
& l’archevêque de Tolède le traita fi hautement
cTimpofteur & de fcélérat, qu’obligé de fortir des terres
de cet archevêché, il alla, fuivi du jeune roi, s’enfermer
dans Huete. Il n’y relia que peu de jours; St
déterminé à périr ou à perdre fes ennemis , ôt bou-
leverfer l’état, il fe rendit à Valladolid, affembla une
armée, & fit fommer la reine Berengere , avec fes
adhérans, de remettre à l’inftant même de la fommation,
toutes les places qu’elle tenoit. Don Alvar , à la tête
des troupes, étoit le plus fort; d’ailleurs,-accompagné
perpétuellement du jeune roi , il eût été dangereux de
le combattre, parce que c’eut été expofer la vie de
Henri. Dans cette fituation critique , dona Berengere
demanda du fecours au roi de Léon ; mais le régent, qui
avoit prévu cette démarche, afin de lui ôter cet appui,
s’étoit adreffé lui-même au roi de Léon, St lui avoit
fait demander, pour le roi de Caftille, l’infante dona
Sanche , en mariage ; cette propofition avoit été acceptée
, en forte que dona Berengere ne put point obtenir
de fecours du roi de Léon ; cependant la plus grande
partie des citoyens, opprimés eux-mêmes , s’intéref-
foient à fa caufe ; on murmuroit par-tout contre le
régent, on fe plaignoit hautement de fês violences &
de fa tyrannie ; il étoit détefté , & la guerre civile
alloit éclater, quand le plus imprévu des accidens vint
difliper ce menaçant orage , & arracher des mains
de l’oppreffeur les rênes du gouvernement. Don Alvar
étoit à Palence avec le roi , logé dans le palais épif-
copal. ; St cherchant tous les moyens de fe rendre
agréable "à ce prince , il lui procurait tous les amufe-
ments qu’il croyoit pouvoir lui plaire. Un jour que
Henri jouoit avec plufieurs jeunes feigneurs de ton
âge, l’un d’eux jetta en l’air une tuile qui tomba fur la
tête du roi, St le bleffa fi cruellement qu’il moufut
très - peu de temps après , le 6 juin 12 17 , dans la
troifiéme année de ton règne, Ôt dans la quatorzième
de fon âge. Qu’eût été, s’il fut parvenu à un âge plus
avancé, ce roi formé par les leçons & fous les yeux
de don Alvar ? ( L. C. )
Henri I I , roi de Léon & de Caftille. Opprimé par
la haine du plus cruel des frères , perfécuté, profcrit
par le plus féroce des tyrans , Henri I I vit fa jeuneffe
s’écouler au milieu des orages & des dangers. Formé
à la vertu par l’horreur que lui infpirèrent les crimes
St les vices de don Pedre , le plus pervers St le plus
fanguinaire des hommes , Henri ne dut peut- être
les talents fupérieurs qu’il montra fur le trône , les
aéfions qui l’illuftrèrent, & fa célébrité, qu’aux efforts
continuels que la néccffité de dérober fa tête à la plus
atroce des perfécutions, l’avoit obligé de faire pendant
plufieurs années ; tant il eft vrai que la meilleure des.
écoles eft celle de l’adverfité, & que les plus grands
rois ont été dans tous les temps ceux qui ont eu ,
avant que de gouverner les peuples, le plus d’obfta-
cles à furmonter 1 Henri I I , connu avant de parvenir
à la couronne fous le nom de comte de Tmnjïamare,
étoit fils naturel d’Alphonfe X I , roi de Caftille , qui,
en mourant, laiffa fes états à fon fils Pierre, fijufte-
ment furnommé le Cruel. Pierre fut à peine monté fur
le trône, qu’il exerça les fureurs d’un bourreau, plutôt
que lès fondions d’un fouverain : il prit plaifir à fe
baigner dans le fang de fes fujets. On fçait avec quel
farouche plaifir ce barbare fe jouoit de la vie des
hommes ; on fçait avec quelle infernale fatisfadion il
aimoit à égorger' les viéiimes qu’il avoit défignées
( Voye{ Pierre-le-Cruel. ). Sa cruauté menaçant la
vie de tous ceux qui l’entouroient, & fes parents les
plus proches étant ceux contre leiquels il tournoit le
plus volontiers fa brutalité, meurtrière , le comte de
Tranftamare fe fbuleva avec la plus grande partie dès
feigneurs, ôt fe ligua avec eux contre le tyran ; mais
cette confédératiôn n’eut point le fuccès qu’on en atten-
doit ; la fourberie ôt la cruauté de don Pedre prévalurent;
la plûpart des feigneurs ligués expirèrent par
les ordres St fous les coups du fouverain lui-même-;
St le comte de Tranftamare , réfervé par fon frère à
,un genre de mort plus atroce ôt plus douloureux,
