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Luther , qui s’étoit acquis une grande réputation dans
ion ordre, de parler & d’écrire contre les nouveaux
vendeurs d’indulgences. Luther étoit propre à cette
guerre ; il étoit véhément, il avoit l’ardeur de l’en-
thoufiafme, l’opiniâtreté du pédantifme & toute l’indolence
de l’orgueil ; il parloit avec cette facilité que
donne la violence, même fans talent, & l’on trouvoit
alors qu’il écrivoit bien.
Il afficha d’abord quatre-vingt-quinze proportions
à la porte de l'.égüfe de Vittemberg ; ce fut là le
premier aéle d’homlité.
Le Jacobin Tetzel, chef de la nouvelle prédication
des indulgences , répondit par cent-fix proportions
qu’il fit afficher à Francfort fur l’Oder; de plus en
qualité d’inquifiteur, il fit brûler les propofitions de
Luther ; on brûla les fiennSs à Hall.
Léon X , croyant terminer ces querelles en les
jugeant, cita Luther à Rome , & d’abord lui nomma
deux juges , dont l’un avoit écrit contre Lutlïer &
Ta voit déclaré d’avance hérétique. Mais Luther
n’étoit déjà plus un homme qu’cn pûtoppiimer impunément
; réLâeür de Saxe lui accordoit hautement
une proteéfion refpe&ée dans tout l’empire & imposante
pour Rome même ; le pape fut obligé de déléguer
un juge en Allemagne ; ce juge fut le cardinal
Cajetan, (Thomas de Vie ) légat a Ausbourg, qui
avoit été Jacobin.
Luther, forcé par fon protecteur même , de com*
paroître devant ce juge, vint à Ausbourg avec des
lettres de recommandation de l’éleCteur , & un fàuf-
conduit de l’empereur Maximilien, il comparut ,
difputa, protefla, afficha de nuit fon appel , &
s’enfuit fecrétement à Vittemberg, feignant de craindre
ou craignant réellement qu’on ne l’arrêtat: en effet,
31 paroît certain que les inflruClions du légat, étoient
ou de l’obliger à fè rétracter, ou de le faire arrêter.
La fuite de Luther paroiffant dépofer contre lui ,
Je légat écrivit à l’éleaeur de Saxe, pour le prier
jd’abandonnér un hérétique que les foudres de leglife
ploient frapper ; 1’éleCteur répondit qu’il ne priveroit'
point fon ujuverfité d’un pareil ornement.
L’empereur Maximilien mourut en 1519 , &
1 éleCteur de Saxe , l’un des deux vicaires de l’empire
pendant l’interregne, devint pour Luther , un protecteur
encore plus puiffant ; l’autre vicaire de l’empire
, l’éleCteur Palatin, . ne s’çtoit pas déclaré moins
hautement en fa faveur , Rome elle-même parut ref-
peâer le crédit de ce moine : le nonce Miltiz, gentilhomme
Saxon , que le pape avoit choifi exprès pour
l’envoyer à FéleCteur de Saxe , comme un homme
qui devoit lui être agréable, Miltiz careffa & flatta
Luther, qui, fier de voir fon parti groffir à chaque
pas ,^daignoit à peine l’écouter.
Charle6-Quint dut l’empire à PéleCteur de Saxe ;
nouveau triomphe pour Luther, qui efpéraque l’empereur
ne poarroit fe dilpenfèr de lui être favorable.
Les déclamations de Luther avoient porté coup
aux indulgences ; la confiance étoit détruite, les Jacobins
'avoient beau prêcher , on n’écoutoit point, on
payoit encore moins ; Léon , par une bulle, voulut
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rendre l’honneur aux indulgerlces décriées, mats hfe
peuples prévenus ne virent plus qu’un marchand qui
prifoit- une marchandife dont il vouloit fe défaire.;
fos indulgences refloient négligées, h bulle fut oubliée ,
& Luther continua d’écrire.
Leon X donna, le 15 juin'1520, une bulle par
laquelle il condamna quarante & une proposions de
Luther ; fous ces qualifications Vagues , qui deviennent
une nouvelle fource de difpute pour les efprits indociles.
Le nonce Aléandre préfenta cette bulle à
Charles-Quint.
Luther n’avoit attaqué d’abord que les abus des
indulgences, bientôt il attaqua les indulgences même
& en nia‘entièrement la vertu; puis avançant toujours,
& les fojets l’entraînant par leur connexitç &
la difpute par fa violence, il ébranla tous les principes
de l’églife fur la matière de la jufiification &
des facrements, le pape ' fut l’antéchrift , l’églife fut
Babylone ; cette fureur contre ce qu’il appelloit le
papifme, ne le quitta plus, il mourut en outrageant
îe pape&. l’églife , auxquels pendant le cours du
procès, ilproteffoit d’ être entièrement fournis.
