
1
Mil
dos cavaliers Africains , rayant animé , & l’ayant
pouffé imprudemment dans des terres récemment labourées
, l’inégalité du terrein & la profondeur des
filions j firent brpncher le cheval , qui tomba fi rudement
, qu’il écrafa le roi par fà chûte ; elle fut fi
cruelle, qu’il mourut à l’inftant même , & ce fut par
prudence que l’archevêque de Tolede fit dreffer au
plutôt une tente fur le champ , où il fit tranfporter
le corps du monarque, en fatfant publier que le roi
n’étoit pas mort, afin de donner à fon fils le temps
de monter fur le trône. Ainfi périt Jean I , à l’âge de
trente-trois ans , dans la treizième année de fon règne.
11 aima fes fujets, il en fut adoré ; il eût rendu fes
peuples heureux, s’il eût vécu plus long - temps ,
car il ne defiroit que la félicite publique. Et les
peuples peuvent - ils être malheureux, lorfqu’un tel
fentiment anime les fouverains qui las gouvernent?
( Z. C ) *
J e a N I I , roi de Leon & de Caftille , ( Hiß. cFEf-
pagne. ) Le goût du defpotifme eff la paffion dominante
des rois foibles & ignorans : la caufè de ce goût
-ne me paroît pas difficile à découvrir. Les rois foibles
& ignorans font communément entourés d’adulateurs ,
de lâches, de dénonciateurs, de coeurs faux, d’ames
vénales , de mauvais citoyens. La fuprême puiffance,
qui a tant de bien à foire, tant de mal à réprimer,
flatte les fouverains éclairés, parce qu’en effet, il
n’eft rien de plus flatteur, de plus délicieux que de
favoir & d'éprouver qu’on eft foi-même & la caufè
& la fource de la félicité publique. Les rois foibles
& ignorans ne voient - au contraire , dans l’autorité
fuprême, que l’excès de la puiffance , l’abus de la
puiflance ; & une feule chofe les flatte, c’eff que
lien ne leur réfifte, c’eff que, mal élevés, mal instruits
, mal formés , ils font ■ tellement perfùadés
que rien ne leur réfiffe , que rien ne peut leur ré-
fifter : environnés, dès le berceau, d’adulateurs qui
ne leur parient que de leur toute-puiffance , ils font
de très-bonne heure, immuablement convaincus que
tous font faits pour eux , & qu’eux feuls , exceptés
de la loi générale, ne font nés que pour régner impé-
rieufement for le reffe des mortels. De cette abfurde
& très-fouffe opinion réfuîtent inévitablement les
plus grands maux, & pour ces fouverains eux - mêmes
, & pour les nations foumifes à leurs loîx. Le
plus grand de ces inconvéniens, & duquel découlent
tous les autres, eft qu’accoutumés à .ne vo ir ,. à n’entendre
que des hommes rampans, de vils flatteurs,
de lâches courtifans, ils regardent la baffeffe & l’adulation
comme les'véritables' & feules expreffions du
refpeâ & du zèle ; en forte que tout ce “qui diffère des
manières & du langage de cette foule corrompue, eft
à leurs yeux licence, audace ou rébellion puniffable ;
& comme il eft de l’intérêt de cette cohue d’écarter
fens ceffe d’auprès d’eux tout citoyen affez honnête,
tout fojet affez fidèle & affez ferme pour leur montrer
la vérité, iîs reffent perpétuellement environnés de
cette même efpèce qni a gâté leur enfance, qui a égaré
|eur jeuneffs, & qui jufqu’aux derniers moments de
jégne , ç effort cfe le$ pervertit , de lés - J
éblouir' & de les aveugler. Cependant les rois étant
les fouverains difpenfateursdes grâces, des bienfaits
des recompenfes , des dignités , des charges , des
emplois j & tout chez les rois foibles & ignorants fe
vendant, s:achetant, fe livrant à la vénalité, à l'intri-
mie , a la corruption, tout fe proffituant au vice, au
luxe, au foffe, à la perverfité, le défbrdre & les
abus smtroduifènt , fe multiplient j le peuple mal
conduit, mal gouverné, peut-être for chargéd’impôts ,
dévoré lui-même par le luxe , fe plaint , murmure ;
c eft alors qu’au nom du fouverain, dont ils fe font
audacieufement rendus les interprètes , ces mêmes
adulateurs, fi bas, fi rampants aux pieds du trône,
déploient infolemment les chaînes du defpotifme , &
ne ceffent de repeter au crédule & foiblè monarque
cefte /auffe & monffrueufe maxime , qu’une nation
ne peut etre heureufe , paifible, &• que les rois ne
; régnent véritablement , qu’autant que le peuple eff
efciave. Mais tandis que d’après ce vicieux principe,
la puiffance arbitraire cherche à étendre les fers de la
fervititde,. I amour de la liberté qui s’accroît en raifbn
des efforts que 1 on fait ponr la gêner ou la détruire,
fermente, fait naître & fortifie la haine qti’infpire inévitablement
l’oppreffion : la nation, fans ceffer d’être
fidelle, ceffe detre auffi zélée pour le fouverain j &
pendant que les citoyens gémiffent ou murmurent, les
auteurs du defbrdre mal unis entr’eux , ‘ parce qu’il ne
