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peu plus du panégyrique que de l’hiftoire ; fur-foüt
darts la forme ; mais tous les-faits s’y trouvent, & ils
font-tirés des écrits mêmes de M. Huet : c’eft ce qui
nous a déterminés à laiffer le morceau tel qu’il eft.
M, Huet n’aura point ici d’autre hiftorien que lui-
ïnême. En voulant, comme St. Aùgüftin, fe rappeller
-les prétendues erreurs de l'a vie il s’eft peint avec
•ette vérité qui fied au fage , & là reçonnoiffance
envers l’Etrè-fuprême, n’a pas permis à fa modeftie
■ de diffimuler les bienfaits qu’il en avoit reçus. Le premier
de ces bienfaits à fes yeux, fut de naître d’une
ftière catholique, & d’un père qui étant rentré dans
le fem de l’églife , y avoit ramené la propre mère -
mourante , dont les premières leçons l’en a voient- écarté.
Quant à l’avantage d’être né de parents nobles, M.
Huet fçut l’eftimer affez, linon pour en tirer vanité,
du moins pour le défendre avec zèle, lorfque la re- î
■ cherche de la noblelTe, confiée à l'avidité des traitants ,
ne depouilloit quelques faux nobles que pour enrichir
des délateurs ; 'les titres les plus légitimes étoient attaqués
, ceux des Huet le furent, & ils triomphèrent,
< Comm. de reb. <sd eum vert. I. j . ) M. Huet le père
s’étoit fait un nom dans les lettres, lorfque la réputation
du fils parvint aux étrangers ; trompés par une érudition
qui-excluoit toute idée <lè jeuneffe, ils crurent
entendre parler du père, 6c ce père n’étoit plus, il
n eft plug même connu aujourd’hui , grâce à. un fils
trop célèbre ; ainfi Marot, ainfi Pafcal ont fait oublier
leurs pères : M. 'Huet le père n’a pas même pour titre
de recommandation auprès de la poftériîé , l’honneur
d’ayoir formé fon fils. Prévenu par une mort prompte,
il ne put liii donner que la naiffance. Il reftoit du
moins au jeune Huet, les foins & la tendreffe d’une
mère; ils ne lui relièrent pas long-temps. Mais la
providence fembla veiller fur cet enfant d’une manière
fénfible dans, le plus grand danger qui pût menacer fa
foiblefle. Sa mère, le mehoit fouvent chez une tante
qui vivoit a la^ campagne : une pauvre femme du
voifinage, entraînée par cet intérêt que l’enfonce inlpire
a? quiconque n’a pas un coeur féroce, fe foifoit unplaifir
d attirer dans la chaumière , le jeune Huet, par fes
careffés & de légers'préfents. La tendreffe & la recori-
noifiance font dans la nature. Ces deux êtres fi différents
dage 6c de fortune, s’etoient liés d’une amitié affez
intime. XTn jour Fenfont, à peine arrivé chez fa tante,
court chez là bienfaitrice , 6c fe jettant dans fes bras, il
la reconnoîr a peine ; pâle , défigurée , renverfée auprès
de fon feu, dans les convuîfions de l’agonie; elle fe
ranime a fa vue pour lui crier d’une voix éteinte : fuis,
malheureux enfant, je ne peux te donner que la mort. L’enfant
obéit par inftinét à cet ordre, ou plutôt il cède à fon
effroi. La pefte çonfumoit cette infortunée , elle expira
quelques heures après. O providence j veillez plus que
^ jamais fur cet enfant que vos foins ont fauvél c’en eft fait ;
il a perdu les bienfaits & les douceurs de la nature ; fon
pere ne 1 inftruira point, fa mère ne luifourira plus ,
fes biens font abandonnés àladminiftration peu fidelle
de tuteurs indifférents , fon ame eft livrée aux froides
leçons de l’éducation commune. Si j’avois à prouver
gne cette éducation a un yiçe intérieur qui fo cor-
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romfpt; que ce vice eft dans la contrainte , tcajotriV
ennemie de notre nature, qui révolte les enfants fans
difpofitions, qui rebute' julqü’auxvenfants les .plus heu-
reulèment difpofés; que le vrai fecret de l’éducation ,
foit publique , Toit particulière , feroit d’écarter toute
idée de devoir, & de tourner toujours Ffoftruétion en
plaifir , je ne citefois que l’exemple du jeune Huet,
Ses yeux en s ouvrant, cherchèrent des connoiflànces.