: eut . toutes les peines du monde à éviter le fort qui
lui étoit deftiné ; il s’évada ôt paffa en. France. Il n’y
refta que peu de temps , & les befoins preffants de là
patrie, le rappèllèrent en Efpagne : il alla à la cour du
roi d’Aragon , qui étoit en guerre alors avec celui de
Caftille : mais Henri n’ofoit fe mettre encore à la tête
des troupes aragonoifes, dans la crainte très-fondée ,
que don Pedre, pour fe venger , ne fît affafliner dona
Jeanne-Emmanuel, fa belle-toeur , époufe de Henri 9
qui , à Toro, étoit tombée au pouvoir du tyran. Le
comte de Tranftamare fut délivré de fes alarmes par
les foins de Pierre Carillo , qui trouva moyen de
tromper la vigilance du roi de Caftille, ôt d’enlever
dona Jeanne-Emmanuel , qu’il conduifit à fon époux»
Don Pedre , furieux de voir s’échapper Tune de fes
viéiimes , tourna fà rage contre don Frédéric, fon
propre frère , & contre don Juan d’Aragon , fon
coufin , qu’il fit poignarder l’un ôt l’autre fous'fes
yeux : fouillé du fang de fes frères, de celui de là
- tante & de là belle-foeur qu’il avoit fait également périr,
avec tous ceux qu’il foüpçonnoit d’être attachés à fon
frère, il marcha contre celui-ci, il fut complettement
battu ; il fe dédommagea de ce revers par les nombreux
aflàlîinats qu’il ordonna, & par ceux qu’il commit lui-
même : la reine Blanche , fon époufe, la plus belle & la
plus vertueufe des femmes, mourut aum empoifonnée
par fon farouche époux. Le comte de Tranftamare,
réfolu de mettre fin à cette horrible fuite de crimes
ôt de profcriptions , alla en France , où l’on fe dif-
pofoit déjà à venger la mort de cette reine, foeur du
duc de Bourbon. Henri revint bientôt en Efpagne, &
tous les Caftillans exilés ou menacés d’être profcrits ,
fe joignirent à lu i, ainfi que les rois d’Aragon & de
Navarre. Ces illuftres confédérés s’afïèmblèrent, & il
fut convenu qu’on détrôneroit don Pedre, & qu’on
mettrait don Henri à fa place. Cependant les deux
rais , celui d’Aragon du moins, ne traitoit point de
bonne foi avec le comte de Tranftamare , à la vie
duquel il attenta plus d’une fois ; mais la fortune veilloit
for les jours de ce prince, qui avoit évité déjà plufieurs
trahifons de ce genre, torique le célèbre du
Guefclin , foivi d’une armée françoifo, ôt chargé
de venger la mort de Blanche, vint en Efpagne, St fe
joignit au comte de Tranftamare ; ils allèrent a Burgos
Sans le deffein d’y afliéger le roi de Caftille, qui y étoit,
& de fe rendre maîtres de fa perfonne. Mais don Pedre
s’enfuit à Séville , St les confédérés s’emparèrent de
Burgos , où une foule de feigneurs Caftillans serait
rendue. Le comte de Tranftamare fut reconnu & proclamé
roi de Caftille en 1366 , fous le nom de
Henri IL Le nouveau roi fignala fa reconnoiffance
par les bienfaits dont il combla les principaux confédérés
, St alla, fans perdre de’ temps, fe préfenter
devant Tolède , qui lui ouvrit fes portes. Don Pedre
tenta de fe retirer en Portugal, 'mais il n’y fut point
reçu ; il voulut fe retirer à Albuquerque, qui lui ferma
fes portes ; on l’eût également rejetté en Galice, fi
. l’archevêque de St. Jacques n’eût, à force d inftances,
déterminé les Galiciens à le recevoir.- Don Pedre
récompenfa le zèle de l’archevêque en le faifant affaf-
finer, ôt en s’emparant de tous fes biens. Après ce
meurtre, il s’embarqua pour Bayonne, ôt alla implorer
le fecours du prince de Galles, Cependant
Henri I I foumettoit lés provinces Caftillanes, où, au
lieu de trouver de la réfiftance, il ne voyoit que de
l’empreffement à quitter le joug de don Pedre. Celui-
ci , foutenu par le prince d® Galles, St par le roi de
Navarre, qui trahit lâchement Henri, fon allie, vint
fièrement préfenter bataille àTôn concurrent. Henri ,
malgré la défeflion du roi de Navarre , & contre
l’avis de du Guefcliq, accepta le combat, fut mal-
heureufement défait, & obligé de fe fauver preapi-
tamment en Aragon, d’où il paffa en France. Don
Pedre ne goûta d’autre plaifir dans cette viéfoire , que
celui de le baigner dans le fang des partifans de fon
frère ; il fit périr dans les tourments tous ceux qui
eurent le malheur de tomber en fà püiflànce ; les femmes
ôt même les enfants n’échappèrent point à fa barbarie.
