pour lui faire leur cour aux dépens d’Emmanuel, dont
ils traitaient la bienfaifance de prodigalité ; l’aménité
de timide ôc baffe condefcen dance pour le peuple ;
l’indulgence ôc l’affabilité, d’ignorance dans lart de
gouverner les hommes. Jean n’avoit que dix-fept ans;
on lui peignoit fous des traits fi brillants les avantages
du pouvoir arbitraire, qu’il penfa, commefiesféduc-
teurs, que fon père ne favoit pas régner ; ôc il marqua
Ja plus vive impatience de monter fur le trône,- afin
d’y -déployer toute la puiffance de l’autorité royale.
Emmanuel s’apperçut des defirs de fon fils ; il découvrit
par quels confeilsfcp ambition s’enflammoit, ôc
d’après quelles maximes il s etoit propofé de gouverner.
Cette decouverte le fit changer de réfolution, il abanr
donna fon projet d’abdication ; & , dans la vue de
s’affermir lui-même fur le trône, & de détruire les
efpérances de ces lâches courtifans , il déclara hautement
qu’il prétendoit garder le feeptre ôc fe maria
avec dona Léonore , feeur de Charles - Quint. Jean
parut fort inquiet ; les grands, qui lui avoient donné des
confeiîs, le fiirent . plus que lui ; & craignant , avec
radon , l’indignation du roi, la plupart fous divers
prétextes , fe bannirent eux-mêmes de 'la cour, &
allèrent cacher leur honte dans leurs terres. Le pl,us
dangereux de ces adulateurs étoit don Louis de Silveira,
favori de Jean , ôc celui q u ilig u é avec les, autres
flatteurs $ lui avoit in(piré de l’éloignement pour Ion
père , & les plus fâuffes maximes fur l’autorité royale.
Ce fut auffi celui contre lequel Emmanuel fevit avec le
plus de rigueur ; Silveira fut exile , ôc Jean n’étant
plus infeéfé de fés mauvais confeiîs , fentit fa faute
& comprit combien il étoit de fon intérêt de fe conformer
aux volontés, de fon père. Cette aventure fut
pour lui une excellente leçon lur le choix des perfônnes
qu’il devoit déformais honorer de fa confiance ; & bien
foin de defirer la puiffance fuprême, il ne chercha plus
qu’à fe former, fous les yeux de fon père , dans L’art
de gouverner ; il y fit des progrès fi heureux , qu’âgé
de vingt ans feulement, lorfqu’à la mort du roi Emmanuel
, il monta fur le trôné, en 15 2 1 , on le regardoit
déjà en Portugal comme l’un des fôuverains l'es plus
habiles & les plus éclairés de fon fiècle. Il ne démentit
point cette idée avantageufe ; il eft vrai que dès les premiers
jours de fon règne , fâchant que Silveira s’étoit
lui-même corrigé ,.il îe rappella , & partagea fon entière
confiance entre lui & don Antoine d’Ataïde. Silveira
meritoit cette faveur, il avoit de l’efprit, étoit fort
éclairé, plein de valeur , & recherché de tous par
les agréments de fà focîété, fon défintéreffement & fes
aimables qualités. Ataïde moins brillant, avoit toutes
les connoiffances ôc toute la capacité d’un excellent
mm-ftre, dfon grand homme d’état. Le choix du
nouveau roi ne poüvoît être, ni pluff* prudent, ni
plus heureux. La reine Léonore, belle-mère àeJeany
avoit apporté à fon époux une dot immenfè, & le
roi Emmanuel lui avoit affigné un douaire encore
plus riche.. Le paiement de ce douaire «’étoit pas
aifê à faire , il abforboit une partie des tréfôrs du
fouverain. Le due de Eragance ccnfeilla à Jean 111
tfépoufer fe belle-mère | afip d’être par-là difjpenfé i
de lui pSÿéî fon douaire ; cet expédient ; au fit
ungulier qu’indécent , trouva beaucoup d’approbateurs
, qui prefsèrent vivemement le roi depoufer fa
belle - mère , & il parut difoofé à prendre ce parti 5,
mais/ fe comte Vimiofo lui fit à ce fojet de fi fortès
repréfentations , & la ville de Lisbonne de fi vives
remontrances , qu’il renonça tout-à-fait à cette union
vraiment inceftueufe , paya le douaire de la reine
Leonore , & confentitàfon retour en Caflille , auprès
de 1 empereur,.Charles - Quint, fon frère , où elle fus
accompagnée par Lou:s de Silveira, qui y refia huit
mois en. qualité d’ambaffàdeur ; ôc qui, à fon retour
ij-t?,ni^er/ci/ans ^ difgrace de fon maître, par
1 oubli d une ceremonie que Jean regarda comme un
manque dê refpeét. Il exiftoit un ancien démêlé entra
Iss cours de Caftille & de Portugalau fojet des îles
Moluquesfur le/quelles les deux nations prétendeient
avoir également des droits. Charles - Quint , peu.
délicat for les moyens de poffeder ôc d’acquérir 9
fit equipex une puiffanig flotte pour les Indes , fans,
egard aux proleflations ni aux prétentions des Por-
tugais t ceux-ci ne pouvoient point alors lutter contre
les forces de Charfes-Quint ; Jean fentit l’embarras de;
^ sèn tka. en politique confemmé i
* fallcit 1 être pour arrêter f execution des.projets formés,
par Charles-Quinte 11 feignit d’ignorfer le plan de cette,
expéditionÔC envoya des ambaffàdeurs à la cour de.
