' aucune place de la frontière. Pendant cet orage ^Jean 11,
qui néanmoins fentoit vivement fà fituation, mais
qui craignojt encore une nouvelle 'guerre , époufa
dona ifaoclle , fille de l'infant don Juan de Portugal ;
& cette nouvelle époufe: qui eut bientôt toute fa
confiance , travailla de toute fa puiffance à hâter la
juine dq connétable, quoique ce fut à lui feulqu’elle
fût redevable de fon mariage , tant il. eft vrai que
l ’ambition & la reconnoiflànce font deux fentiments
• incompatibles; car dona Ifabelle voulant feule régner
.fur l’efprit du monarque, & ne pouvant y .parvenir
qu’en perdant fon bienfaiteur , elle fe-décida facilement
a iacrifier le connétable à la pafïion qu’elle avoit de
dominer. Tandis qu’elle cherchoit à aigrir fon époux
contre le. favori, celui-ci négocioit la. réconciliation du
prince des Afluries avec fon père , & il parvint à
ménager entr’eux une entrevue. Dans cette conférence,
fe roi de Caftille fe raccommoda avec fon fils, & ils
fe facrinèrent l’un à l’autre plu {leurs, feigneurs , qui
.forent aufli-tdt arrêtés ; mais l’un d’entr’eux, le comte
de Benavente, s’évada , & excita- des. troubles qui
eufient eu les plus facheufes fuites, fl le pape n’eût
enfin interpole fon autorité , plus refpeélée alors que
la puiffance royale, & s’il n’eut envoyé aux prélats
de Caftille & de Léon, une bulle par laquelle il leur
enjoignoit d’excommunier tous les rebelles. Cette bulle
produifit les plus grands effets ; les mécontents & le
•prmce des Afluries même fè fournirent fincérement :
F infant Henriredoutoit plus la force 'des foudres du
pape .,, qu’il, n’avoit du refped pour l’autorité paternelle.
Pendant que . les rebelles iè foumettoient, le
roi de plus en plus irrité par fon époufe, contre don
Alvar, ne cherchoit que les moyens de s’affùrer de
fà perfonne, &. don Alvar lui-même lui en fournit
plus d’une cccafion dont on n’ofa cependant pas profiter
, tant. on çraignoit de foulever le peuple I Cependant,
après bien des: tentatives qui firent enfin con-
Boître à don Alvar le danger qui lq.menaçoit , .on
inveftitfta maifon ; il s’y défendit avec la. plus grande
intrépidité, & eut continué\à s’y... défendre jufqifià la ,
mort, fi Jean I I ne lui eût envoyé dire qu’il fè rendît
prifonnier , &. qu’il ne. craignît rien. Don Alvar ne
fè contentant point de cette promefie , demanda un
billet figné du roi, par lequel le monarque l’affurât
qu’on n’attentefpit ni à fa vie ni à fon- honneur. Jean I I
eut la perfidie d’écrire & de figner cette premeffè,
fur laquelle don Alvar ne fe fut pas plutôt rendu ,
tffijlfot mis en prifon, & livré a douze jurifconfultes,
aiiiftés des feigneurs.du confeii, qui, après avoir inftruit
fon procès, le.condamnèrent unanimement à la mort. Il
fut amené à Vâlladolid, où il fut exécuté fur un. échafaud.