Il vit un livre , & il s’écria ; heureux ceux pour qui
ce livre eft fins myftère ! Dès qu’il fout lire, il envia
ceux qui recevoient des lettres & qui en écrivoient.
Cette ardeur de connoître ne le quitta plus ; apprendre,
lui parut le feul foin digne de l'homme ; fçavoir , lui
parut la félicité fupreme ; tous fes maîtres lui furent
chers ; il n en accule aucun d’avoir, par des injuftices
ou des duretés, affoibli en lui cet amour de l’étude qui
annonçoit ce qu’il devoit être un jour ; & cependant
il nous avoue que , même dans l’âge mûr , il frémilfoit
encore au feul fon. de la cloche qui l’appelîoît autrefois
au travail , par le fouvenir de l’horreür qu’elle, lui
avoit infpirée. dans l’ènfance. Mais il eft un moyen
d échapper aux contraintes de l’éducation, c’éft d’aller
au-dela de ce qu elles exigent. Ce n’étoit point de fes
maîtres que le jeune Huet avoit à craindre des contradictions
& des reproches s cjétoit de fes compagnons
detude , qui, furpris & jaloux qu’il hé fe contentât
point du travail ordinaire & de la lùpériorité qu’il
; avoit fur eux, ne pouvant s’élever jufqu a lui, vouloient
le rabaiffer jufqu’à eux. Ils brûloient fes papiers, déchi-
roient fes livres , le chaffoient de fa chambre , de
pourfuivoient jufqu’au fond des bois & des antres' Solitaires
où il fe cachoit pour jouir de l'étude & de lui-
meme, C eft a cet âge, incapable du moins de dégui-
fement, qu’on peut connoître fans efforts, les vices
naturels de l’homme. u Nous né fouffrirons pas., lui
» difoient-ils, que,tu vailles mieux que nous , que
»ta conduite foit la cenfere perpétuelle de la nôtre ».
Que diraient autre choie tant de courtifans à l’afp eft
d’un homme vertueux ,'tant de beaux-efprits à l’afpefl
d’un homme de génie, fi la réflexion ne leur avoit
appris à fe mafquer? malgré tant d’obftacles, le jeune
Huet avançoit dans la carrière des humanités ; fon
talent pour la poëfie fe déclarait r quoique le mauvais
goût de fon maître lui arrachât des mains Virgile,
Ovide & Horace, pour l’entourer des poètes aifoflés
d’Italie ou des poètes barbares des Pays-Bas ; mais
. aucun genre ne devoit avoir le droit de fixer M. Huet.