Mais pendant qu’il s’abaiidonnoit a toute fa férocité,
Henri I I obtenoit de puiffants fecours de la France,
& intéreffoit à fà caufe le pape Urbain V , qui lui
accorda le droit de fuccéder, quoique fils illégitime
d’Alphonfe, aux états de Caftille, ôt qui même lui
fit remettre une fomme très-confidérable d’argent : avec
ce fecours, Henri 11, à la tête d’une forte armee ,
revint en Efpagne , ôt entra en Caftille, dont il fe
rendit bientôt le maitre , ainfi que du royaume de
Tolède ; la ville de Léon , la plus grande partie
de ce royaume , ôt les Afturies fe fournirent à lui.
Tolède feule refufoit fon obéiffance-, ôt foutenoit le
fiège : don Pedre , ligué avec le roi de Grenade,
entreprit pour fon malheur, de. délivrer cette ville ;
il fe mit en marche ; ôt Henri, averti de fon entre-
prife, alla à fa rencontre fuivi de toutes fes troupes.
Bientôt les deux armées fe rencontrèrent ; ôt à peine
le lignai eut-il été donné, que les troupes de Pierre-
le-Cruel prirent la fuite , ôt abandonnèrent leur chef.
Celui-ci fe retira avec quelques-uns de fes gens, au
château de Montvel, tandis que don Lopez de Cor-
doue fe retirait à Carmone , où étoient les enfants du
rai vaincu, ôt s’y enfermoit avec huit cens chevaux
& mille arbalétriers. Don Pedre, fe voyant prêt à
tomber entre les mains du vainqueur, envoya propofer
à Bertrand du Guefclin , l’homme de fon fiecle
le plus incorruptible, une groffe fomme d’argent, shl
vouloit lui procurer le moyen de s’évader. Du Guefclin
alla rendre compte de cette propofition à Henri, qui
lui dit de donner à ce prince un rendez-vous dans la
tente. Don Pedre y vint ; Henri I I , bien accompagné,
s’y rendit au même inftant , & fe jettant fur don
Pedre, lui donna un coup de poignard au vifage , &
le laiffa achever par les gens de la fuite , qui Te percèrent
de mille coups. Ainfi périt le plus cruel des
hommes , & le plus affreux des tyrans. Sa mort ne
laiffa cependant point Henri I I paifible poffeffeur
du trône de Caftille ; il lui fut , mais inutilement,
difputé par l’inconféquent Ferdinand I , roi de Portugal,
qui prit le titre de roi de Caftille St de Leon. La
couronne lui fut également conteftée par le duc de
Lancaftre, qui y ayant aufli des prétentions, fe ligua
avec les rois de Grenade St d’Aragon , qui vouloient
l’un St l’autre fe rendre plus ailées des conquêtes qu ils
s’étoient propofé de faire en Caftille. Henri I I défendit
avec feccès fes droits St fes états, oppofa la plus ferme
réfiftance à fes ennemis , força le roi de Grenade St
les Maures à lui demander une trêve , battit les Portugais
, s’empara des places les plus i mportantes , St
contraignit le roi de Portugal à demander la paix ,
qu’il n’obtint qu’aux conditions les plus défavanta-
geufeV. Ces otages dilfipés, 8t fes états tranquilles, le
roi Henri ne fongeoit plus qu’à s’occuper des foins du
gouvernement, torique le roi de Portugal lui fufcita de
nouveaux troubles. Le capricieux Ferdinand , qui avoit
déjà fait la guerre pour foutenir les droits qu’il pre-
tendoit avoir au fceptre de* Caftille, fe ligua tout-a-
coup avec le duc de Lancaftre, récemment uni a
dona Confiance , fille de Pierre-le-Cruel, St du chef
de laquelle il avoit pris le titre de roi de Caftille. Cette
ligue eut à peine été conclue, que Ferdinand fe jetta fur la
Galice, forprit Tuy St quelques autres places qu il fut
obligé de rendre prefqu’aufli-tôt qu’il s’en fut rendu maître.
Henri Î I , réfolu d’ôter pour jamais au roi Ferdinand
l’envie de rémuer, fit une irruption en Portugal, pouffa
fes conquêtes jufques fous les murs de Lisbonne, St contraignit
ce fouverain à accepter la paix humiliante qu il
voulut bien lui offrir, aux plus dures conditions. Leroi de
Caftille ne defirant que de jouir de quelques années de
tranquillité , afin de rétablir dans fes états le bon ordre
que le règne précédent St les derniers troubles en
avoient banni, entra en négociation avec le | roi
d’Aragon ; St après quelques débats , on conclut une
paix perpétuelle entre les deux fouverains St leurs fuc-
ceffeurs ; Ôt pour mieux cimenter ce traité , il fut
convenu que l ’infant don Juan de Caftille epouferoit
dona Léonore, infante d’Aragon.Quelque temps après, le
roi Henri, pénétré de reconnoiffance pour les fervices
que la France lui avoit rendus , alla lui - même conduire
au fecours de cette püiflànce , une armée en
Guienne, St envoya fà flotte en France au fecours
des François contre l’Angleterre. De retour dans fes
états, Henri, pour affurer la puiffance de fa maifon,
fit demander pour don Frédéric, fon fils, dona Béatrix ,
infante de Portugal , St héritière préfomptive de ce