
i o 4 H i s t o i r e E c c l e s i a s t i q j i e .
des moines de Clervaux. L ’eftime d’un fi grand prélat
attira à Bernard celle de toute la province de
Reims, & enfuite de toute la France.
Le nouveau monaftere de Clairvaux commença,
dans une extrême pauvreté, les. moines étant fou-
vent réduits à faire leur potage de feuilles de hêtre
& leur pain mêlé d’orge , de millet & de vefce. U n
religieux étrangeràqui on avoit ferviun de cespains;
dans la chambre des hôtes,en fut touché jufquesaux
larmes , Si l ’emporta fecretement pour le montrer
par rareté , Si faire voir que des hommes puffent
vivre d’un tel pain, & des nommes de ce mérité. Le
faint abbé étoit peu touché de ces incommoditez , Si
ne fongeoit qu'a gagner des ames. Mais comme l’hiver
approchoit , fon frété Gérard qui étoit cellerier fe-
plaignit à lui affez durement qu’il leur manquoit
pluiicurs cbofes pour les befoins de La maifon ,& c
qu’il n’avoir point de quoi les acheter. Comme il ne:
fe païoit point des paroles de confolation, L’abbé lu i
demanda combien il faudroit pour fatisfaire au plus
preifé , il répondit qu’il lui faudroit environ douze
livres, fomme alors confiderable. Bernard fe mit en
priere , & peu de tems après Gérard lui vint dire
qu’une femme de ChatiHon demandoit a lu i parler.
Il fortiu, elle fe jetta à fes pieds Si lui offrit douze:
li vres, lui demandant des prières pour fon mari dan-
gereufement malade. Bernard la renvoïa promptement
Si. lui dit : Allez-, vous trouverez votre mari en
bonne fan té. Elle le trouva ainfi ; Si l’abbéexhorta.
fon. cellerier à avoir déformais plus de confiance en
Dieu. Il leur vint plufieurs fois des fecours fembla-
feles d’où ils l’efperoient le moins Si voïant que la.
L i v r e s o i x a n t e - s i x i e ’ m e z o j
main de D ieu étoit avec leur abbé,ils lui épargnoient
autant qu’ils pouvoient la diftraétion des foins extérieurs,
¿ le confultoient feulement fur l’interieur de
leurs ames.
Mais comme il fortoit de la folitude de Cifteaux f
où dans le filence d’une contemplation fublime il
s’étoit rempli de veritez celeftes : il parloir aux hommes
le langage des anges ,. Si à peine pouvoient-ils
l ’entendre. Il leur propofoit une morale fi élevée „
& exigeoit d’eux une fi grande perfection , que fes
paroles leur fembloient dures. D ’ailleurs quand ils
lui confeffoienr les illufions des diverfes penfées que
l’on ne peut abfolument éviter en cette vie , il étoit
choqué de trouver que ceux qu’il croïoit des anges
n’étoient que des hommes, Si penfoit que des religieux
ne devoient pas être fujets à ces fortes de tentations.
Mais fes difeiplcs véritablement pieux , ref-
peéFoient dans fes difeours même ce qu’ils n’enten-
doient pas y & dans leurs confeffions, bien qu’éton-
nez de fes maximes, ils ne le contredifoient ni ne
s’excufoient point. Cette humilité rendit fufpeCt à
l ’abbé fon propre zele : il commença à s’accufer.
d’ignorance & d’indiferetion d’exiger des autres
une perfection qu’il ne pratiquoit pas lui-meme , Sc.
a penfer qu’il devoit plutôt garder le filence. Mais
Dieu lui fit connoître qu’il devoit continuer de parler
; Si dès lors il. parla avec plus d’autorité & avec:
plus de früit pour fes auditeurs.
On voïoit à Clairvaux des hommes , qui après
avoir été riches Si honorez dans le monde,fe glori-
fioient.dans la pauvreté de J. C, fouffrant la fatigue,
du travail, la faim., la f o if , le froid ,.les perfecu-
C c iij.
A n . n i
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