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la jaloüfie divifoit toujours , maigre la trèvê , les
.Caftillans & les Portugais ; le mécontentement & la
haÿie allèrent fi loin, que les premiers ayant manqué
à l’exécution de quelqu’une des conditions de la trêve,
jkan / fit une irruption fur leurs terres , & s’empara
de quelques places : mais tandis qu’il y fàifoit des
progrès qui lui promettoient des fuccès plus confidé-
rtbles, les états étoient menacés-d’une révolution à
laquelle il ne s’attendoit pas. Don Denis de Portugal,
à la tête d’un corps nombreux de Caffillans, & ibu-
tenu par quelques feigneurs Portugais faéüeux, s’avança
des frontières de ce royaume, y pénétra, & paflant
julqu a Bragance , s’y fit proclamer roi. Toutefois
cet orage, qui paroiffoit fi formidable, fut bientôt
diflipé par l’aâive valeur du connétable qui mit les
factieux & les Gaftillans en fuite, obligea Denis de
fe retirer précipitamment, & rendit le calme à l’état.
Un nouvel événement acheva d’affermir la tranouil-
lité publique ; le roi de Caftille mourut, & la reine
. dona Catherine, fon époulè, régente &. tutrice de
don Juan II , Ion fils, fit convertir la trêve en
paix , à la fatisfaéfion des deux royaumes, de Jean 1
fur-tout, qui ne defiroit que d’avoir le temps & la
liberté de travailler au bonheur de les fujets : il s’y
confiera tout entier : il rétablit l’autorité des loix
énervée pendant les derniers troubles, il ramena le
bon ordre , encouragea les citoyens utiles, intimida
las citoyens pernicieux, & malgré la févérité nécef-
faire qu’iHe crut obligé d’employer, i f ne cefià point
ffêtre aimé, parce que dans aucune circonfiai!ce fi
ne cefîa point d’être affable & acceffible. Les feigneurs
avec lefquels il avoit jadis vécu d’égal à é^al,
ifirent toujours reçus dans fon palais de la même manière
: il fupprima la vénalité des charges oui ne
furent plus accordées qu’au mérite ; il diminua les
impôts, attira l’induffrie^par les récompeniès 8c les
diftinéfions qu’il accorda aux artiftes. Lorfeu’il fat
parvenu à rendre les Portugais aufli heureux, & fon
royaume aufli floriflant qu’il l’aveit defiré, feus pré-'
texte de fe venger du comte de Flandre qui trou-
bloit le commerce de les. fujets , il fit d’immenfes
préparatifs de guerre par mer & par terre. Le comte
de Flandre, informé par Jean I lui-même du véritable
but de ce grand armement-, feignit de fon côté
de fe préparer à une vigoureufe réfiftance. Les Maures
d’Afrique étoient Punique objet de ces préparatifs ;
le roi de Portugal avoit projette d’aller à la tête de
fes troupes les combattre. Vainement la reine, fon
cpoule, fit tous les efforts pour le diffuader de cette
expédition , il s’embarqua ; & la reine conçut de
fon abfence un chagrin fi profond & fi vif , Welle
tomba malade & mourut, aufli amèrement regrettée
de la cour & de la nation qu elle le fut du roi. La
flotte Portugaise compofée de cinquante-neuf galères ,
de trente trois vaiffèaux de ligne 8c de cent vingt
vaiffeaux de tranfport, montés par cinquante fnïue
hommes, alla débarquer près de’ Ceuta,-qui fut tout
de fuite afliegée ; la réfiffance des Maures fut longue,
opiniâtre ; mais la valeur des rffiégeans l’emporta\ la
fin , & cette place fut obligée 4 e fe rendre à Jean I ,,
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qui, après avoir battu les Maures fur terre &fur mer ’
fortifia Cerna, y Iaifia, une forte garnifon, & revint
triompha it dans fes états. La fortune fecondoit ce
fouverain iiiuftre dans toutes, fes entreprit s ; rien ne
manquoit à fon bonheur : aimé, des Portugais, eftimé
& craint des puiffances étrangères , il étoit encore plus
heureux dans fa famille. Il avoit plufieurs fils : ils fe
diflinguoient tous par de rares talens , d’excellentes
qualités , fur-tout par leurs fentimens de zèle, de ref-
.peâ Si. d amour, pour leur père, .Edouard 3 l’aîné de
les enfens, d’une prudence confommée , éfoit ,rquoi-
que jeune encore, capable de tenir les rênes du gouvernement.
