
d’Aragon ; les conditions de ce traité furent que
don Henri feroit remis en liberté, ôc que tous lés
domaines lui feroient rendus ; qu’il preteroit un nouveau
ferment de fidélité à Jean I I , & qu’Alphonfe
n’auroit aucun reffentiment contre tous ceux qui,
ioit pour fervir leur maître, loit pour d’autres motifs
, avoient eu part à l’emprifonnement de don Henri.
Quand les grands d’un état, fur - tout fous un roi
foible , lé font livrés une fois à l’efprit de difoorde ,
d’intrigue, de faélion, il eft bien difficile de les
engager à rentrer dans le devoir ôc fous les loix de
la dépendance & de la lubordination. Ce ne fut que
pour quelques jours que les troubles parurent fulpen-
dus en Caftilie , & ils recommencèrent avec plus de
violence , fofcités par la haine de la plupart Ses fei-
gneurs contre le connétable don Alvar de Luna , qui,
a la véritéabufoit quelquefois avec, trop de licence
de la grande puiffance que lui donnoit fa dignité, ôc de
la ^foibleffe du roi dont il étoit le favori. Celui qui
haîffoit le plus fortement don Alvar, étoit l’infant don
Juan, roi de Navarre, que les grands & la noblefié
regardoient comme leur proteâeur ÔC leur appui. Les
plaintes ôc les accufations portées contre don Alvar
furent fi graves, û multipliées , ôc ces acculàtions répétées
à grands cris par le peuple , paroiflbient préfà-
ger un foulevement fi prochain , que Jean I I effrayé,
crut devoir , quelque pénible que fût le fàerifice, ,
confentir à l’éloignement de fon favori • & dès ce
moment, il parut s’attacher à don Henri par .cela
même que dans cette occafion^ il n’av.oit pris, du
moins eh apparence , aucune part à cette intrigue.
Cependant l’abfènce du connétable ne ramena point
h calme ; au contraire, les feigneurs qui s’étoient fi
étroitement ligués contre lui, fe brouillèrent bientôt
entr’eux ; ôc comme jufqu’alôrs ils n’avoient craint
que la -vigilance & les conféils févères de don Alvar ,
& que fon éloignement fémbîoit leur afïurer l’impunité
, ils fé livrèrent /ans ménagement aux excès les
plus répréhenfibles, & fo portèrent à de fi grandes
yiolences, que le peuple irrité de leurs vexations ôc
des fuites cruelles de leurs haines particulières, qui j
retomboient fur lu i, éclata, fe plaignit hautement ,
& menaça de repouffer l’oppreffion par la force. La
confufion & le défordre furent portés û loin , que
les ennemis même les plus irréconciliables de don
Alvar , prièrent le roi de Caftilie. de le rappeller a fà
pour j ôc quand il y revint, ce furent don Juan, roi
de Navarre , & don Henri qui le préfentèrent au
roii Par cette démarche , les deux frères efpérèrent
de s’attacher Je connétable , & ils fe trompèrent ;
don Alvar, qui ne voyoit en eux que les protecteurs
& l’appui des feigneurs les plus turbule&s , les éloigna
fous deux de la cour fous des prétextes honorables
, Ôc joniffant bientôt lui-même d’une plus grande
autorité qu’il r/çn avoit eu jufqu’alors , il excita
- l’envie ôc la jsfoufie .des grands qui ne tardèrent ^point
à fo déchaîner contre lui. Quoiqu’abfens de la cour,
les infans don Juan ôc don Henri étoient l’ame ôc
les auteurs des intrigues ôc des cabales formées contre
Jp connétable ; & le roj d'Aragon qui f pojir fes
propres intérêts, agiffoit de concert avet fes frères j
affemblà des troupes, tandis que don Alvar en affem-
bloit de fon côté au nom du roi j en forte que la guerre
fembloit inévitable, ôc quelques efforts que pût foire
la.ïeine douairière d’Aragon , fécondée par le cardinal
de Foix, légat du pape, elle ne put empêcher les
fuites de cette querelle, qui des deux cotés fit répandre
beaucoup de fane. Il eff vrai que par les foins , la valeur
Ôc le zèle au connétable, Jean I I eut enfin de
l’avantage fur les mécontens , ôc qu’il dépo.fféda foc-
ceffiveraenties infans des places qui leur appartenoient.
