
fur les lieux, & pour en tirer des conféquen-
ces légitimes , que pour raifonner fur les matières
les plus abftraites, nous fommes en droit de ne
compter que trè s- foiblement, fur ce que difent
de rimpoüibilité de faire le commerce dans l’Inde,
des gens qui raifonnent fi peu exa&ement fur les
principes du commerce.
5°. Enfin, fi les marchandifes de l’Inde augmentent,
& fi les nôtres & notre or & notre argent s’y
aviliffent, c’eft une fuite naturelle & nécelfàire de
la marche du commerce-, indépendamment de la
liberté que nous pouvons lui accorder ou lui refufer.
Le privilège de la compagnie au commerce de la
Chine, fubfifte encore en Ion entier. Il a rendu juf
qu’à cent quarante pour cent de bénéfice d’achat à la
vente 3 il ne rend plus que quatre vingt, ce n’eft
pas le commerce libre qui a produit cet effet.'Il en
eft de même du commerce de l’Inde. L a concurrence
des nations de l’Europe entr’elles, ( & non pas celle
des particuliers d’une même nation) la confommation
plus grande en Europe, &par confequent la demande
plus grande dans l’Inde, des marchandées de l’Inde,
ont diminué les profits 3 il n’y a point de moyen
d’empêcher cet effet. Les privilèges exclufifs de chaque
nation ne pourront le retarder que fort peu ,
& au grand défavantage des états qui s’obftineront
à tenir captives l’induftrie & l’activité de leurs com-
.çnerçans.
II. On oppofe en fécond lieu au commerce libre
dans l’Inde, l’impofiibilité où les vaiiïeaux particuliers
feront, dit-on , de trouver leur cargaifon toute
préparée, condition effemiellement nécefiaire & particulière
à ce commerce.
« On fuppofe un vaiffeau partant d’Europe pour.
» le Bengale, au mois de janvier 1770. Pour que
y> ce vaifïeau puiffe faire fon retour en 1771, il
» faut qu’un autre expédié en 1769 , ait porté les
» fonds néceflaires pour préparer fa cargaifon 3 il en
» portera lui-même pour préparer la cargaifon de
» celui qui devra être expédié en 1771, &ce dernier
» fera encore obligé d’en porter huit ou dix mois
» avant le retour de ceux envoyés par le vaiffeau
» parti en 1765» ».
. » On ne peut pas attendre l’arrivée des vaiffeaux
» pour former leurs cargaifons 5 on ne trouve pas
» de marchandifes, parce qu’il n’y a pas-là de mar-
» chés publics , ni même de négocians particuliers
» qui en rafTemblent dans des magafins, pour les
» vendre enfuite à ceux qui en auront befoin y on
» ne fabrique que des marchandifes commandées
» d’avance , & les tilfexands même ne travaillent
-» qu’au moyen dès avances qu’on leur fait des deux
» tiers ou des trois quarts du prix des ouvrages
» qu’ils doivent fournir. Il faut que ces avances foient
» faites dès le mois de février.où de mars , pour les
» marchandifes dont on a befoin en octobre ou jan-
v vier fuivant.
>> Il réfulte encore de-là , un inconvénient qui
» n’eft pas de petite importance pour la compagnie
» elle-même , mais que le commerce particulier ne
» pourra jamais foutenir 3 c’eft qu’il faut avancer des
» fonds. O r , il ne fe paffe pas d’années qu’il n’y
» a it des-non-valeurs caufées , tantôt par la mort-
» de quelques marchands , tantôt par celle de quel-
» ques tifterands infolvables , ou enfin par des ban-
» queroutes, ce qu’on ne peut guères» eftimer moins
» de dix pour cent.
» Dans l’état aétuel, les marchands Indiens avec
» lefquels on contra&e , forment à Pondichéry un
» corps compofé de huit ou dix qui font folidaires
» entr’êux. Ils ne fortent point de la ville fans une
» permilfion du gouverneur ; mais il y a toujours
» quelques pertes, & il eft difficile de folder avec
,» eux autrement, qu’en faifant paffer d’un contrat
» fur l’autre les fommes dont ils font arriérés. On
» eft obligé de faire les mêmes avances à des mar-
» chands particuliers dans les comptoirs de Mafuli-
»/patan &d’Yanaon ».
Je continue, comme on voit, de rapporter fidèlement
& dans toute leur force, les objections qu’on
oppofe à la liberté, 8c j’avoue que je 11e trouve pas
celle ci meilleure que toutes les autres.
