
Soient les plus belles de l’univers * & prefque tous
les auteurs grecs en parlent fur ce ton : il fuffiroit
même de fe reffou venir qu’Hélene étoit de Lncédé-
mon:. Pour l’amour d’elle , Théfée y vint d’Athènes,
&. Paris de T roÿe t affurés d’y trouver quelque
ehofe de' plus beau que dans tout autre pays, Pénélope
étoit aufiV de Sparte ; & prefque dans le même
tems que les charmes d’Hélene y faiioient naître des
de/irs criminels dans Famé de deux amans, les chartes
regards de Pénélope y allumoient^un grand nombre
d innocentes flammes dans le coeur des rivaux qui
vinrent en foule la difputer à Ulyffe.
' Le legiflateur de Lacédémone fe propofant donc
délever les filles de Sparte au-deiTus des coutumes
de leur fèxe 3 leur fit faire les mêmes exercices que
faiioient les. hommes , afin qu’elles ne leur fuffent
point inférieures , ni pour la force & la fanté du
corps , ni pour la grandeur du courage. Ainfi def*
tinees à s’exercer à la courfe , à la lutte , à jetter
le palet & à lancer le javelot , elles portoient des
habits qui leur donnoient toute l’aifance néceflaire
pour s’acquitter de ces exercices. Sophocle a peint
l’habit des filles de Sparte, en décrivant celui d’Her-
mione , dans un fragment que Plutarque rapporte :
» il etoit très-court 3 cet habit, & c’en tout ce que
» j’en dois dire.
Ly cu rgue ne voulut pas" feulement que les jeunes
garçons danfaflent nuds, mais il établit que les jeunes
filles , dans certaines fêtes folemnelles, danfè-
roient en public y parées feulement de leur propre
beaute, <$c fans autre voile que-leur vertu. La pudeur
s’en al ai ma d’abord , mais elle céda bien - rôt
a l utilité publique. La nation , vit avec refpeél ces
aimables beautés célébrer dans des fêtes , par leurs
hymnes , les jeunes guerriers qui s’étoient fignalés
par des exploits éclatans. « Quel triomphe pour le
J> héros qui recevoit la palme de la gloire des mains
» de la beauté ; qui lifoit l’eftime- fur le front des
” vîei1 lards , l’amour dans les yeux de ces jeunes
» filles , & l’arturance de ces faveurs dont l’ efpoir
» fèul. eft Un plaifir \ Peut-on douter qu’alors ce
v jeune guerrier ne fut ivre de valeur»? Tout con-
couroit dans cette légiflation à métamorphofer les
hommes en héros.
Je ne parle, point de la gymnopédie des jeunes
lacédémoniennes , pour la juftifier d’après Plutarque.
Tout eft dit félon la remarque d’un iliuftre
^m o d e rn e en avançant » que cet ufage ne conve-
» noit qu’aux éleves de Lycurgue , que leur vie
» frugale &Iaborieufë, leurs moeurs pures & féveres,
» la force d’ame qui leur étoit propre , pouvoient
» feules rendre innocent fous leurs.yeux un fpeéfacle fi
97 choquant pour tout peuple qui n’eft qu’honnête.
» Mais penfè^t-on qu’au fend l’adroite parure de
» nos femmes ait moins fôn danger qu’une nudité
v abfolue , dont l’habitude toumeroit bien-tôt les
» premiers effets en indifférences ? Ne fait-pn pas que
» les ftatues & les tableaux n’offenfent les yeux que
» quand un mélange de vêtement rend les nudités
» obfcènes ?- Le pouvoir immédiat des fens, eft foible
I » & borné ; c’eft par Fentremifè de l’imagination
» qu’ils font leurs pins grands ravages ; c’eft elle qui
» prend loin d’irriter les defirs, en pi étant à leurs
» objets encore plus d’attraits que ne leur en donna
» la nature. Enfin, quand on s’habille avec tant d'art*
» & fi peu d’exaéfitude que les femmes font aujour-
» d’nui : . quand on ne ^montre moins que pour faire
» defirer davantage ; quand l’obftacle qu’on oppofe-
» aux yeux ne lert qu'à mieux irriter la paflion s>
» quand on ne cache une partie de l’objet que pou#
». parer celle qu’on expofe :
Heu-male thm mites défendit pampinus uva s !
Les femmes de Lacédémone portoient un voile fur
le vifage , mais non pas les filles ; & lorfqu un étranger
en demanda autrefois la raifon à Charilaiis , il
répondit que les filles cherchoient un mari, &. que
les femmes fe confervoient pour le leur.