Henri, duc de Vifeu , plus jeune encore
avoit la direâion des aifeires d’Afrique, & elles ne iuou-
voient être confiées,à un direfleur plus fage.ru plHS
éclairé. Ce fut lui qui le premier donna aux Portugais ce
gcût des découvertes qui, dans la fuite, s’eft communiqué
au relie des nations Européennes : ce fut encore
Isi qui ayant remarqué dans le périt royaume d’Al-
garve , un terrein fer & commode , .à-peu-près à
deux lieues du cap Saint-Vincent , y fit conftruire
Sagiès , l’use des villes les plus fortes du Portugal,
& la mieux fituée. Jean ƒ , qui lui-même étoitl’im
des princes les plus éclairés de fon fiècle. favoit apprécier
le mérite & les talens de fes enfers; ils le
rendaient heureux , & il ne chetcha.de. fon côté .qu'à
faire leur bonheur, & leur donner des preuves, de fa
tendrefle. Il demanda l’infante, dona Léonore ", fille
de don Ferdinand, roi d’Aragon, en mariage .pour
le prince Edouard , héritier préfomptif de. Ta eou-
roroie ; il obtint cette princeffe qui apporta, en dot
à fon époux deux cens mille .florins .d'or:, ces qui
dans .ce fiècle étoit la dot la plus riche qu’une prm-
cefle pût avoir. Dona Ilàbefle d’Aragon ,. fille .du
comte d’Urgel, fut mariée à I’infent don Pedre : Jean
maria auffi fe fille dona Ifebelle à Philippe le Bon;,
duc de Bourgogne; & ce fus encore lui qui fit le
mariage de. T’infent don Juan avec dona, Ifebelle de
Portugal, fuie dé don Alphonfe, frère naturel du roi
& de la fille du connétabje. Ce connétable; dooNugno-
Aharez-pereyra , refpeéîâfcle vieillard, ancien ami
du roi, & qui avoit rendu à l’état les pjus ïmpoftans
fervices’, viyoit dans la retraite depuis quelques années ;
>j mourut, & cette perte fit fur Jean, dont la fente
s’aSbibiiffoit depuis quelque temps, la plus forte im-
preffion : il cacha fon état d’affbibüffement, pour ne
point alarmer lès enfens qu’il aimoit comme lui-même,
& fes fujets. qu’il chéiiffoit autant que fes enfens ; mais
il fentit bientôt que fa fin approchoit, de après avoir
donné les plus feges 8c les pluyiriles confiais à Edouard,
il mourut le 14 août 1433 , âgé de foixante-feize ans
& dans la quarante-huitième année de fon rèt>ne. Sa
mort répandit la confteination dans le royaume qui lui
avoit les plus grandes obligations. La veille de fa mort ,
il voulut être tranfponé à Lisbonne , afin de mourir
dans le même lieu oh il étoit n é , tant il fut attentif juf-
qtrau dernier moment de. fe vie, à captiver la bienveii \
lance des Portugais. Cet art paraît facile ; cependant
peu de rois te pofsèdent, & fur-tout à utj degré aufli
éipinçnt que le poiRda Jean I. (L , C.\ i p
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tïïan Iï Yuriiommé le Parfait , foi de. Portugal,
/ jj j f i de Portugal. ) La févérité portée jufqu a la plus
inflexible rigueur, peut devenir aufli l’une des perfeâions
humaines ; car les Portugais eux-mêmes donnent à Jean
IJ , le furnom de parfait ; & cependant il fut l’un des
rois les. plus févères qui euflent encore occupé le trône.
Sa juftice n’épargnoit aucun coupable, 8l on le vit porter
ce zèle pour la juftice , jufqü’à exécuter lui-même
l’arrêt de mort qu’il avoit prononcé. Toutefois , il me
femble que quand même Jean 11 n’eût point rempli la
fonélion de bourreau', il n’en eut pas été moins par- j
fait. Il eft vrai que ce furent parmi les grands, les factieux,
& dans les derniers rangs, les brigands & les
fcélérats qui eurent le plus'à fouffrir de fon inflexibilité.
Du refte, il ne s’occupa que du foin d’affurër le bon-r
heur de la nation, & il mit en-ufage des moyens qui lui
réuflirent : il fut prudent, trè's-éclaire ; il fit des loix
très-fages , veilla à leur obfervation ; & ce fut vraifem-
blablement à raifon de cette conduite., qu’on lui donna
le furnom de parfait : mais encore une fois, moins de
rigueur en lui n’eût pas été, à mon avis, une jmper-
feûion : car, je me trompa fort, ou l’extrême févérité
touche de bien près à la cruauté ; & ce roi ne fut rien
moins que-doux 8c indulgent. Redouté, avant que de
monter fur le trône, par la dureté de cara&ère dont il
avoit donné des preuves pendant l’abfence du roi Alphonfe
V fon"père, il ne démentit point l’idée qu’on
avoit de lui, quand , pofTefleur de la couronne , il jouit
feul de la fouveraine puiflancé. Fils d’Alphonfe V , &
de dona Ifabelle, fille de don Pedre duc de Conimbre,
iHîiivit 8c féconda fon père dans la guerre d’Afrique,
& fe fignala par fa valeur, autant qu’il faifoit craindre
les devoirs de la difcipline militaire ; fournis lui-même
aux ordres de fon père , il puniflbit la plus légère in-
fraâion aux loi’: de la fubprdination. Après la mort
d’Alphonfe V , peu content d’exécuter le teftament de
ce fouvérain , il récompenfa tous ceux d’entre les officiers
& les ' domeftiques de fon prédécefleur, dont il
n’avoit pas fait mention dans ce teftament, foit par-
oubli, feit qu’on leur eût. rendu de mauvais offices.