Cette impoffibilité que le commerce particulier
ait des cargaifons préparées , comme la compagnie
elle-même, nemeparoît point du tout prouvée.
Je fuppofe une maifon de commerce , ou fi l’on
veut, une affociation de quelques négocions qui
puifle & veuille mettre quinze cens mille francs de
fonds au commerce de l’Inde 3 je fuppofe qu’elle
expédie un vaiffeau chaque année pendant trois années
confécutives ; le premier préparera la cargaifon
du fécond , le fécond celle du troifiéme, le troi-
fiéme celle du deuxieme voyage du premier, &
ainfi de' fuite. Je demande quelle impoffibilité on
voit à cet arrangement?
. A la vérité, le premier vaiffeau fera retardé fi
l’on veut d’une année pour fon retour 3 mais cet
inconvénient n’aura plus lieu pour la fuite , & il
s’agit ici d’un commerce établi.
20. Sans fuppofer que chaque maifon de commerce
d’Europe faffe elle-même les fonds de trois
expéditions pour jouir de l’avantage de trouver des
cargaifons toutes préparées , ne peut-il pas s’établir,
& ne s’établira-t-il pas des maifons de commerce à
Pondichéry, Chandernagor, &c. qui ramafferont les
marchandifes afforties pour l’arrivée des vaiffeaux
d’Europe. Ces pays font remplis d’Européens de
toutes les nations, qui, pouvant réunir & le commerce
d’Inde en Inde, & la fourniture des vaiffeaux
d’Europe, verront dans ces entreprifes un profit
confidérable & certain 3 & par-tout où il y a un profit
à faire, le commerce & l’induftrie ne manquent
jamais de s’établir.
Les mémoires que j’ai cités, combattent l’établifle-
ment de ces maifons dans l ’Inde.
J i°. « Parce .quelles n’auront jamais les marchati-
» difeç de l’Inde à fi bas prix que la compagnie,
i°. » Parce qu’elles les vendront aux négocians
» dè France , au moins quarante pour cent de plus
» qu’elles ne coûtent à la compagnie ».
Comme on ne donne aucune preuve de la première
affertion, je puis me difpenfer d’y répondre.
Je dirai cependant qu’il eft tout-à-fait improbable
que dès maifons de commerce établies dans le pays,
qui adminiftreront leurs propres affaires , qui y
mettront le plus grand intérêt, ne parviennent pas
à obtenir les marchandifes au même p rix, pour ne pas
dire à beaucoup meilleur marché que la compagnie.
Quant à la deuxième aflercion, voyons les preuves
dont on l ’appuie.
« L’intérêt de l’argent, dit-on, eft ordinairement
» à dix , douze & quinze pour cent à Malié, Pondi-
» chèry & Bengale, & généralement dans l’Inde. Les
» marchandifes que les négocians établis dans l’Inde,
» feront fabriquer pour les fournir aux vaiffeaux
» d’Europe , auront non-feulement cette augmenta-
» tion, puifqu’elles avanceront leurs fonds un an
» d’avance dans les manufactures des terres, mais
» elles auront auffi celles des non-valeurs , toujours
» inévitables, quand on fait fabriquer, qui font de
» neuf à dix pour cent, & de plus , d’autres frais,
p dont les détails font immenfes. Sur quoi, en ajou-
» tant un bénéfice naturel de quinze pour cent en
» fils de l’intérêt de l’argent, elles reviendront au
» moins à trente-cinq pour cent plus cher. Les
» effets qui auront couru des rifqués fur mer 3 comme
» ceux venant de Moka, deMahé , d’Yanaon , &c.
» c’eft-à-dire, les cafés , lespoivres , les toiles & les
» mouchoirs, comporteront des frais de tranfport,
» de commiffions & d’afïurances , qui les renchéri-
» ront encore plus que les premières.
» Pour peu qu’on foit inftruitdes avantages, que
» des négocians intelligens .trouvent dans le com-
» merce d’Inde en Inde , ou ne fera pas étonné
» qu ils veuillent un bénéfice au moins égal fur
»celui qu’ils feront avec les .vaiffeaux d’Èurope.
» O r, la grofïè d’un voyage de fix mois dans le
» commerce d’Inde en Inde, eft de yingt pour’cent».