Dès que ce mari étoit trouvé , & agréé par le
magiftrat, il falloit qu’il enlevât la fille qu’il devoit
épou-fèr : peut-être afin que la pudeur prête à fu o
comber, eût un prétexte dans la violence du ravif-
feur. Plutarque ajoute , qu’au temps, de la confom-
mation du mariage , la femme étoit vêtue de l’habit
d’homme. Comme on n’en apporte point de raifon y
on non peut imaginer de plus modcfte , ni de plus
apparente , finon que c’étoit le fymbole d’un -pou-.
; voir égal entre la femme & le mari ; car il eft certain
qu’il n’y a jamais eu de nation où les femmes,
aient été plus abfolues qu’à Lacédémone. On fait à-
ce fujet ce que répondit Gorgo femme de Léoni-
das, roi de Sparte , à. une dame étrangère qui lui-
difoit : « il n’y a que vous autres qui commandiez
» à vos maris, cela eft vrai, -répliqua la reine, mais-
» aufti il n’y a que nous qui mettions des hommes au-
» monde ».
Perfonne n’ignore ce qui fe pratiquoit aux couche»
de ces femmes. Prévenues d un fentiment de gloire ,.
& animées du génie de la république, elles ne fbnr
geoient dans ces momens qu’à infpirer une ardeur
martiale à leurs enfans. Dès qu’elles étoient en travail
, on apportoit un javelot &. un bouclier , &
on les mettoit elles-mêmes fur ce bouclier, afin que
ces peuples belliqueux en tiraffent au moins un pré-
fàge de la naiffance d’un nouveau fbldatr Si elles
aceôuchoient d’un garçon , les parens élevoient l’enfant
fur le bejuclier , pouffant au ciel ces acclamations
héroïques, I ras 3 i g^n ruvy mots que les Latins
Ont rendu par a u t hune, aut in hoc ; c’eft-à-dire, oir
confervez ce bouclier , ou ne' l’abandonnez qu’avec
la vie ; & de peur que les enfans n’oubliaflbnt ces
premières leçons , les meres venoient les leur rap-
peller quand ils allcient à la guerre y en leur mettant
le bouclier à la main. Aufone le dit après tous les
auteurs Grecs
Mater Lacotna elypeo oharmans filium ,
Cum hoc inquit ,. aut in hoc redi.
Ariftote nous apprend , qi e, <e fut l’illuftre femme
de Léonidas dont je viens de parler , qui tint la pre^
mfke ca propos à fon fils , lorfqu’il partait potir 1 ar-
mée ; ce que les autres Lacédémomennes imitèrent
D e quelque amour qu’on foit animé pour la pattie
d»ms les républiques guerrières, on n’y verra jamais
de mère après la perte d’un fils tué dans le combat,
reprocher au fils qui lui refte , d’avoir furvécu a fa
défaite. On ne prendra plus exemple fur les anciennes
Lacédémoniennes. Après la bataille de Leucires ,
honteufes d’avoir porté dans leur fein^ des hommes
capables de fuir , celles dont les enfants etoient échappés
au carnage,fe retiroient au fond deleurs mailons,
dans le deuil & dans le filence , lorfqu'au contraire,
les mère« r dont les fils étoient morts en combattant,
fe montaient en public, & la tête couronnée de
fleurs, alloient aux temples en rendre grâces aux
dieux. H eft certain qu’il n’y a jamais eu de pays o u
la grandeur d’ame ait été plus commune parmi le
beau fexe. Lifer. , fi vous ne m’en croyez pas , ce
que Plutarque rapporte de Demétria , & de tant
d’autres Lacédémoniennes..
Quand elles avoient appris que leurs enfants ve-
noient.de périr, & qu’elles étoient à portée de viftter
leur corps, elles y couroient pour examiner fi leurs
bleffures avoient été reçues le vifage ou le dos tourne
contre l ’enn emi; fi c’étoit en faifant face -, f^ es
■ efTuyoient leurs larmes-, & d’un vifage plus tranquille,
«lies alloient inhumer leurs fils dans le^ tombeau de
leurs ancêtres ; mais s’ils avoient été blefîés autrement,
elles le retiroient faifies de douleur , & abandonnoient
les cadavres à leur fépulture-ordinaire.
