
le coaimerce d’Inde en Inde, & celui de l’Inde en
Europe.
Toutes les compagnies ont éprouvé que le commerce
dInde en Inde , qui demande de lmduftrie,
de 1 aftivite, qui éprouvé des variations rapides,
dans lequel il faut profiter & prévoir même les cir-
C° Æ nCeS 5 devolt, ïouir de la plus grande liberté'
pamble ; en çonfequence, il eft permis à tous les
particuliers de commercer fur leurs propres vaifc
féaux, tant dans les comptoirs de leurs nations,
que dans ceux des étrangers , ou dans les places qui
font fous la domination des princes du pays ; on a
même cherché a fàvorifer ce commerce , parce qu'il
produit des droits de douane dans les comptoirs ,
au profit des différentes compagnies ; qu'il contribue
à étendre le crédit de la nation , & qu’enfîn ,
les compagnies elles-mêmes trouvent fouvent de
grandes reffources dans la fortune & dans le crédit
de ces commerçans.
ÎLes Anglois font de tous les Européens ceux qui.
ont donné le plus d'étendue au commerce d'Inde en
Inde, parce qu ils pafîènc dans ces pays avec des
fonds confîderàbles, q.u ils groiïïfïent bientôt par les
grands profits qu'ils y font. ,
Les François avpient commencé fous l’adminiftra-
tion de M. Dupleixà^s'y livrer avec beaucoup de
fuccès : les malheurs de la guerre l’ont prefquë totalement
ruiné. On voit, par des lettres récentes de
Chandernagor , que malgré les obftacles que la nation
Angloife ne ceflè de nous oppofer, le corn-,
merce d'Inde en Inde a repris avec allez de vigueur
& qu*à la fin de l'année 1767, il y avoir °douze
vaiileaux du port de 800 à 200 tonneaux qui y
étoient employés. 1
Dans l'état aéluel des chofes , fous le jouo- du
privilège de la compagnie, le commerce d'Inde en
Inde éprouve une infinité de gênes- & d'oppofidons •
la compagnie a feule le droit de porter des mar-
chandifes de l'Europe dans l'Inde, & d'en rapporter
des retours; ainfi les particuliers font totalement
dans la dépendance de la compagnie ; leur
commerce eft néceffairement reftraint à de certaines
efpèces de marehandifes, & ils ne peuvent fe
charger de celles qui font propres pour la confom-
mation d Europe, ou ils ne peuvent s'en défaire
qu'en les- vendant aux agens de la compagnie qui
leur font la loi. p
D’ailleurs', ce n'eft que dans les magafins de la
compagnie , que les particuliers peuvent trouver
une partie des marehandifes qui leur font néceflai-
res pour aflortir leurs cargaifons , fuivant les differentes
places où ils veulent aller trafiquer, &ils
font obligés de les acheter cent pour cent au-deffus
de leur valeur en Europe; enfin,ils dépendent de
la compagnie ,* pour tous les effets neceffaires à
1 armement de leurs vaiffeaux , & fouvent ils éprouvent
de la part des chefs des comptoirs des contradictions
qui déconcertent tous leurs projets &
leurs fpéculatîons , foie par des retards dans le départ
de leurs vaiffeaux , ou par des changemens de
détonation auxquels ils font forcés par des intérêts
particuliers-
Malgré tous ces obftacles, ce commerce procure
encore de très-grands bénéfices : Il eft aifé de
1 fentir combien il s’accroîtroit en peu de temps, &
combien il deviendroit floriffant, fi ceux qui l’exercent
pouvoient faire leurs retours en France. C’eft
alors que 1 industrie , qui ne feroit plus fous le joug
d une compagnie exclusive, donneroit à ce commer-*
ce , toute 1 etendue dont il eft fufceptible , ouvri-
roit de nouvelles branches, chercheroit de nouveaux
débouchés pour nos manufactures , & multiplieroi't
les effais de toute efpèce. Les négociants François
auroient un avantage décidé fur qeux des autres nations
Européennes ; parce qu'au bénéfice que leur
donne le commerce d'Inde en Inde , ils joindroient
celui qu'ils feroient fur les retours en France. Cette
liberté leur ouvriroic de plus les moyens de faire
paflèr dans leur patrie , & d'y mettre en fureté fuc-
ceffiveulent, une partie de leurs bénéfices. Dans
1 état aCtuei, ils n'ont"d'autres refîources, que de charger
des marehandifes fur les propres vaiffeaux de la
compagnie, en fraude de fon privilège , & au rif-
que de la confifcation , ou de remettre leurs fonds
à la caiffe de la compagnie dans l'Inde, & de les
convertir en lettres de change payabes à fix mois de
vue ; ainfi, ou ils courent des rifques , ou ils perdent
pendant dix-huit mois l’intérêt de leurs fonds.
Des lettres particulières de l'Jfle de France , af-
fiirent qu’au départ des derniers vaiffeaux , il y avoit
dans cette Colonie , près de deux cargaifons de mar-
chandifes de lînde qui y reftoient fans débouché;
On foupçonne qu’un vaiffeau particulier expédié
pour le Cap , fous prétexte' d’en tirer des vins, n’a
eu réellement pour objet , que de tranfporter dans
cette Colonie Hollandoife, une partie de ces marchandises
3 ces voyages détournés entraînent toujours
des frais, & multiplient les rifques ; quel avantage >
les négocians auxquels appartiennent ces marchan—
difes n’en auroient-ils pas tirés , s’ils avoient pu les:
envoyer en France , & quel encouragement ne feroit-
ce pas pour le commerce particulier?