J ’ai voulu rapporter cet endroit en entier, parce
qu’il renferme un paralogifme fenfible. L’auteur du
mémoire compte comme dépenfes , des maifons de
.commerce dont il eft queftion. i°. L ’intérêt de l’argent
3 20. les non-valeurs pour les avances qu’il évalue
à dix pout cent j 30. un bénéfice qu’il appelle
naturel de quinze pour cen t, en fus de l’intérêt.
Il ne peut conclure de ce détail, que les maifons de
commerce vendront les marchandifes de l’Inde aux
vaiffeaux d’Europe trente-cinq pour cent de. plus
quelles ne coûtent à la compagnie, qu’autant que
la compagnie ne feroit pas ces mêmes frais. Car fi
la compagnie paye aulfi au moins une partie de
1 intérêt de ces fonds , fi elle efliiye les mêmes non-
valeurs , il ne faudra pas regarder l’accroifïement
. de prix des marchandifes de l’Inde, qui réfiilte de
ces diverfes charges, comme particulières aux mar-
■- chandifes vendues par les maifons de -commerce
dont il s’agit.
O r, il eft bien clair qu’une grande partie de ces
frais affe&e «auffi le ptix des marchandifes achetées
par la compagnie avant leur embarquement pour
l’Europe 3 puifque la compagnie avance auffi fes
fonds aux marchands & fabriquans dans les terres,
félon l’intérêt établi à la côte 3 puifqu’elle effuie auffi
des perces & des non-valeurs , puifqu’elle paye des
frais de tranfport, & que tous ces frais font fup-
portés par les marchandifes qu’elle charge fur fes
vaiffeaux.
.Quant à ce qu’ajoute l’auteur du mémoire , que
ces maifons établies voudront gagner quarante pour
cent fur la fourniture des vaiffeaux, parce que le
commerce d’Inde en Inde eft très-lucratif3 je ne
vois aucune liaifon entre ces deux chofès. Un commerçant
ne gagne pas ce qu’il veut gagner, mais
ce que la concurrence, les befoins des acheteurs, &c.
lui permettent de gagner. Il s’enfuivroit de-là que
, tous les commerces , ou au moins ceux qui feroienc
j faits par le même négociant / devroiènt toujours rap-
! porter le même profit. La même maifon pourra fort
S bien gagner quarante pour cent fur ce qu’elle fera
de commerce d’Inde en Inde, & vingt pour cent
fur les approvifîonnemens des vaiffeaux d’Europe.
Ces deux commerces font de nature toute différente.
Le premier eft accompagné dé rifques plus grands,
il eft maritime , & les dangers de la mer doivent
l’enchérir. Le commerce néceffaire pour l’approvi-
fionnement des vaiffeaux d’Europe, n’eft pas fujet
aux mêmes rilque,s , & peut donner par confequent
de moindres profits.
30. Dans la fuppofition d’un commerce particulier
, il y a une autre reffource pour les vaiffeaux
d’Europe, au moyen de laquelle ils pourront former
leur cargaifon à-peu-près auffi promptement
que ceux de la compagnie, Ces mêmes marchands
Indiens qui font aujourd’hui le commerce dans les
terres pour la compagnie , q u i. font fabriquer &
amener les toiles dans les comptoirs , feront la
même chofe pour des vaiffeaux d’Europe 3 fi ce n’eft
pas dès la première année 3 au moins avec un peu
de temps ils formeront à Pondichéry, Chandernagor
, les affortimens de marchandifes, & aïnfi on les
aura de la première main, à auffi,bon marché que
la compagnie elle-même, ou du moins à un prix
quilaiffera encore de grands profits aux négocians
pour la vente en Europe.
t. » On fe tromperoic, dit-on , fi l’on compte fur
» des difpoficions de cette nature , 8c cela eft fans
» exemple jufqu’à préfent. Les Indiens ne rifquent
» point fur mer , & ils n’opèrent qu’à coup fur.
» Quelques riches qu’ils foient , ils ne travaillent
» qu’avec les fonds qti’on leur avance. Il eft dans
» leur génie de ne point fe défaifir de l’argent qu’ils
»poftedent, ils en jouifîênt, ils théfaurifent & prêtent
» très- rare m e n t , ou ne prêrent que fur gages. On
» ne doit donc pas efpérer de leur faire changer de
» façon de penfer.
Ce raisonnement eft fondé fur ce qu’on, prend
ce qui fe paffe aftuellement dans l’Inde , confè-
quemment à la forme que la compagnie y a donnée