Comme ces mêmes Lacédémoniennes n etoient pas
•moins attachées à leurs maris qu’à la gloire des enfants
qu’elles avoient mis au monde , leurs mariages
«çtoient très-heureux. Il eft vrai que les loixde L ycurgue
puniftoient les célibataires, ceux qui fe marioient dans
«nage avancé, & même ceux-qui faifoient des alliances
mal afforties; mais après ce que nous avons dit
des charmes & de la vertu des Lacédémoniennes, il
le mariage. ,
Ajoutez qu*il étoit interdit à ceux que la lachete avoit
fait fauver d’une bataille. Et quel eft le fpartiate qui eût ;
ofé' s’expofer à cette double ignominie î
Enfin , à moins que de fe marier, tous les autres
remèdes contre l’amour pour des femmes honnêtes,
étoient à Sparte , ou dangereux ou rares. Quiconque
y violoit une fille, étoit puni, de mort. A l’égard de
l’adultère, il ne faut quefe fouvenir du bon mot de
Géradas. Un étranger demandoit à un Lacédémonien,
comment on puniftoit cette aftion à Sparte ; Elle y eft
inconnue , dit Géradas. Mais fuppofons l’évènement,
répondit l’étranger ; en ce ca s , répliqua le fpartiate,
il faudroit que le coupable payât un taureau d’une
fi grande taille, qu’il pût boire de la pointe du Mont
Taygete dans la rivière d’Eurotas. Mais, reprit 1 etranger
, vous ne fongez donc pas quM eft itnpoftible de
- former un fi grand taureau. Géradas fouriant ; mais
Fous ne fongez dons pas , vous, qu’il eft impoftible
Savoir .une galanterie criminelle avec une femme de
Lacédémone. . .
N’imaginons pas que les anciens auteurs le contre-
difent, qtiand ils nous aflurent qu’on ne vo yo itp o nt
d’adultère à Sparte, & que cependant un mari ce-
doit quelquefois fon lit nuptial à un homme de bonne,
mine pour avoir des enfants tobuftes & bien laits ;
les Spartiates n’appeUoient point cette ccflion un
adultère. Ils croyoicnt que dans le partage d un bien
fi précieux, le confentement ou la répugnance d un
mar i, fait ou détruit le crime , & qu’il en etoit de
cette aélion ccmme d’un tréfor qu’un homme donne
quand il lui pla ît, mais qu’il ne veut oint qu’on lui
ravifle. Dans cette rencontre , la femme ne trahifloit
pas fon époux ; & comme les perfonnes intert fiées
- ne fentoient point d’offenfe à ce contrat , elles n y
trouvoient point de honte. En un mot , un îaeede-
monien ne demandoit point à fa femme des voluptés ,
il lui demandoit dés enfants.
Qu e ces enfants dévoient être beaux ! Et comment
n’auroient r ils point été tels ., fi on conficiere outre
leur origine , tous les foins qu on y apportoit r Liiez
feulement ce que le poète Pppien en a publié. Les
Spartiates , d.t - i l , le perfuadant que dans le temps
de la conception , l’imagination dune mere contribue
aux beautés de l’enfant., quand elle fe représente des
objets agréables, étaloient aux yeux de-leurs époufes ,
les portraits des héros les mieux faits, ceux de Caftor
6e de Pollux , du charmant Hyacinthe , d Apollon ,
de Bacchus , de Narçifie , & de i’inccmparable
N e ré e , roi de N axe , qui au rapport a Homere ,
fut le plus beau des Grecs qui combattirent devant
Tr.oye, ,
Envisagez .enfuite combien des enfants nés • de
pères 6c mères robufies, chaftes & tempérants, dévoient
devenir à leur,.tour , forts &. vigoureux 1 Telles
étoient les inftitutions de Lycurgue , qu’elles ten-
doient toutes à produire cet effet. Pitilopcemen voulut
contraindre les Lacédémoniennes d abandonner 1a
nourriture de leurs enfants , perfuadé que fans ce
m o y en , ils auroient toujours une am grande ôc le
çceur haut. Les gardes même des dames de Sparte
nouvellement accouchées*, étoient renommées dans
toute la Grèce pour exceller dans les premiers foins
de la vie , ôt pour avoir Une manière d’emmarllotter
les enfants , propre à leur rendre la taille plus libre
& plus dégagéee que par-tout ailleurs. Amie!a vint de
Lacédémone à Athènes pour alaiter Alcibiade.
Malgré toutes les apparences de la v gueur des
enfants , les Spartiates les éprouvoient encore à leur
naiffance , en les lavant dans du vin. Gette liqueur ,
. félon leur opinion -, a voit la vertu d’augmenter la
force de la. bonne .cçnftimtion, ou d’accabler la langueur
de là mauvaife. Je me rappelle qu’Kenri IV
fut traité comme un fpartiate. Son \ ère , Antoine
de Bourbon, après l’avoir, reçu des bras d e là fage-
femme , lui fit fucer une gouffe d’ail , ôc lui mit du
vin dans la bouche.
Les enfants .qui fortoient heureufement de cette
1 épreuve } ( ôf l’pu en yoypit peu , fans deute , qui
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