Après beaucoup de fièges & de combats, Jean conclut
une trêve avec les rois d’Aragon & de Navarre, Ôc tes
conditions de cette trêve furent que les exilés & les
mécontens refteroieht dansâtes lieux oh ils étoient
ôc que don Henri évacueroit le château d’Albuquer-
que, feule place qui lui reffoit encore. C ’etoit-là fuf-
pendre feulement les troubles ôc ne rien terminer •
mais Je roi de Caftilie qui depuis long - temps médte
toit de tourner fes armes contre les Maures, crut
gagner beaucoup en fe procurant le temps ôc la liberté
de remplir fon prqjet II réuffit au gré de fon attente,
ôc après avoir remporté une victoire fignalée fur
les Maures de Grenade, il détrôna Mahomet le Gaiir
cher, ôc fit paffer le feeptre à Jofeph-Ben-Muley ,
petit-fils de ce roi de Grenade , , que Pierre le Cruel
avoit poignardé à Séville : le nouveau fouveràin
Maure , plein de reconnoifTance , fe reconnut vaffai
de Caftilie, ôc par cette fournifiion vraiment glo-
rieufe pour Jean I I , les hoftilités cefferent. Mais
tandis que le roi de Caftilie difpofoit à fon gré d’un
royaume étranger , le lien étoit violemment agité
par les troubles, l’ambition ôc la licence des faâieux,
Le roi y vint, ôc l’armée qui l’accompagnoit en
impotei aux rebelles ; L’infant don Henri fe fournit ,
évacua toutes les places qu’il tenoit, ôc parut déterminé
à ne plus remuer. Pendant que Jean I I soceiipoit à
foumettre les rebelles, il arrivoit à Grenade une révolution
qui rendoit inutile la glorieufe guerre que les
Caftilians avoient faite dans ce royaume ; Jofeph-Ben-
Muley mourut, ôc Mahomet-le-Gaucher , qui depuis
fi peu de temps avoit perdu Ja couronne, fepréfenta,
fut reconnu, remonta fur le trône ; le roi de Caftilie
fut obligé de diffimuler , les circonftances ne lui permettant
point d aller donner aux Maures de Grenade
un nouveau fouveràin ; car alors il avoit à diftiper
ôc à punir une conjuration nouvelle. Bienfaiteur de
don Frédéric, comte de Lunâ, ôc fils naturel de don
Martin, roi de Sicile , ÔC qui avoit été l’un des prétendants
a la couronne d’Afagon, il ne s’attendoit point
à trouver en don Frédéric un ingrat ôc un traître.
Mais Frédéric, homme {ans moeurs Ôc.fans principes ,
épuifé , appauvri par fes prodigalités , forpia , de
concert avec quelques fcélérats, le complot de s’emparer
de Séville , d’y porter le fer ôc la flamme, de
piller pendant le tumulte les riçheffes des citoyens ÔC
des marchands, entente d’équiper une flotte ôc d’aller
infefter les mers. Cette trame fut découverte peu de
temps avant le moment fixé pour fon exécution. Les
Complices de F r é d é r i c périrent fur l'échafaud, "ôç
Frédéric lui-fnême eût expiré dans les fupplïc« , fi la
haine que Jean, lui connoiffoit pour le roi d’Aragon
ne lui eût fauvé la vie : on fe contenta de l’enfermer
à perpétuité. Cette conjuration diflipée, le roi de
Caftilie recommença la guerre contre les Maures de
Grenade ; ôc afin de lui donner plus d’autorité, ôc de
pouvoir y employer toutes fes forces, il conclut,
après bien des difficultés ôc une longue négociation,
uu traité de paix avec les rois d’Aragon ôc de Navarre. '
L’une des conditions de cette paix étoit que 1e prince
des Afturies, don Henri, épouferoit l’infante dona
Blanche , fille du roi de Navarre ; cette claufe fut la
première remplie, ôc l’infante' dona Blanche, la plus
belle perfonne d’Efpagne , fut anie au prince des Afturies
, qui ne pouvant également accomplir ce mariage,
fut obligé dans la fuite de confentir à fa diffolution.
( Voye^ Henri IV , WÊÊ JEfpagne. ) Libre de toute
inquiétude, ôc croyant le calme rétabli dans fes états,
jean I I ne fongea plus qua continuer la guerre contre
les Maures de Grenade ; mais au moment d’entrer en
campagne , fa furprife ôc l’étonnement du connétable
don ATvar , fon miniftre ,- furent extrêmes, lorfqu’ils
apprirent que la plupart des feigneurs étoient allés
avec leurs troupes, joindre les mécontents qui s’étoient
raffemblés, ôc qui avoient à leur folde une armée formidable
, ôc à leur tête l’infant don Henri. Le roi de
Caftilie irrité de ce nouvel obftacle, fit les plus grands
efforts pour balancer les efforts des rebelles ; mais le
nombre de ceux-ci s’accroiffoit chaque jour. Au milieu
de cet embarras, Jean I I reçut une lettre lignée du
roi de Navarre, de l’infant don Henri ÔC des principaux
d’entre les rebelles,. qui lui marquoient que ce
n’étoit point contre lui qu’ils avoient pris les armes,
mais contre don Alvar de Luna , qu’ils çhargeoient
des plus grands crimes, des plus odieufes déprédations.
Le roi de Caftilie indigné , ÔC comptant mortifier
les mécontents, nomma aux charges de la maifon
du prince des Afturies, ôc mit le connétable à la tête :
mais il étoit bien loin de fe douter que le prince des
Afturies lui - même , alloit, par les confeils de don
Juan Pacheco, fon favori , prendre des liaifons fe-
crettes avec les mécontents , ainfi que la reine fa mère.
