
H i s t o i r e E c c l e s i a s t i q u e ;
ce. Il ne faut point.perfecuter les Juifs, il ne faut
point les tuer, ni même les chafler. Ce font comme
des lettres vivantes qui nous reprefentent la paillon
de N. S. C ’eft pour cela qu’ils font difpeifez dans
tous les pays du monde : afin que iouffrant la jufte
peine d’un fi grand crime, ils rendent témoignage
a notre rédemption. Toutefois ils fe convertiront à
la fin , après que la multitude des Gentils fera entrée
dans l’églife. Si nous en attendions autant des payens,
il faudroit les fouffrir, plutôt que de leur faire la
guerre : mais puifqu’ils ont commencé a nous attaquer,
il faut que ceux qui ont droit d’ufet du glaive,
repouflent la force par la force. Or il eft de la pieté
chrétienne d’épargner ceux qui font fournis, comme
de dompter les fuperbes. Enfin S. Bernard avertit les
croifez , de ne choifir pour chefs que des guerriers,
8c les plus expérimentez , & de marcher tous enfem-
ble , en corps d’armée, pour éviter l’inconvenient de
ceux qui fuivirent temerairement Pierre l’ermite à
la première croifade.
Ce que le faint abbé dit ici des Juifs , regarde le
zeleindifcret d’un moine nommé Rodolfe , qui prê-
choit en même tems la croifade à Cologne, à Mayence
, à Vormes Seaux autres villes proche du Rhin.
Ilfaifoitprofeifion d’une grande feverité,mâis il étoit
peuinftruit, Sc dans fes prédications il difoit qu’il
falloir tueries Juifs, comme les ennemis de la religion
chrétienne; 8c fes difeours feditieux firent un tel
effet, qu’en plufieurs villes de Gaule 8c de Germanie
il y eut grand nombre de Juifs maflacrez. Henri
archevêque de Mayence en ayant écrit à S. Bernard il
lui répondit : Cette homme n’a aucune million, ni des
L i v r e S o i x à n t e - N e u v i e ’me.' 6%i *----------•
hommes ni de Dieu. Que s’il fe vante d’être moine An. 11467
ou ermite , ôc prétend par là s’attribuer la liberté de
prêcher : il doit fçavoir que le devoir d’un moine
n’eft pas d’enfeigner, mais de pleurer; 8c que la
ville doit être pour lui uneprifon , 8c lafolitude un
paradis. Il y a en celui-ci trois chofes très-dignes de
reprehenfion, l’ufurpation du miniftere de la parole,
le mépris des évêques, l’approbation de l’homicide.
L’églife triomphe plus glorieufement des J u i f s , les
convaincant ou les convertilfant de jour en jour, que
fi elle les faifoitpafler une fois au fil de l’épée; 8c ce
n’eft pas en vain qu’elle fait pour eux cette priere , où
elle demande à Dieu d’ôter le voile de leurs coeurs.
C ’eft l’oraifon du vendredi faint. Saint Bernard conclut
que Rodolfe eft plein dcl’efprit d’arrogance, 6c
cherche à fe faire un grand nom.
Pierre abbé de Clugni étoit dans le même fenti-
meiïtau fujet des Juifs: comme il paroîtpar la lettre 1 ?«-
qu’il écrivit au roi Loüis vers le même tems, pour
lui fouhaiter un heureux fuccès dans fa croifade. Il
convient que les Juifs font les plus grands ennemis
des Chrétiens, 6c pires que les Sarrafins : toutefois il
ne veut pas qu’on les fafle mourir, mais qu’on les re-
ferveàunplusgrandfupplice : qui eft d’être toûjours
efclaves, timides 6c fugitifs. Ce qu’il demande au
roi, c’eft de les punir en ce qu’ils ont de plus cher,
qui eft leur argent : leur ôtant les gains illicites qu’ils
font fur les Chrétiens , non-feulement par les ufures ,
mais par les larcins dont ils font complices 6c receleurs
: principalement de l’argenterie des églifes.
Car les voleurs ne trouvant point de Chrétiens , qui
voulufient acheter des vafes facrez, les vendoient à
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