La Littérature, entière , tout le domaine des connoiffan-
ces fuffiioit a peine a ton ame avide. Il s’élance, dans
les profondeurs de la Phyfique & des lnathémati ques,
la géographie l’entraîne, la géométrie l’attache., il jouit
& veut jouir encoré-, tantôt en fecret, tantôt avec
éclat ; fon maître le fuit à peine 'dans fes progrès ; il
donne à la ville de Caën 1e fpeSacle jufqualors in-
connu d’un exercice public fur les mathématiques. 11
iaiüt les principes généraux de la jurifprudençe; il en
effleure les details ; & c’eft peut-être tout ce qu’un bon
clprit doit à cette fcience , dans l’état de confufion,
d’incertitude & de barbarie oh elle eft rêftée parmi I
noue. Le genie 6c le gcu£ onj leurs caprices, leurs
prédile^iops^
prédite Plions, leurs antipathies. M. Huet «Sut d’abord,
comme'St. Auguftïn, de l’averfion pour le grec, & il
négligea encore plus l'hébreu; il fut corrigé par l’érudition
deBochart & par les forfanteries de Scaliger. La Géographie
facrée de Samuel Bochart parut ; M. Huet voulant
là dévorer, fe vit arrêté à chaque pas par l’ignorance
de l’hébreu & dü grec ; il rougit alors de lui-
même , & ayant lu dans Jofeph Scaliger, qu’à dix-neuf
ans il avoit appris l’hébreu fans maître , & que quatre
mois lui àvoient foffi pour épuifer la littérature grecque,
jl ferma tous fes autres livres; & jura de ne les rouvrir
qu’après s’être mis en état d’entendre avec Bcchart,
tous les auteurs hébreux 6c grecs. Il fe tint parole ; il
n’êut point pour l’hébreu d’autre maître que lui-même ;
il fe fit pour fon ufage , un grammaire hébraïque, qu’il
eut dans la fuite plus d’une occafion de confulter ; &
quant au Grec, il confulta feulement le P. Pé:au pour
l ’intelligence parfaite des auteurs les plus difficiles. Ge
fut alors qu’admis dans le fanéhiaire des Mufes , initié
dans tous les myftères de l’érudition, préfent à tous,
les temps & à tous les lieux, planant fur tout l’empire
des lettres , eriibraftànt la chaîne dès cônjioif- ;
lances humaines, il vît de quels tréfors un dégoût peu
réfléchi avoit penfé le priver. Nouvelle preuve qu’il
ne fout pas commander aux hommes d’apprendre , mais
leur en foire naître le defir & fentir la néceffité. Inftruit
par cet exemple , M. Huet ne rejetta plus rien, ne
négligea plus rien. Ce que j’aime fur-tout à confidérer
en lui, ce qui diftingue le vrai Içavant , c’eft cette
çftime éclairée qu’il eut pour tout cè qui peut étendre
& nourrir l’ame : il regarda comme l’opprobre des
lettres & comme la fource de toute pédanterie, ce
mépris barbare qu’affeéle pour tous les genres qu’il
ignore , peur tous les talents qu’il n’a pas, , un
homme qui croit exceller dans un genre particulier.
Les hommes gâtent tout, ils portent par-tout le defpo-
tifme & l’intolerance ; le bel-eiprit dédaigne l’érudition ;
l’érudition feint de méprifer le béhelprit, & de confondre
avec lui le génie même : eh ! malheureux, fecourez-vous,
eclairez-vous mutuellement ; vous êtes tous eftimables,
vous êtes tous utiles, 6c il n’y a rien a méprifer en
vous que ce mépris imprudent & injufte que vous
affèfrez les uns 'pour les autres. ^Ecoutez cette belle
maxime de M. Huet : 'il n’y a point de fcience qui ne
foit un digne objet de l’efprit humain. Sa conduite répondit
à cette maxime ; il cultiva tous les genres félon
le degré d’eftime dû à chacun ; s’il tradùim Origine,
& s’il fit la demonftration évangélique, il fe permit
quelques vers tendres, il compofa des romans, il en ,
rechercha l’origine , & remplit'par des ouvrages ou
utiles ou agréables , tout l’intervalle qui fépare des
genres fi différents. Ce n’eft pas quil confeillât aux gens
de lettres de s’égarer dans la multitude infinie des
genres ; ce feroit le moyen d’effleurer tout de
ue rien approfondir ; les fciençes feroient très-
rgpandues, mais elles feroient auffi très-bornées. Tout
te monde fçauroit tout ce qu’on fçait, mais ce qu’on
(Çait n’eft rien s’il ne segmente tpus les jours.