Caftille pour y traiter de fon mariage avec l’infante dona.
Catherine ,-fçeur de l’empereur. Ce fouverain avoit
alors ime guerre très - vive à foutenir en Italie, &
u avoit dcSj depenfes énormes à faire : les mêmes ambafe-
fadeurs lui offrirent^ de la part du roi de Portugal
une fomtne confiderable , condition que jufqu’au
rembourf ment de cette fomme , l’affaire des îles Moluques
refteroit fofpendue. Chàrles-Quint y confentit.
d autant plus volontiers, qu’il etoit très-embarraffé pour
fournir aux frais de la guerre ; ïl- confentit au mariage
de l’infante , Ôc c e mariage fût célébré à Crato ^
a\ec la plus grande magnificence. Le commerce des-
Portugais aux Indes étoit fort étendu mais pour le.
rendre auffi florifïànt qu’il pouvoit l’être,, il y avoit
quelques obflaçles a applanir , ôc quelques affaires à.
terminer avec les princes Indiens : Jean I I I y envoya
; le célébré Vafco de Gama,, qui., malgré les infirmités
W g * âge avancé, fit ce voyage, régla tout à. la fatife
faction des Portugais , ôc mourut peu de temps après
avoir rendu a fa nation cet important ferviee. Charles*
Quint defirant de reflèrrer de plus en plus l’union-
qu il y avoit entre lui ôc Jean I I I y demanda en.
mariage Ôc obtint finfante dona Ifebelle ; &. ce fut
pendant les fêtes de cette union , que l’empereur
David, qui ©ceupoit le trône d’Abyffinie, & qui s’étant
rendu fi célébré fous le nem de Prêtre-Jean , étant
connu alors fous celui de Grand - Négus, envoya.à la>
cour de Lisbonne un ambaffadeur qui, après quelque
temps de féjour, alla à Rome rendre, dit-on -, cfe la.
P|j| d- fon maître, l’obédience au pape. Jean I I I
n’étoit rien moins que foperffitieux ou fanatique ;
cependant fe piete mal entendue oc * fionna contre
fon. intention ,>ien des maux à fes peuples;, fouspré^
texte de' quelques excès fcandaleux , commis par fes
Juifs, «ti que peut-être on leur attribua ; 1e cierge affectant
les plus vives alarmes pour la religion , qui, pour
fe foutenir & fe venger , a fi peu befoin du fécours
impuiffant des hommes , follicita vivement le roi
d'introduire Tinquifition dans fes états , lui promettant ,
que ce tribunal feroit un monument de piété qui
attireroit perpétuellement la bénédiéfion du, ciel for la
nation. Jean I I I eut la facilité de céder aux importunités
de* eccléfiaftiques ; l’inexorable & fànguinaire
inqùifition fut introduite , ÔC l’on fait quel genre de
bénédiâion les Portugais ont retiré de cet horrible .
tribunal. Des projets plus importans occupoient Charles
Quint en Efpagne, il y faifoit d’imrr.eîles préparatifs,
ôc ne néaligeoit rien pour s’afïiirer c u flicces de 1 ex—
®éditicn3qu’il méditoit contre les Maures d’Afrique.
Don Louis;, infant de Portugal, voulut lervir dans :
-cette guerre, s’embarqua paffa la mer avec la flotte ;
Efpaanolé , & fe diftingua dans cette-expédition ,
auffi°bril!ante qu’inutile. Don Louis eût mieux fait
d’aller fervir plus utilement fa patrie dans l’Inde , où. :
les: Portugais étoient menacés d’une ruine entièrè par
Soliman I I , empereur des Turcs : ce violent orage
'h diffipa pourtant, ÔC la valeur des troupes Portu-
galfes l’emporta fur le nombre ôc la fureur indifer- -
plinée des Mahométans. La nouvelle de ces foccès
remplit' de joie la cour de Lisbonne; mais cette
grande fatisfaâion frit bien tempérée par les malheurs
qui fondirent ' fur la famille ; royale : le prince don
Philippe , âgé de fix ans, fils aîné de Jean , Ôc l’héritier
préfomptif de la couronne, mourut ; Ôc le roi n’étoit
pas encore confolé de cette perte, lorfqu il en fit une
nouvelle, celle de l’impératrice Ifabdle, fa feeur : il
i-egrettoit cette princeffe, quand il eut à pleurer don
Antoine, don Alphonfe , don Edouard, fes trois fils ,
qui moururent dans l’enfance ; ôc tous -trois prefqu en
même temps : comme fi ces pertes n’euffent point encore
été affez accablantes, il eut à foutenir la plus
noire Ôc la plus imprévue des trahifons, de la part de
l’homme dont il fe défioit le moins, de Michel Sylva,
évêque de Vifeu , frère du comte de Montalegre, ôc
fecrétaire du cabinet. Sylva ambitionnoit la pourpre
Romaine, ôc il négocioit fecrètement à Rome pour
l ’obtenir ; elle lui fut .promife | à condition qu’il révélerait
les fecrets de fon maître. L’ambitieux ôc perfide
Sylva ne balança point, il prit quelques papiers très-
importants , alla à Rome, ôc les livra pour le chapeau
de cardinal ; indigné de tant de noirceur, Jean I I I
•déclara Sylva traître à l’état ; il lui ôta tous fes bénéfices
, le dégrada de nôbleffe, défendit à tous fés fujets
d’avoir aucune forte de correfpondance avec lu i, fous
peine d’encourir fon indignation , ôc fit févèrement
renfermer le comte de Pontalegre , pour avoir écrit a
fon frère. Jean étoit le plus doux des hommes ; mais
dans cette circonfiânce, l’indulgence eût pu .devenir
fùnefte ; ôc cet ade dé rigueur fit le plus grand effet
parmi les feignéurs de la cour. Le calme foccéda à ces
temps orageux ; le roi de Portugal donna en mariage
l’infante dona Marie , fa fille , à don Philippe, fils de
¥ empereur. Le commercé Portugais ffçuriffoit; dans-les
Indes , Ôc fes produits enrichiffoient le Portugal : le
peuple étoit heureux, le roi l’étoit lui-même ; il fit le$
plus utiles règlements pour maintenir, accroître même
cette profpérité; mais ne pouvant fùffire à expédier
toutes les affaires , comme il l’avoit fait jufqu’alors
il en remit l’expédition à divers confeiîs : ôc cette
méthode J qu’il crut très - fage , penfe caufer la décadence
du royaume. La méfifitelligence ÔC la corruption
fe glifsèrent dans fes confeiîs ; les affaires ne
s’y terminoient point, ou s’y expédieient trop pré-
ci mtamment ôc contre tôutes les règles de l’équité :
malheureufement pour la nation, le roi ne s’apperçut
que trop tard de ces abus ; la découverte qu’il en fit,
le pénétra d’un tel chagiin, qu’il en mourut. Mais
pendant que ces abus-'régnoient à fon infçu dans les
confeiîs, perfoadé que la plus exaéle intégrité y préfi-
doit -, il ne-s’occupoit que des plus importantes affaires ;
il maria le prince Jean , fon fils, avec dona Jeanne ,
fille de l’empereur ; dans le même temps il envoya ,
pour les former dans l’art de la guerre , dans celui
des négociations, ôc même aux affaires du commerce ,
plufieurs jeunes gens dans les Indes , entr’autres , le
célèbre Gamoëns-, qui chanta fi dignement les exploits
de fes compatriotes. Tandis que ces jeunes militaires
alloient porter dans les Indes la terreur dés armés Pôitu-
gàifes, Jean I I I éprouvoit encore dans fa famille un
revers bien fenfible à fon c$pur ; le mariage de fon fils
étoit heureux, la jeune princeffe étoit groffe ; mais
fon jéune époux fe livra avec tant d’excès aux plaifirs
de l’amour, qu’il fut attaqué d’une fièvre lente , devenue
en très-peu de jours fi violente, qu’il en mourut;
Cette perte conffema la cour , Jean I I I en fut incon-
folable, mais l’amertume de fes regrets ne l’empêcha
point de s’occuper des ioins. qu’il croyoït devoir aux
affaires' du gouvernement ; il pourvut à la défenfe du
Brefil par la confiruâion des forts qu’il ordonna d’y
bâtir, ôc beaucoup plus encore par le foin qu’il eut
d’envoyer dans ces pays des miffidfmaires inteîligens ,
chargés dé travailler à la convèrfion des naturels. Ces
millionnaires eurent d’au ta» t plus de foccès , qu’ils
étoient auffi attentifs à crvi'Lifer les peuples , qua les
accoutumer à l’éclat de la lumière de 1 évangile. Don
Louis, duc de Beja, infant de Portugal, faifoit les
délices de fon père , "ôc l’efpérance de la nation ; il
mourut auffi , ôc renouvella les douleurs encore mal
étouffées du fenfible Jean I I I ; il eft vrai que i’infant
don Louis étoit à tous égards bien digne de l’amour de
fon père, ôç des ' larmes que les Portugais attendris
donnèrent à la mort : on affùre qu’il fùrpaffoit tous les
princes de fbn temps en lumières , en pénétration , en
piété, en courage ôc en générofité. Jean I I I cherchant
à fe diflraire de la douleur profonde où cet événement
l’avoit plongé, réfohit de porter fe dernier coup à
la réforme très - uéceffaire des ordres religieux qu’il
avoit déjà' commencée, ôc qu’il importoit beaucoup
de terminer. Ce fut en travaillant à cette grande affaire
eu il découvrit les abus multipliés ôc révoitans qui i s’étoient gliffés dans les confeiîs : il vit combien les
fujets avoient fouffert de ces abus, ôc il y fut fi fen-r
• fible , que fafenjé en fut tout-à-ceup altérée : on cr#