Jean I I , le matin de l'exécution , vouloir lui faire
grâce, & lui eût pardonné, fi l’ingrate reine ne l’en
eût empêché.. Ainfi périt ,un homme qui , pendant
quarante-cinq, années., avoit fervi fon maître avec le
^èle je plus rare , & qui, pendant trente années , avoit
gouverné* le royaume avec un pouvoir abfolu à la
Vérité', mais auftiavecTintegrité la plus inébranlable
& la plus jdéfintérefiee. On convient qu’il étoit ambitieux,
jaloux de dominer ; mais lui feul étoit capable
de tenir , àù nom de fon maître , les rêrifes de Pétât :
il étoit très-habile miniftre , & pendant la longue
durée de ce règne orageux , jamais on ne vit don
Alvar entrer dans aucune faétion ; il étoit au-contraire
Tepouvanfail des faélieux. Jean 11 le" regretta , mais
il n’etoit plus temps ; il fe forma des fadions nouvelles
& le fèul homme en'état de les réprimer avbit été
lâchement faerifiéà la haine jaloufe delà reine.Quelques
jours après cette exécution , le mariage du prir.ee
des Afluries avec l’infttnte dona Blanche, fut déclaré
nul pour caufè d’impuiffance. Le roi .de Caftille qui
s’ètoit- privé du fèul homme fur la fidélité duquel il
put compter , & qui fè voyoit perpétuellement environne
de feigneurs fadieux, prit auprès de fà perfonne
huit mille lances , ■ •& cette formidable efeorte produifit
le plus grand effet; les cabales cefsèrent, & il n’eut
plus à craindre, les.complots. Informé des grandes
découvertes & conquêtes faites par le roi de Portugal
dans les Indes , il en fut profondément affligé &
croyant arrêter le cours de ces conquêtes, il prétendit
que fes prédéceffeurs ayant obtenu dm pape les îles
Canaries avec tout ce qui en dépendoit, les, découvertes
des Portugais étoient contraires à la ceftïon du
pape , & qu’il déclarerait la guerre à la nation Portu-
-gaifè , fi elle ne. fè défiftoit point de ces découvertes.
Le roi de Portugal, fans infifter fur l’abfùrdké dé ces
prétentions, fè contenta de répondre que les Indes
orientales étoient infiniment étendues, & point du
tout une dépendance des îles Canaries ; qu’au refte ,
il n’empiéteroit point fur les droits du roi d’Efpâgne,
ni -fur les poffeflions qu’ijjenoit de la libéralité du pape.
A-peu-près dans le même temps, la reine d’Aragon,
dona Marie , foeur de Jean I I ,« étant venue en Caftille
pour voir fon frère , ce prince fè mit-en route dans
le defîein d’aller à Medina-del-Campo joindre fa foeur ;
mais dès la féconde journée de. fon-voyage, il tomba
-dans une fi grande foibleffe , qu’on crut qu’il alloit
expirer ; il revint cependant à lui , & fe fit tranf-
porter à Valladolid , où fà maladie devint fi violente
& fit tant de progrès , qu’il expira , fort dégoûté,
dit-on, du trône & de la v ie , le a i juillet 1454. Il
rie fut regretté ni de fes fujets , ni de fa famille , &
il faut avouer qu’il ne mérita les regrets de perfonne.
( L. C. )
Jean I , roi de Portugal, (llijî- d’Efpagne.) Ce ne
fut point à la fortune feule que Jean I fut redevable
du trône ; ce ne fut pas non .plus à la naiffànce .„ qui
donne fou vent aux nations des fonverains fi peu
capables de gouverner : ce fut "à fes talents, à fes
vertus , ou , ce qui eft la même chofè relativement
aux effets , à l’art qu’il eut d’affèéler les vertus les
plus néceffaires au fuccès de fes vues & à fon élévation.