Il découvrit bientôt cette trame , ôc il ne changea
rien à la réfolution qu’il avoit prife de furprendre. les
rebelles ôc de punir leur audace ; mais il fut lurpris
lui-même par les confédérés à Medina-del-Campo j
ôc£fe voyant en leur pouvoir, il fut contraint d’accepter
les conditions humiliantes qu’ils^lui imposèrent, ÔC
de jurer que le connétable refteroit éloigné de la cour
pendant ux ans, après avoir donné fon fils en otage.
Les rebelles,, dont la ligue s’étoit encore fortifiée par
lé fuccès, contraignirent le roi à convoquer les états,
ou il ne fut rien ftatué que par eux : il eut même la
douleur de voir fon fils, le prince des Afturies, venir
dans le confeil, ôc exiger impérieufetnont qu’on chaisât
de Ja maifon du roi plufieurs des principaux officiers,
ôc tous ceux que le connétable y avoit placés, Ces
a&es d'humiliation ne fatisfirent point encore les rebelles,
ÔC le roi dë Caftilie fut gardé à vue par deux d’entr’eux,
qui eurent ordre de ne le point quteîer : ce dernier
Hifloîre, Tome IU,
trait le jetta dans la plus profonde mélancolie. Mais
peu de temps après, l’évêque d’Avila travailla avec
tant de zèle à. lui faire rendre la liberté , qu’il y
parvint, ôc le prince des Afturies gagné par les confeils
de Pacheco, fon favori , que l’éveque , à force d’argent
, avoit mis dans fes intérêts, fe détachant de la
ligue avec autant de légèreté qu’il y étoit entré ,, prit
de fi fages mefures avec don Alvar, qu’au mom ent
oh les deux partis étoient prêts à combattre , le roi
trouva moyen de fe fauver , Ôc alla fe mettre à la
tête de ceux qui s’étoient déclarés pour lui ; dès ce
moment, la fortune abandonna la caufe des confédérés
, qui néanmoins voulant terminer la querelle par
nne aâion décifive , préfentèrent la bataille à l’armée
royale. Ils furent vaincus , mis en déroute : il en périt
une grande partie, ôc l’infant don Henri, le plus turbulent
ôc te plus dangereux de tous , fut bleffé, Ôc
mourut peu de temps après. Jean I I , vainqueur des
rebelles, envoya fur l’échafaud tes principaux d’entre
tes prifonniers de guerre , ÔC confifqua les biens de
tous ceux qui avoient été pris les armes à la main.
Cette vi&oire ôc la févérité du roi aurôient pu rétablir
le bon ordre, fi le prince des Afturies, fous
prétexte que fon père ne lui avoit pas cédé quelques
places, qu’il prétendoit lui avoir été promifes, ne fé
fût retiré mécontent à Ségovie, ôc n’eût fomenté de
nouvelles diffenfions. Quelque temps avant la vi&oire
d e Jean I I , la reine dona Marie fon époufe , étoit
morte, Ôc les mécontents avoient accufé don Alvar
de l’avoir empoifonnée. Don Alvar ne jugea pas
même à propos de repouffer cette imputation ; ôc
fon filence , ainfi que la méfmtelligence qu’il y avdk
entre lui ôc la reine, femblent donner du poids h
cette grave accufation. Quoi qu’il en foit , 1e connétable
, teins confulter fon maître , propofa à la cour
; de- Portugal de le marier avec dona Ifabefte , fille de
Juan , infant de Portugal : cette propofition fut
acceptée, ôc ce ne fut qu’alors que don Alvar en fie
part à fon maître ; Jean en fut très-offenfé : il n’ofa
pourtant le contredire, ni 1e defavouer, mais il commença
dès cet inftant, à concevoir pour lui une très-
forte haine , ôc qui ne tarda guère à devenir fatale
à l’ambitieux favori. Cependant le prince des Afturies,
aufii mauvais fils qu’il fut enfuite mauvais ro i, ne
ceffoit de cabaler contre fon père, blâmoit hautement
fa conduite , ôc fe déchaînoit contre lui avec
tant de licence, qu’on difoit publiquement qu’il ne fe
propofoit pas moins que de 1e détrôner, fous prétexte
que le roi de Caftilie fecondoit ôc protégeoit les déprédations
du connétable don Alvar. L’état fouffroit
de cette méfmtelligence ; ôc pour comble de malheur
les, puiffances étrangères profitant de ces divifions,
faifoient fur les frontières de cruelles irruptions. Les
Gaicons , fufeités par le roi de Navarre , entrèrent
ôc portèrent la dévaftation fur les terres de Caftilie ,
tandis que le roi de Grenade s’emparoit des meilleure«
places ôc faifoit un grand nombre d’efclaves, appuyé
en feçret par le prince des Afturies, qui , pour rendre
fon père odieux par les progrès des Mahomérans,
défefldoit aux villes qui dépendoient de lui, de fecourh: