
noiffoit les fentîments pacifiques : il y refta plufieurs
jours fous prétexte, de travailler à une réconciliation,
nais en effet pour débaucher fon armée. Lé monarque
fe trouva prelque feul le jour du départ du
pontife : telle fut l’excellent^peuvre qu’opéra le foint-
père. Louis ne pouvant fe déterminer à s’échapper
en fugitif, une cohorte vint le fommer de fe rendre
de la part d^ Lotaire : toutes les loix de la .nature
furent violées , un pere fut obligé d’obéir à fon fils
qu’il avoit fait roi, empereur & pour ainfi dire fon
éjal : l’infortuné monarque eut peiîie à obtenir qu’on
rdpelteroit les jours de l’impératrice fon époufe &
du prince Charles fon fils : Louis, qui avoit tout a
c aindre de la part de cette ame dénaturée, exigea le
ferment de Lotaire, qu’il ne leur feroit couper aucun
membre : on voit par ce ferment quelle pouvoit être
la féroci.é de ce fiècle affreux. Louis eft obligé de
Livre en efclave le char de ce perfide fils qui, après
î*avoir traîné de ville en ville , le refferre dans une
prifbn de moines à Soiffons. U eft impoffible de
rendre les traitements affreux qu’on lui fit effuyer :
le grand but étoit de le déterminer à fe faire moine,
& Ton croyoit y parvenir en multipliant fes fouf-
frances. On favoit que l’impératrice Judith & fon fils
Charles étoient le feul lien qui l’artachoit au monde.
On ne cefibit de lui repéter qu’ils étoient morts. 11 ne
pouveit en apprendre de nouvelles, étant fans ceffe
entouré de gardes. Son coeur étoit déchiré des plus
cruels regrets : un religieux, qui ne put être témoin
de tant de douleur., lui gliffaün billet comme il lui
préfentoit l’hoftie , & lui apprit que fon époufe &
fon fils étoient encore en vie. M^otaire ne pouvant
réuflïr à lui faire prendre l’habit , forma la réfolu-
tioii, par le confeil des évêques , de le mettre en
pénitence publique : cette pénitence rendoit incapable
du gouvernement : il falloit lui fuppofer des
crimes & le forcer à s’en avouer coupable ; ce fut
pour exécuter cet exécrable projet qu’il convoqua
txie affemblée d’états ; cette affemb’ée féditieufe fe
tint à Compiegne. « C’cft alors, dit Mu raton , qu’à
» la honte du nem chrétien, on voit les miniftres de
» Dieu faire un abus impie d’une religion toute
w fàinte, pour épouvanter, pour détrôner un prince
v malheureux, & le forcer à s’avouer coupable des
» crimes fuivans : d’avoir permis la mort de fon
» neveu Bernard, & d’avoir forcé fês frères natu-
» rels à le faire moines, deux prétendus crimes dont
» i l . avoit déjà fait pénitence : d’avoir violé lès fër-
«> ments en •révoquant le partage qu’il avoit fait de
» la monarchie, & contraint fes fojèts à foire deux
n ferments contraires, occafion de beaucoup de par-
v jures & de grands troubles : d’avoir indiqué pen-
» dant le carême une expéd tion générale, ce qui
» n’avo't pa„ manqué d’exciter de grands murmures :
» d’avoir payé de l’exil & de la confiscation des
» biens ceux de fes, fidèles lu jets qui Fétoient allés
» trouver pour Fmformer des défordres de l’état &
» des embûches qii[on lui dreffou : d’avoir exigé de
» lès fils & de fes peuples différents fermens con-
« frajres à la juftice ; d’ayoir fait diverfes expédi-
„ dons militaires, dont les fruits avoient lié des ho*
micides , des focrilèges, des adultères, des incendies
fens nombre , & l’oppreffiôn des pauvres,
» l?us ?r'mss dont il devoit répondre devant Dieu :
w d avoir fait des partages de la monarchie en ne
n çonfoitant que fon caprice : d’avoir troublé la paix
generale ; d’avoir armé fes peuples contre fes fils,
au lieu, d employer fes fidèles ferviteurs & fon autorité
paternelle à les foire vivre en paix ; enfin,
” fi avoir mis fes^ fujets dans la néceffité de commet-
M îre. un® *nfin:te de meurtres , lorfque fon devoir
” etoit d entretenir la paix entr’eux , & par-là de
” procurer leur fûreté. Sur. ces griefs mal imaginés ,
P eveques font entendre à ce pieux empereur
” quil avoit encouru l’excommunication ; & que ,
” s’ü vouloit fouver fon ame, il avoit befoin de foire
” pénitence : ce 'prince trop fimple fè laiffe traiter
” comme le veulent ces prélats ( comment eût - il
v fait autrement ? ) dont la confidence s’étoit ven-
” fiue a Lotaire. Louis fe dépouille de la ceinture
n niilitaire & des ornements impériaux, fe revêt d’un
” cilice , & condamne lui-même toutes les allions
” de fon régné : c’en eft affez pour que Lotaire croie
” fon père déchu de l’empire : mais comme il s’en
” mefioit, & qu’il comptait très-peu fur le peuple,
” ü continue de le foire garder étroitement , fans
n permettre que perfonne lui parle , fi ce n’eft îe
» petit nombre de gens deftinés à le fervir ; le peu-
» pie témoin de cette trifte feène fe retire confus de
» chagrin ». Certainement les annales du monde
ne préfentent point d’exemple d’un prince aufli bon ,
auffi fenfiblement outragé. Louis ne fit cet aveu I ou
plutôt ce menfonge qu’après y avoir- été forcé : on
multiplia les mauvais traitements pour l’y contraindre.
Cette guerre excitée par des tracafferies domefe
tiques, fut terminée par une intrigue. Les moines
avoient joué un grand rôle dans une feène où il s’agi £
foit de déterminer Louis ou à fe ponfeffer , ou à
prendre l'habit religieux. Ils avoient de fréquens entretiens
avec les fils du monarque, ils parvinrent à les
rendre fufpeéfs les uns. aux autres & à les divifer.
Lotaire abandonné de fes frères , ne fut plus affez
puiffant par lui-même pour confommer fon attentat :
les liens de l’empereur furent rompus , il fe trouva
avec furprifè'fur le trône,, également confondu par fe
bonne & par fa mauvaife' fortune. Ses malheurs lui
donnèrent un caraltère de timidité qu’il ne fut vaincre.;
fa cour fut agitée par de nouvelles tracafferies. Les
rois d’Aquitaine & de Bav ère regardèrent moins
comme un devoir que comme un fervice d’avoir
confpiré pour lui rendre la liberté qu’ils lui avoient
ôtée de concert avec Lotaire. Ils voulurent être dépo-
fitaires de l’autorité, & en quelque forte les maîtres.
Mais l’impératrice Judith avoit auffi recouvré fe
liberté : elle étoit jaloufe de l’auforité, & ne vouloit
la reprendre que pour fe venger des injures qu’elle
avoit reçues d’eux & de Lotaire. Cette princeffe politique
retint les premiers mouvements de fa haine ; &
c’etoit par leurs propres armes qu’elle afpiroit à les
perdre : elle permit £ue l’empereur fon mari augmeatât
les domaines de Pépin & de Louis, mais elle fit
déclarer Lotaire déchu de fes droits à l’empire. Il lui
feïloit beaucoup d’adreffe pour cacher, fes deffeins de
vengeance : la cour étoit gouvernée par un efprjt de
fuperftition à peine .concevable ; le lefteur en jugera
par ce trait. Lotaire qui avoit tout à redouter de fa
difgrace , afpiroit à fe réconcilier ayee fon père.
Angilbert, archevêque de Milan, fon ambaffadeur,
fin reçu favorablement. « Saint archevêque, lui dit
l’empereur, « comment doit-on traiter fon ennemi ?
v Le Seigneur, répondit Angilbert , ordonne dans
» fon évangile , de l’aimer & de lui foire du bien ».
Si je n’obéis pas à ce précepte, reprit Louis ? « Vous
» n’aurez pas la vie éternelle , répliqua île prélat ».
L’empereur fâché d’être obligé de renoncer à fa vengeance
ou au paradis, convint d’une conférence:
pour le lendemain avec l’archevêque » & $ s’y fit
accompagner par tout ce qu’il y avoit de favant a
fa cour. » Seigneur ; dit Angilbert, pour ouvrir la
» controverfè , favez-vous que nous fomipes tous
» frères en Jefus-Chrift? O u i, répondirent les affif-
tf tans, car nous avons tous le même père dans les
» cieux. L’homme libre, continua Angilbert, le ferf,
» le père, le fils font donc frères. Or l’ap .tre S. Jean
» n’a-t-il pas dit que qui hait fon frère eft homicide ,
» & un homicide peut-il entrer dans la béatitude
» éternelle »? A ces mots tous les favans de l’empereur
s’avouèrent vameus , êç lui-même pardonna â
Lotaire ; mais' il le refferra toujours dans les bornes
du royaume d’Italie, fans lui rendre le titre d’empe*
reur î cependant les rois d’Aquitaine & de Bavière,
plus jaloux du crédit de l’impératrice dont Us ^voient
pénétré les intentions dans l’augmentation de leur
partage, que reconnoiffans de fes perfides bienfaits,
entretinrent des liaifons avec Lotaire : mais, pour
déconcerter leurs mefures , elle fit elle-même une
al-lance fecrette avec lui. Cette princeffe confultoit
toujours les intérêts de fon fils, &. jamais ceux de
fa haine ;, Lotaire , qui ne vouloit reconnoftre dans
fes frères que fes premiers lieutenants , fut flatté des
démarçhes de l’impératriee qui |e prioit de fervir dç
tuteur à fon fils, qui fut couronné roi de Neuftrie
& prefou’en même temps roi d’Aquitaine , par 1^
mort prématurée de Pépin: le roi Louis fut entière?
rement oublié & réduit à la feule Bayière dans
un partage qui fut foit. de toute la monarchie
entre Lotaire & Charles. Ce prince fut extrêmement
fenfible à cette efpèce d’exhérédation ; il prit
les armes & recommença la guerre civile ; l’empereur
le pourfùivit avec une extrême çhaleur ÔL le
força de fe refferrer dans fes limites, il ne put le
contraindre de même de renonçer à fentiments
de vengeance. L’empereur ne vit point la fin de
cette guerre ; il mourut dans une petite île vis-à-vis
d’Ingelheîm , épuifé de fatiguer & de chagrin : outre
Lotaire, Louis & Charles, ce prince laiffa trois fill.es
Àlvaïde , Hiidegarde & Gifelle. La première fut
mariée à Begon, comte de Paris : les Généàlogiftes en
font defcemd're Conrad I, roi ou empereur d’Allemagne:
fo feçQnde époufe un comte qomufe Thier ri; la cadette
le comte Everard : celle-ci donna le jour à Bérenger,
l’un des tyrans d’Italie. Louis le Débonnaire, dit Mu-
ratori, a fut un prince illuftre par la grandeur de fon
» amour & cfe Ion zèle pour la religion , & pour la
« difeipline ecçléfiaftique, par fon attention à foire
» rendre la juftice ; par fo confiance dans l’adverfité,
» par fa génèrenté à l’égard des pauvres & du clergé
» féculier & régulier ; prince qui n’eut point d’egal
» pour la clémence , pour la douceur & pour d’autres
» vertus qui le rendirent très-digne du nom de Pieux,
» mais étrangement malheureux dans fes fils du premier
» lit qui furent tous ingrats envers ce père fi ben, au-
» quel jl firent effuyer tant de traverfes ; & trop plein
» de tendreffe pour fa feçonde femme & pour le der-
a nier de fes fils , ce qui fut l’origine de tous les
» troubles. »
L’auteur des obfèrvations fur l’hiftoire de France i
met au nombre des foutes de Louis le Débonnaire les
tentatives que fit ce prince pour réunir les royaumes
en un feul empire. D'abord j’obferverai que cet écrivain,
dont je ne prétends point rabaiffer le mérite éminent,
ne s’eû point exprimé avec affez d’exaltitude i car bien
que la domination françoife fût partagée en plusieurs
royaumes, elle ne fonnoit cependant qu’une feule
monarchie. Cet auteur a voulu reprocher à Louis
d’avoir tenté de réunir la monarchie dans les mains
d’un feul. Et ç’eft, fans contredit, la^chofe qui doit lui
foire le plus d’honneur ; c’étoit le feul moyen d’affurer
la durée de cet empire ; ce que je dis n’a pas befoin
de preuyés, l’hiftoire démontre que ce fut la loi du
partage, que Louis vouloit abolir, qui le fit tomber
dans un état de langueur dont il ne fe releva jamais,
L’auteur des obfèrvations prétend s’appuyer du fuir:âge
de Charlemagne, qui, fuiva -t lui, partagea la monar-
çhie en trois royaumes, qu’il rendit abiolument inde-*
pendans les uns des autres ; il eft vrai que ce g rand
prince fe conforma à l’ufege que les François avoient
apporté de Germanie, & qu’il donna à chacun de fes
fils une part dans fes états ; pais rien ne prouve que
fon intention fût d’établir entr’eux une indépendance
afifolue, &s’4 étoit queftion de recourir à des indultions,
on en trouve plufieurs qui ne font pas favorables au
fentiment de çet écrivain. D ’abord les partages ne furent
point égaux ; il s’en falloit beaucoup, Louis le Pieux
n’eut que l’Aquitaine, & Pépin l’Italie ; Charles leur
aîné devoit avoir tout le refte de la monarchie quj
çomprenoit la plus grande partie de l’Allemagne, l’ancien
royaume d’Auftvafie & la Neuftrie , lui feul avoit
autant d’états que-fes deux frères enfemble. Cette iné*
o-alité de partage ne me paroît avoir été ménagée que
pour lui affurer la fouyeraineté fur fes frères qu’il auroit
exercée fous le titre d’empereur. Car une obferyation
importante, c’eft que la dignité impériale ne fin point
çonférée à plufieurs : Charlemagne fe regarda comme
indivifible ; & lorfqu il çourpnna fes fils, il eut foin de
les avertir qu’ils dévoient lui obéir pomme à leur empereur,
Enfin, fi l’on fonge que le titre d’empereur
que porta Charlemagne, n’ajoutoit rien a fa puiffance ,
on ne pourra fe refufer fie croire qu’il ne le prit que
comme un moyen réunir fe monarchie, dont le psgf
Ara a %