Enxonféquence de la bulle du 15 juin 1-520 , on
avoit brûlé à Rome les écrits de Luther. Luther brûla
par repréfailles à Vittemberg les loix pontificalès, &
for-tout la bulle qui lavoir condamné ; il s’intitule le,
faint du feigneur , l’eccîéfiafie de Vittemberg , &
voilà le nouvel èccléfiafte qui prêche, exhorte, menace,
vifite, corrige, inffitue , deflitue, régie & bouleverfe
tout dans l’églife ; le voilà qui envahit des évêchés
& les confère à fes amis ; le voilà qui donne lesbiens
des églifes & des monaftères en proie aux Laïcs, mais
fans rien prendre pour lui ; il notifie fa million aux
princes & aux peuples avec injonClion & menaces..
La diète-de Vormes, tenue en 152 1 , fut la première
où l’empire en corps s’occupa de lui ; le nonce
Aléandre y pourfoivit, la condamnation de Luther. U
demanda , félon Sleidan , qu’on le fît mourir o»
qu’on l’envoyât enchaîné à Rome, & qu’en attendant
on brûlât fes livres. L ’empereur par elprit de juflice
& par égard pour Péleâeur de Saxe , voulut que
Luther fut entendu. Il lui donna un lauf conduit pour
comparcître à la diète ; les amis de Luther le détournoient
d’y aller. Il partit : cent cavaliers armés voulurent
l’efoorter à la diète , mais il n’entra dans Vormes,
qu’avec huit hommes feulement. On avoit chargé le
héraut d’armes, qui lui avoit porté fon fauf-conduit
le 16 avril 1521, d’empêcher qu’il ne prêchât for la
route , mais ce héraut déjà Luthérien, le laiffa prêcher
à Erford tant qu’il voulut.
Le 17 avril, Luther fut introduit à la diète ; de*
amis fecrets qu’il y trouva, lui citèrent myflérieufe-
ment ces paroles de Saint Mathieu : quand on vous
aura menés devant les rois, ne fongez pas à ce que
vous aurez à dire , car à l'heure même on vous inspirera
ce, qd il faudra que vous dijîez.
Cependant le jurifconfulte Von-Eck, chargé de
l'interroger , lui lut les titres de fes ouvrages , & lui
demanda premièrement s’il le* avouoit , Luther ré-
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pondit qu’il les avouoit, pourvu qu’on ne les eût point
altérés.
Von - Eck lui demanda fecondement, s il ne vouloit
pas rétraCter ce qu’on y avoit, condamné ? Luther
demanda du temps pour fonger a fa réponfe ; on lui
répretenta que tout fidèle, à plus forte raifon un docteur
tel que lui , devoit être toujours prêt à répondre
de fa foi-, & l’on ne le remit qu’au- lendemain.
Le lendemain il voulut difïerter, on l’interrompit ;
U ne s'agit plus■ de cela, lui dit-on , vos erreurs font
Condamnées , voulez-vous les jétraêler ? II voulut citer
l’évangile, on lui c;ta le concile de Confiance, qui
avoit condamné dans les écrits de Jean Hus, ce que'
fon condamnoit dans les fiens. Ces noms étoient in-
quiétans pour un hérétique , qui n’avoit a Vor-mes
d’autre sûreté que celle qui n’avoit pas làuvé Jean
Hus à Confiance.
Quand Luther fe vit ainfi preffé, il retrouva tout
fon courage, il protefla qu’il ne fe rétraCteroit jamais,
il appliqua noblement aux princes de l’empire, ce que
Gamaliel difoit aux magiflrats de Jérufalem ,, qui
avoient mis les apôtres en prifon ; f i cette entreprife
vient des hommes, elle fe détruira d’elle-même , f i elle
vient de dieu, vous ne pourrez ^ détruire*'Sur fon
refus confiant d’abjurer après diyerfes conférences où
fon effaya vainement de l’ébranler , l’empereur lui
commanda de fortir de Vormes, & lui donna vingt
& un jours pQur fe retirer en lieu de fureté avec le
même héraut .d’armes qui f avoit. amené , & le même
fauf-conduit Le 26 mai, Charles-Quint publia l’édit
impérial 9 par lequel il mit Luther au ban de l’empire.
Luther renvoya fon héraut dès Fribourg , & s’engagea
au milieu d’une forêt, où il fut arrêté par des gens
«nafqués, qui le conduifirent dans un château défert
au haut d’une montagne , où il paffa plus de neuf
mois toujours bien traité, toujours écrivant, & paroif-
faùt 'fe plaire dans cette folitude. Ce château étoit
Veflberg, près d’Aîflad, & c étoit l’éieCteur de Saxe,
qui avoit fait enlever Luther , pour le fouflraire à
l’exécution de l’édit de Vormes.