peut y avoir que des ligues paffagères entre les méchants,
fe divifenf ; leurs intérêts font oppcfés ; ils
cherchent, à s’entre-détruire ; chacun d’eux' ayant fes
partilâns , fes créatures, il fe forme desffaéHons ; la
cour n’efi plus occupée que d'intrigues , de cabales ;
l’état fouffie ; le fouverain trop peu éclairé, trop foè
ble pour connoitre & punir également tous ceux qui
le trahiffent & foulent le royaume , prend lubmême
parti pour l’un d’entreux ; & le reftê des foétieux
irrités de cette préférence, fe liguent & portent leur
audace jufqu’à faire craindre le monarque lui-même
qui, malgré fes grandes idées de puiffance', de defpo-
tilme, tombe dans la plus violente & quelquefois dans
la plus déplorable fituation. Telles furent les caufes qui'
agitèrent prefque perpétuellement lé règne malheureux
de Jean 11, qui n’eut ni affez de lumières pour discerner
les traîtres qui l’entourèrent & abusèrent de fa
confiance, ni affez de fermeté pour les réprimer , lorf-
qu’ils fe furent foulevés, & qu’il dépendit de lui de
les punir ou de les éloigner. La nation fouffrit infiniment
de la foibleffe de Jean I I , & il fouffrit lui-
même prefou’autant de la licence & des crimes de fes
favoris qu’il avoit enhardis, & en quelque forte auto-
rifés lui-même par fes imprudences & fa pufiHanimité,
Fils d’unilluftre fouverain , de Henri III, roi refoep-
table par fa fageffe, redoutable par fa. valeur, & de
dona Catherine de Lancaftre, Jean I I ffavoit que quatorze
mois lorfque la mort lui enleva le roi fon père :
don Ferdinand fon oncle, fut fon tuteur, & régent
du royaume ; mais don Ferdinand lui-même ayant
été appellé au trône d’Aragon , dona Catherine fa
mère refta feule chargée de là tutelle & de la régence
de fes états. Doua Catherine avoit d’excc-llpntcs iritëur
#ons • l'on dit même quelle avoit de grandes qualités ;
niais ’les foins du gouvernement l’occupoient trop ,
pour veiller auffi aflfdùement qu’il eût été néceffaire, à
Féducation de fon fils qui fi# un peu négligée : d’ailleurs
, la reine Catherine ne vécut point affez longtemps
pour le bonheur du royaume & pour l’utilité
de fon pupille, qui, n’ayant que treize ans, lorfque
cette princefle mourut, fut proclamé roi par les foins
trop empreffés de l’archevêque de Tolède, & de quelques
autres feigneurs, le 20 o&obre 1418. Les premiers
jours du règne de ce prince, trop jeune pour
fe douter feulement de l’étendue & des bornes de ion
autorité, furent employés aux fêtes de fes fiançailles
avec dona Marie, infante d’Aragon j époux & roi
dans un âge où à peine les hommes^ commencent a
fe connoitre, Jean I I convoqua les états, & decïaia
qu’ifalloit gouverner par lui-meme j il eut dit plus vrai,
s’il eût dit que les autres afloient gouverner iousfon
nom. On lui fit renouveller la trêve avec le roi de
Grenade & là feule aélion qu’il fit alors d’après lui-
même , fut de faire fon favori de don Alvar de Luna,
feigneur ambitieux , éclaire , mais fort turbulent r
ce choix déplut à don Juan & a don Henri, fils ae
don Ferdinand , & Infans d’Aragon ; ils vouloient
feuls & à l’exclufion l’un de l’autre , régner dans
Tefprit du roi', & fous fon nom régir, ou a leur gre ,
bôuleverfër l’état. Don Juan médita de fe rendre maître
de la pèrfonne du jeune fouverain j mais ion frere,
plus heureux, èxécuta lui - meme ce projet pendant
fabfence de don Juan , qui étoit allé en Navarre
époufer l’infante dona Blanche. Don Henri profita de
ce Voyage, & de concert avec le connétable, 1 eveque
de Ségovie & quelques ■ autres feigneurs , il alla à
Tordefillas, où le roi étoit ; & par le plus infolent
des attentats', fe rendit maître de fa perfonne : fans
doute dans la vue de lui faire oublier fon crime, il
l i fit époufer l’infante dona Marié fafeeur ; & le roi
parut avoir fi peu de reffentiment de cet aéte de
violence , que devant les états affembles par fon ordre
à Avila , il juftifia tout ce qu’avoit fait don Henri,
& défavoua toutes les démarches que l’infant don
Juan faifoit pour le tirer des mains de fon raviffemv
Toutefois, cette complaifance' ne fe foutint pas, &
Jean I I plus ennuyé qu’irrité de fa captivité , confia
à don Alvar de Luna fon favori, qu’il vit en fecret,
combien il defiroit detre délivré de ioppreffion de
don Henri. Don Alvar fe ligua avec don Frédéric ,
comte de Tranffamare , & don Rodrigue Pimantel :
ils prirent fi bien leurs mefures, qu’ils délivrèrent le
roi, qui, paffant le Tage fur une barque, gagna le
château de Montalban. A peine y fut - il arrivé ,
qu’il y fut aifiégé par le connétable & don Henri ;
mais ces deux hardis faéfieüx , informés que don Juan.
