
508 H i s t o i r e E c c l e s i a s t i q u e . ’
— naftere. Car ils difoicnt que pour condamner ce livre
A N. in o . il fuffifoit que fauteur eût eu la hardieiïe de l’enfei-
gner publiquement, & d’en biffer prendre plufieurs
copies, fans qu’il eût été approuve par l’autorité du
pape ou de l’églife. L’évêque de Chartres avertit
Abailard de cette réfolution, l’exhortant à s’y fou-
mettre, & lui faifant efperer que quand le concile
leroit feparé , le légat le retircroit bien-tôt du mo-
naftere où on l'auroit enfermé.
t Je- Abailard fut donc appellé dans la ieance du concile
3 & obligé à jetter fon livre dans le feu de fa
propre main. Quelqu’un remarqua qu’il y difoit que
Dieu le pere étoit le feul tout puiffant : ce qui donna
lieu défaire obferver qu’il n’y a qu’un Tout-puiffant,
quoique la toute-puiffance convienne à chacune des
perfonnes divines nommées féparément. Enfuite l’archevêque
dit qu’il étoit a propos qu’Abailard fit fa
profeflion de fo i, & comme il fe levoit pour la faire,
on dit qu’il n’en falloit point d’autre que le fymbole
de faint Athanafe : & pour plus grande sûreté on le
lui fit lire, ce qu’il fit comme il put avec beaucoup de
larmes, de foupirs & de fanglots. Enfin on le mit
entre les mains de l’abbé de faint Medard de Soiffons,
pour l’enfermer & le garder dans fon monaftere ; &
auifi-tôt le concile fefepara. C ’eft ce qui me parole
de plus certain dans le récit qu’Abailard en fait lui-
même , & où il témoigne trop de paillon pour être
cru entièrement.
Mais en quoi on ne peut lui refufer créance , c’eft
en ce qu’il raconte de fon defefpoir. L’abbé, dit-il ,
& les moines de S. Medard, croïant que je demeure-
rois toujours avec eux, me reçurent avec une très-
L l V R E S Ol X A U T E-SÈ ET I E’ME* 30.9
grande joie , & s’efforçoient de me confoler par les *
foins qu’ils prenoient de me bien traiter ; mais c’étoit ‘ *
en vain. Vous fçavez, feigneur, avec quelle amertume
de coeur je m’en prenois à vous-même , avec- quelle
fureur je vous accufois. Je ne puis exprimer quelle
étoit ma douleur , ma confufion , mon defefpoir. Il
ajoute que le légat fe repentant de ce qu’il avoit fait,
6e croïant avoir fatisfait à la paillon de fes ennemis,
le tira peu de jours après de faint Medard, & le ren-
voïa à fon monaftere, c’eft-à-dire , à faint Denis. Il
faut dire maintenant qui étoit Abailard, & quelles
avoient été fes avantures, tirant principalement ce epi/i.i;
récit de celui qu’il en a fait lui-même.
Pierre Abailard naquit en 1075. à l’entrée de la x x i i .
Bretagne au bourg de Palais, à troislieuës de Nantes, afpiïm Abai-"*
Son pere nommé Berenger, avoit pris quelque tein- lard-
ture des lettres avant que d’être fait chevalier : c’eft
pourquoi il fitétudier tousfes enfans avant qu’ils por-
taffentles armes. Pierre y renonça, & fe donna tout
entier aux lettres. Il s’appliqua particulièrement à la
dialeétique, & parcourut diverfes provinces, félon
qu’il ;apprenoit que cette étude y avoit cours : un de
fes premiers maîtres fut Rofcelin de Compiegne, fa- Vuct,ef„e, K„r,
meux par fes erreurs. Abailard vint à Paris vers l’an AieUri-1-
i t o o . & fe rendit difciple de Guillaume de Cham- Saf Uv „ , TJ
peaux , eftimé alors le plus habile maître de dialec- *•4-
tique. Il demeura quelque tems avec lu i , & en fut
d’abord aimé, mais enfuite il lui devint odieux par
fes difputes & fon opiniâtreté. Il entreprit , tout
jeune qu’il é to it , de gouverner une école, & enfei-
gna premièrement à Melun , fous la proteéfion des
feigneurs du païs. Mais après que Guillaume de
Q_q iij