Les proteftaiiîs voulurent c’abcrd publier que la
cour de Rome avoit fait affaffiner Luther. On avoit
même trouvé au fond d’une mine d’argent, fon ca •
davre peicé de coups. Ces faux bruits agitèrent quelque
temps la diète au point que les nonces du pape
n’.étoient plus en sûreté' dans Vormes.
Cependant Luther, d’autant plus préfent à fes disciples
qu’il avoit difparu à tous les yeux, les inflrui-
foit & les enflammoit du fein de fa retraite ; tous fes
écrits . étoient datés de l’ifie de P.athmos ; il crioit à
fon peuple de fortir de Babylone ; il avoit publié un
traité de la captivité ,de Babylone , . qui renverfeit
toute la hiérarchie de l’églife., & d’où il ré'ùltcit
comme de tous fes autres ouvrages composes dans fa
retraite, qu’il ne vouloit plus reconncître ni pape,
ni traditionv ni conciles, ni autorité d?s pères, n:
purgatoire , ni meffes-privées, ni voeux, ni rrionaf-
tères, ni évêques, ni prêtres non laïcs, ni c rite des
fa'nvs,’ ni cérémonies- qui obligent, ni faergmens qui
produifent la grâce, ni égiife v.fibie &. il» faillible, qui
Hifoire. 1 ome 111.
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juge de-la do&rine ; il admet pour unique régie de
foi l’écriture fainte interprétée félon fon fens.
Le roi d’Angleterre Henri V I I I , avant que l’amour
le jettant dans le fchifme , l’eût rendu fe chef de
l’églife Anglicane, avoit eu l’ambition d’être le docteur
de l’églife catholique ; il avoit fait à Luther
l ’honneur d’entrer en lice avec lui, il avoit compofé
ou fait compofer un livre pour la défenfe des fàcre-
ments , il l’ayoit envoyé à Léon X , & Léon X
avoit donné fokmnellement à Henri le titre de défen-
feur de la f o i titre dont Henri fut toujours jaloux ,
& qu'il conferva , même après s’être féparé de la
communion romaine. Luther, incapable des moindres
ménagements pour un roi quiTavciî; attaqué, répond
au roi d’Angleterre ; Henri vouloit être un théologien >
Luther le traite en théologien , il l’accable d’injures
& s’il fè fouvient de fon rang , ce n’eft: que pour,’
donner à fos injures un peu plus d’atrocité : ô Majejlé
Angloife , s’écrie-1-il, j ’aurai le droit de te veautrer
dans ta boue & dans ton ordure........ Commencez vous
à rougir, Henri, non plus roi, mais facrilège ? . . . ,
La manie elle-même ne pouvait extravaguer plus que
Henri 9 ni la foitife être plus fiupide. Û étoit un fou,
un infenfé , le plus grojficr de tous les pourceaux^ 6»
de tous les ânes ; car il falfoit toujours de l’âne ÔC
du pourceau dans tout ce que Luther écrivoit , &
dans tout çe que les catholiques écrivoient contre
foi. *
• Luther fe repentit dans la fuite d’avoir tant outragé
Henri V I I I , lorfqu’il le virrépudier une reine catholique
, pour époukr Anae de Bouleri , qu’on, difoit
favorable au fothéranifme. Le defir d’attirer l’Angleterre
à là fedle, l’emportant fur les anciennes inimitiés ,
il s’abaiffa julqu’à faire .des exeufes à un roi. Elles furent
mal reçues, Henri tenoit à fa théologie, & en fe
féparsant.de leglife , il en conferva la dcûrine, parce
qu’il l’avoit enfeig:^ v. Il étoit d’ailleurs trop bon théologien
pour pardonner. Il reprocha durement à Luther,
fa groffièreté & fa légèreté, fes hauteurs & fes baf-
fifïes, fes opinions & fa conduite. Luther indigné“
retraite fes exeufes , il avoue que la foumiffion né
lui a jamais réuffi , il jure de ne jamais retomber
dans cette, faute , & il tint affez bien parole.
Luther avoit fait e:i langue Allemande une traduction
du Nouveau Teftament, que les catholiques
trouvèrent remplie d’infidélités tendantes à favorifer
fes dogmes ; Jercme Emfer, dcÇleür de Léipfick, &
théologien du duc George de Saxe, comme Luther
l’étoit de l’éleclèur, releva ces infidélités ,, & oppofa
une traduCHon orthodoxe à cette traduéfion hérétique,
Luther l’accable d’injures , plus encore que les rois ck
"les • papes.
L’archiduc, depuis empereur Ferdinand , frère de
Charles Quint, le duc George de Saxe, le duc de
Bavière & quelques autres princes catholiques , firent
brûler la veifion de Luther. Leurs édits , félon la
forme ufitée, ordonnoient le rapport des exemplaires,
Luther défend d’obéir à ces tyrans impies, à ces
nouveaux hérodes qui voulaient ùo fier Jéfus-Chrijl au
\ berceau,
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