fiiivi de nombreufes troupes, venoit au fecours du
roi, levèrent le fiège & le retirèrent précipitamment
lun & l’autre. Jean I I fentoit toute l’obligation qu’il
avoit à don Juan ; mais n’àyant pas plus d’envie de
tomber en fa puiffance, que de rentrer fous l’oppreffion
dont il venoit de s’affranchir, il -accueillit avec
dift|n£lion don Juan, mais ne voulut point lui permettre
de reffer à fa cour, & le reftvoya \ après lui
avoir ordonné de licencier fes troupes. L’infant, hors-
d’état de réfifter, obéit ; mais Henri furieux leva le
mafque & excita des troubles ; afin de maintenie
fon crédit, il avoit époufé, pendant la détention dû-
roi , l’infante dona Catherine, feeur de ce monarque 9
& ü s’étoit fait accorder pour dot de fon époufe, la
ville de Villena avec fes dépendances , fous le titre
de duché. Cette ville n’ ayant point encore été cédée ,
Henri voulut de force s’en mettre en poffeflion, fuite
de ce nouvel attentat ; Jean I I révoqua la donation
qu’il avoit faite de Villena , &. défendit aux habitans
de reconnoître d’autre feigneur que lui. Henri continua
d’ufer. de force ; mais fes entreprifes ne lui
réuffirent point ; la plupart des feigneurs l’abandon--
nèrent & s’attachèrent au roi qui , vivement indigné
de fes violences, l’obligea de fe retirer, & ne
voulut pas même le voir , lorfque forcément fournis
, Henri vint pour lui témoigner fon repentir &
Paffurer de fon obéiffance, Cette févérité qui ne fut
à la vérité que momentanée, ne rendit le calme ni ft
la cour ni à l’état. L’infant Henri toujours inquiet,
faéfieux, perfiffa clans fes intrigues , fes cabales & fes-
complots ; le roi lui ordonna de venir fe juftifier ~y
& l’infant après avoir demandé , avant que d’obéir,
des furetés &. des ôtages, apprenant qu’on fe difpc-
foit à marcher contre lui les armes à la main, fut b-
Madrid fe ptéfenter au roi qui ne voulut lui donner
audience qu’au milieu de fon confeiî. Henri ne pou--
vaut faire autrement, y parut ; & fur les accufàtions-
qui furent portées contre lui , prouvées par fes propres
lettres, il fut arrêté & étroitement renferméi
Sa captivité ne fit que donner plus de violence aux.
troubles : Henri avoit en Caftille un grand nombre
de partifàns , Sc fon frère, don Alphonfe , roi d’Aragon
, paroiffoit difpofé à embrafïer fa Gaule. Car
Jean I I lui ayant fait demander tous les: feigneurs
Caftillans qui s’étoient retirés à fa cour , ainfi- que
la princefle fa feeur, Alphonfe demanda à fon tour
la liberté de fon frère ; elle ne lui fut point accordée T
& les deux rois également mécontens l’un de l’autre y
fe prépareront à la guerre. Ce fut au fein de ees agitations
que naquit l’infant don Henri , que le roi
fon père fit reconnoître huit.jours après pour prince
héréditaire , & qui en effet régna pour le malheur
de fes fojets. Cependant le roi d’Aragon fe diipo-
fant à employer la force pour délivrer fon frère
les états de Caftille approuvèrent l’emprifonnement
de ce prince, & s’obligèrent à fournir aux dépenfes
de la guerre que Jean avoit à fbutenir,. fi den Al—
phonfe exécutôit fes menaces. Cet orage aîloit écla--
ter lorfque don Juaa, frère de don Henri,. fut- appellé
au trône de. Navarre après la mort du roi don--
Carlos , & du chef de la reine Blanche , lepoufe de.
don Juan & héritièrë de don Carlos. La couronne
de Navarre flattoit beaucoup moins don Juan que le
crédit prefque fans bornes qu’il avoit. en Caftille y
il n’en méfufa point dans cette occafion ,, & avant
que d’aller prendre poffeflion du feeptre , il ménagea
un accommodement entre les rois de Caftille §4