévot, M. de Climal dans
Marianne, au Tartuffe de Molière, comme un caractère
beaucoup plus fin , & toute comparaîfon aufîi à
part, il n'avoit pas tort de l’eftimer beaucoup ; car
c’eft véritablement un portrait fait de main de maître ;
& M. d’Alembert nous fournit une fort bonne fo-
lution -, en difànt que M. de Climal eft peut-être un
meilleur hypocrite de roman ; mais que celui de
Moliere eft à coup % , un meilleur Tartuffe de
comédie.
MARRIS, (. Hifi. rom. ) ( Caius) foldat de for-;
tune , né de parens obfcurs , fut fept fois confùl ,
.honneur qui le diftingue & qui le condamne , comme
ayant été acquis au mépris des-loix. Il étoit d’Arpi-
nura , qui étoit aufîi la patrie de Cicéron , & Ci-
céron fe glorifie en plus d’un lieu d’un tel compatriote
qu’on pouvoit cependant vouloir défavouer à
quelques égards.
Les parens de Marius vivoient du travail de leurs
mains, & Marius lui-même travailla d’abord à laj
terre..
Àrpinas alius Volfcorwh in monte folebaC
Pofccre mercedes alieno lajjhs aratro. JuvÈNÀli
Il fe fentit toute fâ vie du défaut d’éducation o3
la pauvreté de fes parens i’avoit condamné; il fut
toujours grofîier, brutal, emporté ; il prit le parti
de mépriier l’éloquence & les connoiffances qui lui
manquaient, & que tant d’autres alloient chercher
dans la Grèce ; il demandoit pourquoi un peuple
libre daignait apprendre la langue d'un peuple ef*
claye, & à quoi lervoient des iciences & des lettres
qui navoient préservé les Grecs, ni des armes, ftî
du joug des Romains. 11 quitta la charrue pour les
armes , & ferait, d’abord aii fiège de Numance, fous
Sc.ipion, qui ne tarda pas a le diftinguer. Des admirateurs
de ce grand général, lui enfant un jour avete
enthoufiaime :. qui poiitra jamais vous remplacer} Ce féru
celui-ci peut - être, dit-il , montrant Marius >
encore fimple foldat
S Son ambition s’étoit déclarée de bonne hqure ; maïs
! elle fut d’abord malhepreuiè. Dans fa petite ville
d’Arpinum, il n’avoit jamais pu parvenir à aucune
charge municipale ;’ ce ne fut pas de même fans ef-
fuyer beaucoup de refus, qu’il parvint à être çréé
fùccefîivement tribun des foldats , tribun du peuple ,
préteur ; il manqua en un feul jour, & l’édiîitjé cu-
rule, & l’édihté plébeïenne , & comme le dit Valere-
Maxime : patïentiâ repulfarum irrupit magisin.curiam
quàin vaut.
£et
Cet homme avoit dans un degré rare, le courage
qui confifte à braver.& à foutenir la douleur. Il avoit
des varices qui lui défiguraient les jambes ; il réfolut
de faire couper ces varices, & il fcmffrit cette opération
fans être attaché, fans faire un mouvement,
fans pouffer un cri. ; mais après cette épreuve faite fur
une jambe, il ne voulut pas qu’elle fût continuée fur
l'autre , jugeant, d’après fon expérience, qu’une telle
douleur de'voit être réfervée pour le cas d'une néctf-
fité abfolument indifpenfable. dta, dit Cicéron , &
tulil dolortm, ut vir : b ut horrnmajorera ferre fine
çaufâ .neceffiqrid noluil.
fi Le conful Métellüs le fit fon lieutenant-général dans
la. guerre contre Jugurtha ; il ne pouvoit en choifir
un, ni plus utile pour Rome, ni plus funefte pour
lui :-dans les fondions de cet emploi, nuis travaux
ne le rebutèrent , nuis périls ne l’effrayèrent , rien
dé ce qui pouvoit être utile ne lui parut au-deffous
de lui; nul foldat ne l’emportoit fur lui en frugalité ,
on ardeur pour le travail, en confiance à fupporter
îa fatigue ; nul ne meiioit une vie plus dure. Quand
il crut avoir mérité le confulat, il fe mit fut les rangs
pour le briguer ; les-nobles regardoient cet honneur
comme réfervé pour eux, & ne pouvoient fouffrir
qu’il fût déféré à ce qu’ ils appelloient des hommes
nouveaux : ce n’eft pas qu’il n’y en eût eu plufieurs
exemples; mais ces exemples commençoient à s’éloigner
la prétention des nobles étoit alors dans
toute fa force ; quand Marius demanda fon congé à
Métellüs pour aller à Rome briguer le confulat,
Métellüs • lui. donna des confeils d’ami fur cette ambition
qu’il jugeoit excefîîve, & lui refufa fon congé.
