
1S4 H i s t o i r e E c c l e s i a s t i q u e .
----------- Ce fut l'an 1113. quinze ans après la fondation de
m i . Cifteaux,que Bernard âgé de vingt-deux ansyentra
saim bIV' a à aVCC P^US trcnte compagnons, pour vivre fous la
-Ciiteanx. conduite de l’abbé Etienne. Et comme quelques-
i.4. uns dentreux avoient été mariez, il fit bâtir par fes
foins un monaftere pour leurs femmes, nommé Ju lli
. dans le diocefe de Langres , qui deux ans après fut
mis fous la conduite de l’abbé de Molefme. La mai-
fon de Cifteaux etoit alors encore très-peu connue ;
aulfi Bernard y entra à deflèin de fe cacher & de fe
faire oublier : & pour s’affermir dans fes bonnes réfo-
lu tion s , il fe difoit fouvent à lui-même : Bernard ,
qu’es-tu venu faire ici ? Quand il eut commencé à
goûter la douceur de l’amour divin , ileraignoit tellement
d’être détourné de ce fentiment intérieur par
les fens, qu’il leur permettoit à peine ce qui étoit
neceffaire pour converfer avec les hommes. Il s’en fit
une habitude qui tourna comme en nature : en forte
quêtant tout abforbé en D ie u , il voïoit fans voir ,
entendoit fans entendre, & goûtoit fansfavourer. I l
avoir paffé un an dans la chambre des novices, & en
fortitfans fçavoir fi le toit en étoit lambriffé ou non.
I l fut long-tems fans s’apperçcvoir qu’il y avoit trois
fenêtres au chevet de l’égliife où il entroit plufieurs
fois le jour : il croïoit qu’il n’y en eût qu’une. Il avoit
tellement fait mourir en lui toute curiofité , qu’il ne
■remarquok point ces fortes dechofes,oulesoublioit
.auifi-tôt.
Son beau naturel aidé de la grâce , lui faifoit trouver
un goût merveilleux dans la contemplation des
chofes fpirituelles : & comme fes pallions n etoient
a i violentes, ni fortifiées par de mauvaifes habitudes,
la,
L i v r e s o i x a n t e - s i x i e ’ m e . 18/
la chair n etoit point rebelle à l ’efprit, au contraire — — ——
ri prenoittellementledeffus,qu’ellefuccomboit fous A n . H13.
le poids des aufteritez. Ce jeune homme veilloit dès-
lors au de-la des forces de la nature, comptant pour
perdu le tems du fommeil,croiant dormir allez pourvu
q u il ne veillât pas toute la nuit. Il ne mangeoit que
par la crainte de tomber en défaillance : la feule pen—
fèe de la nourriture le raflafioit, & il s’en approchoit
comme d un tourment. Aulfi dèsfon noviciat la déli-
cateffe de fa complexion ne pouvant porter l ’aufte-
rite.de fa penitence , lu i caufa un vomilfement qui
dura toute fa vie. Mais il eut toujours autant de v igueur
d elprit & de ferveur,que de foiblelfe de corps-,
& ne vouloir aucune indulgence ni aucune difpenfe
du travail ni des autres obfervances,difant qu’il étoit
novice & imparfait, & qu’il tivoit befoin de toute la
rigueur de la difeipline.
C eft pourquoi dans le travail commun, quand les
autres faifoient quelque ouvrage qu’il ne pouvoir
faire faute de 1 avoir appris, ou d’y être accoutumé ,
il s’en récompenfoit en remuant la terre, coupant du
bois, le portant fur fes épaules , ou faifant quelque
chofe de femblable ; ou fi les forces lui manquoient,
il s’en humilioit en prenant les occupations les plus
viles. Les freres étant occupez à la moiffon , comme
il.ne fçavoit pas manier la faucille , on lu i ordonna
de s’affeoir & demeurer en repos. Il en fut extrêmement
afflige ; & axant recours à la priere, il demanda
a Dieu avec larmes de lui donner la grâce de moif-
ionner. La fimplicité de fa foi fut exaucée, & dès-
lors il s en acquitta mieux qu’aucun autre. Le travail
ne lui caufoit point de diftraètion : il étoit cependant
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