Jean fut, fans contredit, le plus ambitieux des
hommes ; mais il eut foin de couvrir lès deffeins du
voile toujours impofànt. de l’amour du bien publié
Il fut l’un -des plus 'grands politiques de fon fiècle,
mais lui feul le- favoit, tant il étoit attentif à cacher
fes projets fous 1 apparence de la ffanchife la plus in-
génuè , de-la plus rai^e candeur, il - connoiffoit les
hommes , les àianoit peu, les eftimoit moins encore ;
mais il favoit les employer, & fur-tout gagner leur
affeéHon. Par fon aménité , fa douceur , fa bienfoi-
fonce il s’attacha le peuple autant qu’il lui paroiffoit
attaché lui-même : par fa valeur il captiva la confiance
des militaires : fon refpeéf pour Tégiife, & fur-tout
pour les privilèges & les immunités des. •eedéfiaftiques,
lui valut leur foffrage &. leur condefcendance. Ce fut
par ces moyens-, pari ces qualités extérieures qu’il
parvint enfin à s’affeoir for un trône d’où l’illégitimité
de fa naiffànce fembloit devoir l’exclure. En effet ,
fils naturel de don Pedre Te Jufticier &. de dona
Thérefe - Lorenzo -, Galicienne , d’une maifon peu
iiiuftre, il naquit à Lisbonne le a avril 13 5 7 , & il
fit bien valoir dans la fuite , cette circonflaiace ; car
le peuple imbéciile, fur lequel les plus frivoles minuties
font imprefiion ,-montra rattachement le-plus zeie,
le plus inaltérable au parti de Jean / , par cela feul
qu’il étoit né à Lisbonne. Son enfonce fut confiée aux
foins de Laurent de Leiria', citoyen de Lisbonne,
qui pria don Nugno-Freiras d’Andrade, grand-maître
de l’ordre du Chrift, de fe:charger de là première’
éducation. D ’Andrade remplit cette tâche avec zèle ; _
&L lotfque fon élève eut atteint l’âge de fept ans, il
alla lé préfenter lui-même à don Pedre le Jufticier ,
qui, - dit-on, ne favoit • point encore vu , & qui
peut-être avoit déjà- oublié qu’il avoit eu , fept ans au*
paravant, un enfant: d’une demoifelle de Galice» La
nature, ou les grâces de Cet eüfont firent une forte
împreffion for don Pede : il parut s’intérefîèr vivement
au fort de fon fils , & l’adroit d’Andrade profitant
de cette occafion , demarida librement-au roi, pour
Jearr fou pupille, la gfande-maîtrife de Tordre d’A vis,
vacante depuis quelques jours. Cette dignité étoit
très --éminente ; cependant le roi don Pedre ne réfifta
point au plaifir ae foire du bien à fon fils ; il lui
accorda la grande-maîtrife, l'arma chevalier, quoique
enfont, & -le fit partir pour Tomar, où étoit la principale
ttfRf que le roi vécut ; & il ia fervit même quelqu’in-
juftes qpe fuftènt les ordres qu’elle le chargea, d’exé4-
cuter. Cependant les fcandaleulès intrigues de la reine ,
qui ne gardoit aucune bienféance, ayant éclaté, Jean,
par intérêt pour' le ro i, blâma hautement l’indécence
.de. là conduite , &làns craindre les foites défia liberté ,
l’avertit elle-même avec fermeté de garder du moins
plus de retenue dans fes adultères amours. Léonore’
irritée obtint, ou foppofà avoir obtenu de fon facile-
époux, un ordre d’arrêter le grand-maître, qui fut
mis en prifon. Sa captivité ne fuffifoit point à Léonore,
& quelques jours après elle envoya un nouvel ordre de
le foire mourir. Celui à qui cet ordre fut remis ,
ne crut pas devoir obéir avant quê d’avoir parlé à
Ferdinand, qui parut très-étonné , & n’apprit qu’avec
indignation Tabus étrange que Ton avoit foit de fon
nom. Mais bientôt fa tendrelfe pour Léonore l’emporta
maifon de cet ordre. Cè fut dans cette ville que s
Jean fut élevé ; il y reçut une excellente éducation,
répondit, au-delà même deTattente de fes inftruéieurs, .
