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132, H i s t o i - r e E c c l e s i a s t i q u e .
laumc de Champeaux évêque de Châlons l’étant venu
7 • v ifite r , dit qu’il efperoit non feulement lui fauver la
vie, mais rétablir fa fanté, s’il vouloir croire fes con-
feils & fe biffer traiter. Et comme l’abbé ne pouvoir
fe réfoudre à quitter la rigueur de fon obfervance ,
l ’évêque alla au chapitre de Cifteaux , qui tenoic
alors entre le peu d’abbez qui en dépendoient ; &
profterné en terre devant eux , il leur demanda de
mettre l'abbé Bernard fous fon obéiifançe pour un an,
Ils ne purent refufer à un prélat d’une telle autorité
ce qu’il demandoit fi humblement. Etant donc revenu
àClairvaux,il fit faire à l’abbé une loge hors l’enclos du
monaftere, & défendit que dans fa nourriture & tout
le refte il s’aftreignît en rien à la rigueur de l’obfer-
vance , ni qu’on lui parlât d’aucune affaire de la mai-
fon. En cette retraite Bernard n’étant occupé que de
Dieu, goûtoit par avance les délices du paradis ; ôi
deux abbez l’étant venu voir, &( lui demandant comment
il fe portoit, il répondit en fouriant agréablement
, & de la maniéré noble qui lui étoit ordinaire :
Je vis fort bien ; moi à qui des hommes raifonnables
obéiffoient auparavant, j’ai été mis par un jufte jugement
de Dieu fous l’obéiiTance d’une bête fans rai-
lon. Il parloit d’un homme ruftique & ignorant qui
s’étoit vanté de le guérir, & fou$ la conduite duquel
il avoit été mis par l’évêque &; les abbez fes confrères.
Cet ignorant lui faifoit manger des viandes dont
un homme fain & preffé de la faim eût eu peine à
s’accommoder : mais Bernard prenoit tout indifféremment,
aïant prefque perdu le goût : en forte que
pendant plufieurs jours il prit du fangtout cru pouç
du beurre, & but une foi? de l’huile pour de l’eau.
L i v r e s o i x a n t e - s i x i e ’m e . 1,33
Mais après que cette année d’obéilfance fut paflee, il
revint à fes premieres aufteritez avec un nouveau A
zele,comme un torrent retenu long-tems ; & voulut 1
récompenfer le tems perdu. Il prioit debout jour &
n u it, jufqu’à ce que fes genoux affaiblis & fes pieds
enflez ne puffent plus le porter. Il porta long-tems
Un cilice fur fa chair ,& ne le quitta que quand il s’ap-
perçut quon lefçavoit. Sa nourriture étoit du pain
avec du lait, du bouillon delégtimesoudela bouillie.
Les médecins admiroient qu’il pût vivre & travailler
en forçant ainfî la nature , & difoient que c’étoit
mettre un agneau a la charuë. Ses vomiffemens fré-
quens caufez par la foibleffe de fon eftomac l ’obli-
gerent à faire creufer un trou près de fa place au
choeur, pour recevoir ce qu’il rejettoit ; & enfin cette
incommodité vint à un tel p o in t, qu’il fut réduit à
s abftenir de 1 office public. Avec toutes ces infirmi-
t e z , il ne laiffa pas de vivre foixante & trois ans , de
fonder grand nombre de monafteres, de prêcher, d’écrire
plufieurs ouvrages excellens, & d’être emploie
aux affaires les plus importantes de l’églife, qui l ’oblige
rent a faire de grands voïages.
Quand fes infir-mitez le réduifirent à fe féparcr
pour un tems de la communauté, ce fut la première
occafion aux gens du monde de le connoître & de
le venir chercher. Ils y venoient en grand nombre ,
&^de fon côté il les recevoir plus facilement & leur
prechoit les veritez de la religion. Quand l’obéif-
fance lobli^eoit a s’éloigner du monaftere pour les
affaires de l’églife, quelque part qu’il allât & de quelque
fujet qui! fût queftion,il ne pouvoit s’empêcher
de parler de Dieu. Ce qui le fit bien-tôt connoître
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