Il déclara enfuite que c’étoit moins lui que les loix qui
allaient régner , 8c qu’il ne cefleroit de veiller à leur
©blèrvation. Dans fa jeunefle, il avoit témoigné la plus
vive amitié à un homme, & lui av'oit même promis
par écrit de le créer comte, auffi-tôt qu’il feroit élevé
fur le trône. Gêt homme comptant fur cette promefîe ,
•‘s’empreifa d’aller la préfenter au nouveau fouvérain,
qui là lut, & la déchirant, dit que tout ce qu’il pouvoir
faire étoit d’oublier cette obligation ; que des prô-
mefles"faites par de jeunes princes fans expérience,
à lëurs comipteurà, ne doivent point être remplies ,
•& que même c’étoit dans ce cas, une grande faveur
que de ne pas. punir les porteurs de pareils écrits. Les
états aflcmblés, Jean I I fit publier de nouvelles loix,
' 8c dés réelemens de réforme , qui extirpoient tous les
abus qui s’étoient introduits dans l’adriiiniftration de la
‘ jùftioe : il ordonna entr’autres chofès, cjue défermais
les criminels n’auroient point de refuge , & ferôiënt ar -
Jetés dans tous les lieux du royaume indifféremment.
Avant cette ordonnance il y avoit en Portugal une
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foule d’afyles où ks criminels les plus pûniflablès étoient
en fûreté. Les palais des grands fur tout étoient autant
de refuges regardés comme inviolables. L ordonnance
du roi rit murmurer ces grands, qui fe plaignirent
hautement, & dirent nue c’etoit attenter au plus fâcré
de leurs privilèges : ils craignirent des réformes encore
plus'gênantes ; & le duc de Bragance qui fe croyoit
encore plus lézé que les autres , pour arrêter le cours de
ces innovations, fe ligua fècretementpar un traité,
avec don Ferdinand, roi de Caftille & d’Aragon.
Jean H fut informé de ce traité, & ne voulant point
encore éclater contre le coupable, époux de la fleur
de la reine, il ne lui cacha point qu’il étoit inftruit de
tout , l’avertit de renoncer à ces intrigues criminelles -,
& à cette condition promit de lui pardonner. Cet avis
ne corrigea point le duc de Bragance, il continua,
de cabaler : Jean le fit arrêter à Evora r où, fon procès
fait en très-peu de# jours, il eut la tête tranchée. Cet
exemple infpira de* la terreur aux feigneurs qui, ne
pouvant plus fe flatter , de l’impunité ; cefsèrent de
murmurer fur-tout de former des complots. L’un
d’entr’eux cependant, le duc de Vifeu, frère de Ta
reine, fut afiez téméraire, pour fermer les yeux fur la
févérité de cet exemple , •& afiez audacieux pour entrer
dans, une confpiration contre la vie de fon beau-frère.
Le fecret de la confpiration n’échappa point à la vigilance
du roi : il invita le duc à venir à Setubal, fous
prétexte de quelques affaires importantes qu’il avoit à
lui communiquer. Le duc s’y rendit. Le roi le tirant à
d’écart : Que feriez-vous , lui dit-il , à celui qui en vou~
droit à vôtre vie ? Je le tuer ois de ma propre main,
répondit le duc : meurs donc, répliqua le roi en lui-
perçant le coeur d’un coup de poignard. Le crime du
duc de Vifeu étoit atroce ; mais l’aêlion de Jean n’eft-
, elle pas encore plus atroce? Et châtier ainfi, n’eft-ce
pas afiafliner 8c non punir ? Quoiqu’il en foit, le roi
dennoit dans le même temps les preuves les plus figna-
lées de fon équité & de fon défintéreflement. Il vintoit
les provinces, examinoit par lui-même- fi fes fujets
n’avoient pas à fe plaindre de la partialité ou de la
prévarication des juges ; remettoit au frère du duc de
Vifeu, tous les biens conrifqués fur ce dernier, dont
les complices périrent tous dans les fùppliees» Il fit auffi
d’excellentes loix fpmptuaires : il ne permit qu’aux
femmes de porter'de la foie, de l’argent & des pierreries
: il réduifit à la moitié; les droits du port de Lisbonne
; & y attira par ce moyen, une foule de vaife
féaux marchands, qui doublèrent .le revenu du produit
de ces mêmes droits. Il alla à Setubal faire équiper
lui-même contre les Maures d’Afrique une flotte dont il
donna le commandement à don Diegue d’Alméïda, qui
eut de grands fuccès à Anafe, où les Maures furent
battus. A peu-près. dans le même temps, Jean I I donna
ordre à don Pedre de Covillant, & à don Alphonfe
Payva daller par terre en Orient , de s’informer
exactement des prodqBtons de ces pays., des chofes
que Ton y trouveit & d’où on les droit. Ces deux
voyageurs réuflirent, & c’eft à eux que l’on fut re-
deyabie de la découverte d’un nouveau chemin par
mer pour aller aux Indes Orientales. On reprocha