aux foins qu’ils fe donnoient pour le former ; &-fit
des progrès fi rapidesy qu’il étoit déjà tfès-inftruit à
l’âge .où la plûpart des jeunes gens commencent à
- peine à s’inftruire. Auffl parut-il de bonne heure avec
éclat, foit à la tête des armées , foit aü timon des
affaires, fous le règne de Ferdinand fon frère ; &
reconnut-on en lui l’un des meilleurs capitaines, &
l’un -des hommes les plus- habiles & les plus éclairés
du Portugal. On fait combien fut malheureux le règne
de don Ferdinand ; on fait dans quelles foutes tomba
ce fouverain, léger, capricieux , inconféquent : éilës
eufient été irréparables, & quelques unes euffent caufé
peut-être la ruine dë l’état, u le grand-maître d’Avis ,
tantôt par fa prudence & fies négociations , tantôt par
fa valeur & fon aélivité , n’eût arrêté les iiiaux & les
défordres qui dévoient naturellement réfolter de.l’in-
conftante- & téméraire conduite du roi fon frère.
( P'oye^ Ferdinand , roi de Portugal-}. Quelque
mépris qu’il eût pour le caraéière- perfide ■ '& les moeürs
Corrompues de la reine Léonore, il lui refta fp ùw
, il laiffo même quelques jours le grand-maître
en prifon, lui rendit la liberté au nom de la reine ;
'■ '&, comme fi ce n’eut été qu’à fa-' foliieitation , Jean
fe prêta à la 'ibibleffe de Ferdinand ; & feignant
d’avoir la plus vive reconnoifiance pour là perlecu-
trice, dont il connoifibit 'la noirceur & qu’il abhor-f
roit, il'alla lui baifer la main aufii-t't qu’il lui fut
permis de reparoître à la- cout^ Cependant la pafiiôn.
de Léonore pour Arideiro , comte d’Ourem , devint
fi fcandaleufe', fi publique & fi/déshonorante ; que:
Ferdinand ne pouvant- plus l’ignorer , chargea le
grand-maître de le défoire dë Taudacieux Arideiro à
la première occafion qui s’offrirôit. Mais le fouverain
offenfé rieut pas le'temps de Voir fa vengeance remplie
; & pour le bonheur de-l’etat qu’il lailfoit dans
la plus grande confufiôn , & qu’il ‘ eût entièrement
écrafé, s’il eût régné plus lorig-temps , il mourut. Le
Portugal étoit dans la plus déplorable fituatieri ; &
pour combler fes maux, le trône étoit Tobjet de Tam-
bitio'n, Ou même des prétentions fondées de plufieurs
princes, qui, pour s’en exclure les uns les autres.;,
menaçoient le royaume de la plus cruèîle guerre. Le
premier de [ces prétendants étoit Jean I , roi de Cal-
tille , qui- ayant époufé dona Béatrix, fille de Ferdinand
, fembloit avoir au feeptre Les droits les plus
inconteftàbles du chef de fà femme ; mais fes droits
n’avoient point Tappfobatiôn de là nation Portùgaife,
que l’idée feule d’obéir au roi de Caftille tranlporr '
toit de colère. D ’ailleurs, qüdqu’évidents que paruffent
les titres de Jean I , ils s’évanouifibient devant ceux de
l’infant don Juan de Portugal, fils' de don Pedre &
d’Inès de Caftro. Perfonne ne doutoit en Portugal, de
la validité du mariage de dbn ’ Pedre. Il eft vrai
que l’infant'don- Juan étoit alors prifonnisr en Caftille -,
• où le roi Jean I Tavoit fait enfermer aufii-têt qifiî
avoit appris la mort de fon beau-père , afin de fè
délivrer par ce moyen ,,, d’un concurrent trop redoutable
; mais don Juan étoit adoré "par la nation
Portùgaife qui le nemmoit hautemént, & ne vouloit
•que lui pour roi. Les droits de ces deux prétendants
- paroiftoient ne laifier aucune lueur cfefpérarice au
grand-'miaître, qui d’ailleurs n’aivoit'aucun titre qui
fiui permît .d’afpirer à la couronne 1 il y afpiroit cepenr