
$f D I S C
Ton ifle déferte pour toute compagnie qu’un
malheureux efclave , afin de montrer le
premier principe des fociétés, dans la foi-
bleffè qui fort & dans l’orgueuil qui domine?
A la place du ferf opprimé , du maître
tyrannique; mettez un homme aimable, une
compagne chérie, faites croître autour d eux,
une poftérité nombreufe & raifonnable ; que
Crufoë fidèle à l’inftinâ de la nature qui
nous fait laboureurs , foit le chef d’une
famille cultivatrice, vous n’imaginerez plus
le roman de l’humanité , vou? en écrirez
î’hiftôire. V
Doutez-vous qu’ils forment une première,
une intime fociété , ces tendres parens
ces enfants bien aimés qui les environnent ?
Déjà les premiersramauxfe réunifient, déjà
les alliances multipliées ont donné l'être
à de nouveaux rejettons. Pour quoi fuppofez-
vous que les jeunes époux vont fe bannir
au plutôt loin des auteurs de leur naifîànce,
dont la fendrçfie biçnfaifante protège leur
foiblelfe, inftruit leur ignorance & multiplie
çhaque jour leurs propriétés ?
Vous imaginez qu ils vont prendre la
fuite & fe perdre dans les déferts ; mais
quels pujiïants motifs auroient-ils donc de
renoncer aux lieux qui les ont vu naître,
embellis par les foins de la famille & par
les travaux de'leur adolefçence? Vous les
croyez dpnç fous aveugles fur leurs propres
intérêts , infenfibles à l’amitié fraternelle &
dépouillés de toute pitié filiale ?
Pourquoi ne pas adméttre qu’ils puiffent
vivre en paix , croître & multiplier au fein
même de la fociété qui leur a donné le jour?
A quoi bon les difperfer en idée parmi les
bois comme des bêtes fauves , pour les
rafl’embler enfuite à l’aventure leur diéter
• au gré de vos fyftêmes de? paâes arbitraires ?
Laiflons auprès de Robinfon l’eflèin nombreux
de fes arrières petits-fils, voyonsr-les
étçndre leurs domaines , améliorer leurs
cultures, perfeétionner leur induftrie : bientôt
l’heureux Crufoë fera le fondateur d’un
vafte Empire. Diftinguez lés tribus qui recon-
nôifient pour premières tiges les fils du patriarche
, & vous aurez des royaumes..
O U R S
avec foin comment les hommes fe partagent,
entt’eux, les devoirs & les travaux. Cav
c’eft çette diverfité des fondions, c’eft elle
précifément & uniquement qui fait l’eflence
même & le vrai principe eonftitutif des
états policés,fans autres pactes ni conventions
tacites ou formelles. Grande vérité fondamentale
Dans ces fociétés qui ne compofoient origi-
ffairçuient qu’une feule famille ^ remarquer
, probablement ignorée des anciens-
& peu développée.par les modernes, qui
mérite d’autant mieux d’être mife ici dans
tout Ton jour , quelle renferme les vrais
titres de la nobleflè du Commerce & vrai-
femblablement les feules régies qui doivent
le gouverner,
Qu’il nous foit donc permis de creufer
jufqu’aux premiers fondemens de cette utile
théorie, qui n’ont point été fuffifamment
approfondis , même par les plus zélés pané-
gyril’tes du Commerce, ni par les premiers
defenfeurs’de fa liberté. Nous n’aurons pas
befoin d’une longue digreflion , trois principes
clairs & frappans fuffiront à ce d é veloppement,
“ 1
i°. Pourvoir le mieux poflible a fa
3? propre confervation , a fon propre bien-
m être, pour éviter la fouffrance & la mort
33 dont nous fommes fans ceflè menacés -
33 par la nature : « c’clt Je devoir des hommes.
1 eft manifefte, univerfel, imprefçrip-
tible. C’eft le premier , le feul fondement
de toute morale & de toute politique.
2°. Pour que l’efpèce humaine rempliflè le
rpieux poflible ce devoir naturel, deux conditions
eflèntielles font preforites avec ^ la
plus fuprême évidence. >3 La première exige
33 que nul mortel n’opère fa confervation
33 perfonnelle & fon bien-etre particulier,
33 en détruifant celui d’un autre, « & c eft
la loi de juftice. La feçqnde veut quauçun
des humains ne fe fa fie du bien a lui-meme ,
qu’en le partageant avec fes femblables Sc
ç'eft Yçrdre de bienfaifance. Lefteur, qui
que tu fois, qui ne trouverois pas ces deux
vérités gravées dans ton coeur ; ce n eft pas
à toi que je parle > c’eft pour d?s hommes
que j’écris.