M. Huet vouloit donc qu’on eftimât toutes les fciençes,
Blais qu’on^ en choisît une particulière , à laquelle on
Hifteire. Terne 11 Lk
rapportât toutes les. autres. Il remettait $ux gens Æ»
lettres la chaîne des coruaoiffances, & il leur difoit :
foites-la commencer ôh vous voudrez , choififfez à
votre gré l’anneau principal ; mais fongez que tous les
autres en dépendent, 6c qu’il dépend de tous les autres.
Pour M; Huet, fon choix avoit fans doute été
le meilleur ; l’étude de l’écriture-fainte , la fcience de
la religion. Voilà l’emploi de fon uprit, voilà les délices
de fon coeur ; tout le refte n’eft pour lui qu’un amufe-
ment ; car il, ne connut ni ceux de l’enfar.çe ni ceux de
la jeuneffe ; les foiences feules eurent le droit & de
l’occuper & de l’amufer ; les paffions. ne purent approcher
de cette ame, dont l’étude exerçoit toutes les
. facultés.
Tout ce que fes tuteurs ont bien voulu lui laiffer
de fon patrimoine , les livres vont l’emporter, les amis
vont fuccéder aux maîtres ; mais les maîtres ferons
toujours les premiers de ces amis. Ils aimeront aüffij
toujours leur illuftre fils, L’un-, le fçaehant malade ÔC
le croyant en danger, fera faifi d’effroi, & la douleur
le mettra en danger lui-même ; l’autre, mourant loin
de fes yeux , ne prononcera que fon nom dans les bras
de la mort., 6c ne voudra d’autre eonfolation que le
fouvenir de leur amitié. Quel çloge que d’être aimé
ainfi ! M. Huet eut le bonheur de devenir le bienfaiteur
de fes maîtres , & le ton feul dont il en parle , fuffiç
pour foire juger s’il y fut fenfible. Quelles douceurs peuvent
être comparées à la bienfoifançe & à la reeon-?
noiffance 1 M. Huet n’a plus d’autre guide que fou
coeur & fon amour pour les lettres, les voyages vont
étendre fon' ame 6c féconder fes levures ; il va faluev
tous les fçavants étrangers & nationaux; il va mériter
6c obtenir leur amitié; il vient à Paris; il va en
Hollande , en Allemagne , au fond du Nord, par-tout
oh fon fièçle lui promet la plus abondante moiffoa
d’amis & de connoiflànces. Ardent & communicatif,
agréable à tous, utile à tous 6c à lui-même , il fçait
également interroger $c répondre , gagner tous les
coeurs en épanchant le fien , éclairer fon efprit en
portant par-tout la lumière. J’aime à le voir diftingue t»
fes années heureufes ou malheurehfes , par ï’acquifuioia
pu par la perte de fes amis, L’hiftoire de fes liaifons eft
l’hiftoirejittéraire la plus çomplette de fon temps , 6c
comme tous les genres lui étoient familiers 6c précieux ,
comme tpus les atts lui étoient chers , le fiècle de
Louis XIV n’a pas eu un foyant, pas urç homme
connu par i’efprit ou par les talents , pas une femme
diftingnée par le mérite, foit acquis, foit naturel, qpi
n’ait profité de Tes lumières., 6c qui nefe foit hohorç
de fon amitié. J’en excepte le feul Boileau , dont il
çraignoit encore plus le talent qu’il ne l’eftimoit, &,
dont, à l’exemple du vertueux, Montaufier , il étoit
prefque l’ennemi, fan? pourtant ceffer de lui rendre
juftice.1 Çe n’étoit. que la fetyre perfonnelle qu*il con->
damnoit ; car ppur çettelàtyre générale , la comédie,
qui, fans foire rougir les hommes d’un reproche direéî 6c
d’une injure publique , peut les corriger par. la crainte
du ridicule, il l’eftimoit, & il a célébré Moliere ; mais
il trouvoit inconféquent que le même principe qui
avoit enlevé à la çcmédie lg droit de nommer &
Q