Marius ne ceffa de le fblliciter, & un jour Mé-
tellus, dans - un mouvement d’impatience, lui dit :
en fuppojant que cet-honneur puifie vous regarder , il
fera temps pour vous de le demander, quand mon fils
le demànd.era. Ce fils. fi’avoit que vingt ans , & on
jne pouvoit être Conful qu’à quarante-trois ans. r
Marius ne pardonna jamais ce proposa Métellüs,
il fe mit à cabaler contre lui & à . Rome & dans.
l’armée, & lui ayant , à force d’importunité , arraché -
la permiflîon d’aller à Rome , il y calomnia, tellement
ceTage général, il décria tant fes. talents, fes
exploits , fes fuccès ; il fit de fi belles promeffes, que
'non - feulement il obtint le confulat, mais qu’il fit
rappeller Métellüs , fe fit nommer à fa place pour
Continuer la guerre contre Jugurtha.
Sallufte met dans la bouçhe de -Marius , en cette
occafion, une harangue contre les nobles qui. étoit
fort dans fon caraélere & dans fes fentiments ; mais
dont l’éloquence appartient fans doute toute entièr e
à Sallufte. Métellüs, en recevant l’ordre de Ion rappel 9
pleura de dépit, & prit foin d’éviter la rencontre
de fon fiiceéffeur ; il eut pour confolafoq, \iS honneurs
du triomphe, & le furnom de fifumidique.
Marius eut pour quefteur Sylla, ^u’.l vit travailler
«l s’élever fur fes ruiries, comme s’éteit élevé lui-
même fur celles de Métellüs. fllt Sylla qui déter-
Bocchus a t?aliir Jn^'^ttna, fon parent & fon
allié & à le l.vrer a: ,* ^.oqrains, 8c quoique, ce
Hifoire., .--f'eme III,
moyen de triompher d’un ennemi, n’eût rien de noble,
cependant Jugurtha, depuis fi long-temps, donnoit
tant d’embarras aux Romains, 6c fatiguoit tant leurs
principaux chefs ; Métellüs & Marius, après les victoires
• les plus confidérables 6i les plus glorieufes -,
étpient encore fi- loin de terminer cette guerre ,
qu’on s’applaudit de la voir heureufement termViée
fans faire attention à la baffeffe. d’un moyen auquel
Rome, dans le temps de fe vertu , n’auroit jamais
voulu devoir fès fuccès. Sylla tira vanité de ce moyen,
il fit faire un anneau qui lui fervit toujours, dans la
fuite , de cachet,.où il était repréfenté recevant Jugurtha
des mains de Bocchus. Marius , à qui, en qualité
de général, la. gloire. de tout fuccès devoit être
rapportée , regarda. cette jaéknce de Sylla, comme
une infuite qu’il lui faifoit. Deü* , cette haine implacable
& terrible, qui coûta tant de fang à la République.
Marius étoit encore en Afrique , lorfqu’il apprit,
qu’il venoit d’être nommé conful pour la fécondé
fois au bout de deux ans, quoique régulièrement il
dût y avoir un intervalle de.dk ans entre deux confulats;
Il revint en Italie , & triompha dans Rome, de Jugurtha
, le jour même où il entroit en charge , c’eft-
à-dire , le premier janvier de l’an 647 de la fondation
de Rome , avant J.-Ç. 105. Après la cérémonie, il
entra dans: le fénat avec fa robe triomphale , chofe jufè
qu’alors fans exemple, & qui excita beaucoup d’étonnement
Sl de murmure. II fortit, & revint avec i’nabit.
ordinaire de fénateur, c’eft-à-dire, la robe bordée de
pourpre.
La-terreur qu’infpi raient les Cimbres, le fit nommer
confùl pour la troifième fois l’an 649 de Rome, avant
J.-C. 103. Ce fut, pendant cette expédition contrôles
Ombres, qu’il fit creufèr ce canal du Rhône, cornus,
fous le nom de Foffa Mariana. Aux Cimbres étoient
joints fes Teutons & les Ambrons. Ces deux derniers
peuples traverfoient le Dauphiné & la Provence pour
pénétrer dans la Ligurie. Les Cimbres prenoient par Ig
Bavière & le Tirol, pour entrer dans l’Italie par le?
Trentin. Les Confuls fe réparèrent de même, Marius
alla camper au confluent du Rhône & de FIfere, pour
s’oppofer aux Teuto:> & aux ^mbrons, tandis que
fon collègue Quyttus Lutatius Catulus attendit les.
Çimbres au pyd des Alpes du-côté du Tirol.
Un géant Teuton dèûa Marius à un combat pirtî*.
culier ; Axarius répondit que s’il étoit Jî firejfé de mçy. ir,
i l pouvoit s’aller pendre.
Conful. pour la quatrième fois, l’an 65.0 , Marhjs
Jràffe l’infolénce de ces ennemis parvenir au dernier
degré , ils paffent à la tête du camp des Romains , y
font mille bravades , demandent ironiquement- aux
Romains, s’ils ne veulent rien mander à leurs femmes,
les affurant qu’ ils feraient inceffamment dans le cas de
‘ four donner des nouvelles de leurs maris ; enfin quand
la mefure fut comblée , quand les Romains s’étant
accoutumés à la vue, aux cris 9 aux hurlements de ces
barbares, purent les envifager §£ les entendre fans
frayeur , il les attaqua & les tailla en pièces auprès de
la ville çi’À ix , 6c lorfqu’aprçs fg, victoire , il