.7°. QueE font les moyens naturels que
peut employer notre intelligence pour accomplir
ainfi de mieux en mieux ce premier
! devoir général gf continuel ? Ce font nos
propriétés,
P R Ê L I M
propriétés, c’eft-a-dire, les biens qui nous
font acquis fpécialement par le travail. Elles
feules nous procurent des jouilfances utiles,
une vie douce , une exiftance commode.
La loi de juftice exige donc impérieufe-
rnent que l’homme n’attente jamais aux
propriétés d’autrui, l’ordre de bienfaifance
conïïfte donc eflèntiellement à faciliter pour
nos femblables l’amélioration de leurs propriétés
, puifqu’elles font les feules caufes
de tout bien être.
Mais pour déduire en peu de mots de ces
trois premières maximes philofophiques aufli
fimples que fécondes , toute la doârine du
Commerce, il eft néceflàire de faire obférver
foigneufement trois efpèces différentes de
propriétés , dont la diftinâion très-réelle &
très-utile à connoître , avoit été néanmoins
peu confîdérée , même dans les meilleurs
ouvrages élémentaires.
Toutes les trois font en effet la matière
& la bafe du Commerce, qui confifte
uniquement, comme nous l’avons expofé,
dans l'échange des travaux & des propriétés
qui en font le fruit.
La première des trois efpèces eft celle des
propriétésperfonnelles. Ce font pour tous les
hommes, leurs.organes & leurs forces phi—
fiques, leurs qualités morales, leurs facultés
intellectuelles , lqs talens qui naquirent
avec eux ou qu’ils fe procurèrent par l’inf-
truélion, par l’exercice, par la perfévérance.
Il eft évident que ces biens leur appartiennent
fpécialement, qu’on peut en régler
l’ufage, le reftrâindre ou l’empêcher, qu’ils
peuvent ou les employer avec fagefle , avec
juftice, avec bienfaifance, ou les faire tourner
, par un coupablèabus, contr’eux-mêmes
& contre la fociété.
Propriétés tnobiliaires. C’eft la mafle des
productions de la nature , ou des ouvrages
.de 1’ art., tranfmiflibles & fociles à déplacer,
que chacun des hommes polsède par héritage
ou par acquifition; foit meubles, bijoux
& vêtemens façonnés par l’induftrie, foit
fubfiftances commeftibles ou matières premières
dans l’état priihitif de leur (implicite
naturelle.
Propriétés foncières enfin. Ce font les
édifices, les clôtures, les terre'ins cultivables
Commerce, Tome 1,
I U A I R F. Is
formés par l’inftiriâ le plus caraâéri(tique
de l’efpèce humaine , qui maîtrife la nature
elle-même. Car le globe terreftre , dans
fon premier état , n’offre à nos befoins,
ni prés, ni terres, ni vignes, ni vergers ;
mais des marais fangeux , des friches ftériles,
des forêts ténébreufes.
Le travail de l’homme qui fe donne lui-
même lé premier , avec toute fon intelligence
, tout fon temps & toutes fes facultés1
au fol encore brut & fauvage - qu’il faut
conquérir, forme le titre qui l’inveftit de
la- propriété tranfmiflïble de cette portion ,
que fes foins ont rendu productive & qui
ne peut continuer de l’être, que par la perpétuité
de fa follicitude.
Ces propriétés s’acquièrent par le travail,
elles profpèrent par la diftinâion des emplois
qui conftitue la fociété civile , elles
fe communiquent par le Commerce.
Pourquoi faut-il que des philofophes
d’ailleurs éclairés , ( par quelques déclamations
indiferettes contre le droit fi légitime
dans fon principe & fi favorable au genre
humain dans fes effets de l’hérédité des
biens , que le travail nous procure immédiatement
ou par un libre échange, ) faflène
répéter fi fouvent aux échos littéraires, cent
diatribes abfurdes contre les propriétés,
contre la fociété dont elles font les fruits ,
& fans le fçavoir, contre le commerce dons
elles font le feul aliment?
Le droit vague , général , indéfini de
tous les hommes, à toutes les produirions
de la nature , à toutes les portions de la
terre , feroit abfolument nul , fi chacun
d’eux ne pouvoit l’exercer, en facrifiant le
premier (à perfonne, fon temps, fes avan,
ces à s’approprier celles qui ne font encore
acquifes à nul autre par aucune efpèce de
travaux.
Vous ufez de ce droit en vous attachant,
en vous incorporant le premier de tous à
ce territoire encore, inculte, pour le rendre
! mille fois plus utile au bien être du genre
humain , aux dépens de vos facultés perfonnelles
& des biens mobiliers que vous
aviez précédemment aèquis.
Calomniateurs inconfidérésdespropriétés,
des fociétés qui nous les aflurent & du b