Nous nous en tiendrons à ce petit détail, & nous
en appelions au témoignage de toutes les perfon-
nes qui connoifïent l'!nde , pour répondre aux questions
fuivantes.
Le commerce d'Tnde en Inde , ne peut-il pas
donner de très-grands bénéfices ? n’eft-il pas fufceptible
d'une étendue infiniment plus confidérable ? Le
privilège de la compagnie ne. s oppofe-t-il pas a fon
accroifTement ? Enfin, fi le privilège étoit fupprimé ,
le feul commerce d'Inde en Inde prenant l'étendue
dont il eft fufceptible , ne ferok-il pas un objet plus
important, plus avantageux , ou au moins, auflï
avantageux que tout le commerce de la compagnie
? ■
Nous ne croyons pas que des réporifes a ces
queftions , faites par des perfonnes éclairées & impartiales,
puiffent être en faveur de la compagnie
1& de fon privilège exclufif*
Je paffe au deuxième avantage qui fulvra Je la
liberté rendue au commerce de l'Inde.
Pour fe convaincre de tout ce que les ifles de
France & de Bourbon peuvent gagner au rétablif-
fement de la liberté, il ne faut que jetter les yeux
fur ce qu’elles ont fouffert du privilège, & fur la
manière dont elles ont été adminiftrées.
Nous ne prétendons défigner ni blefler perfonne :
nous regardons même la plus grande partie des vices
de l’adminiftration de ces Colonies, comme des fuites
néceffaires de l’exploitation du privilège, &
comme venant des choies bien plus que des hommes.
Ce n'eft point une fatyre que nous faifons,
mais un tableau des maux qu’on cau'e , quand on
perd de vue cette devife de toute bonne adminif-
trâtion, liberté.
Les habitans de l’ifle. de France ont long-temps
gémi fous le gouvernement le plus defpodque, &
le plus capable d’étouffer toute émulation ; leur fort
dépendoit entièrement du-gouverneur, feul vendeur
-& feul acheteur pour la compagnie.
Ce n étoit que dans les magafins de la compagnie,
que l’habitant .pouvoit trouver les objets de fes be-
foins, & l’accès ne lui en étoit permis que du con-
fentement du gouverneur, qui pouvoit ainfi le priver
des chofes les plus, néceffaires à la vie. De-là ces
monopoles qui procuroient aux gardes magafins &
aux amis du gouverneur, des fortunes auffi rapides
qu’indécentes. Ils connôiffoient la confommation de
l’ifle; ils étoient des premiers .iiiftriiits des envois
faits par la compagnie, qui jamais n’étoient proportionnés
aux befoins ; d’après un calcul affure, ils
aehetoient, fous des noms empruntés , toute une
partie de marehandifes qu’ils revendoient enfuite a
cent & deux cents pour cent de bénéfice.
C’étoit auili aux magafins de la compagnie , que
l’habitant devoit porter tout le produit de fes cul- 1
turcs’. On. fent combien le plus ou le moins de faveur
pouvoit influer fur la réception de ces denrées ;
on voit que l’habitant étoit bien plus intérefle à ménager
l’amitié du garde-magafin & du gouvérneur, qu’à
s’attacher à la bonne qualité de fes fournitures.
Le Colon dégoûté par ces vexations & par cette
dépendance abfolue , n’avoit d’autre reflource que de
vivre aux dépens de la compagnie , s’il pouvoit en
trouver les moyens; fi non des qu’il avoit amaffé
quelque fortune, il fe hâtent de repaffer en France,
& il ne reftoit dans la Colonie que l’indigent ouïe
favorifé.
La liberté fera reprendre une face nouvelle à la
Colonie } & 1 induftrie renaîtra dès qu’elle aura fe-
coué le joug de l’exclufif.
Les vivres qui fe recueillent à l’ifle de France,
fervent pour la confommation des habitans & pour
la relâche des vaiffeaux ; ainfi ils auront à cet égard
les mêmes débouchés qui fubfiftent aujourd’hui. Les
habitans ne s’attacheront à faire des vivres qu’en proportion
de la confommation. Cette balance s’établira
d’elle-même ; comme elle exifte par tout, après
avoir éprouvé différentes variations; on doit bien
s’attendre que dans les premières années, il y aura
trop , ou trop peu de vivres; mais il fera aifé d’y
remédier par une bonne adminiftratlon ; s’il y en
a trop , le gouverneur pourra en acheter pour le
compte du r o i, au prix qui lui fera fixé, & les
mettre enmagafîn, en effayant des différèns moyens
pour les conferver aux moindres frais poffibles. Cette
dépenfe, quand elle feroit en pure perte , fera modique.
Si la récolte ne paroît pas allez abondante,
le gouverneur excitera les particuliers à faire des
arméniens pour Madagafcar, pour le Cap ,. & pour
les autres parties de l’Inde,. où les vivres font ordinairement
à très-bas prix.
Il favorifera fur-tout la multiplication, des be£
tiaux, & il fuffira que les .particuliers y trouvent
leur avantage, pour s’y üvrer , leur propre befoirr
les y forcera. Jufqu’ici la compagnie a toujours eu
pour fon compte un troupeau de ilia é aux befoins
de fes vaiffeaux, & qui fervoit à la nourriture de
fes employés,, & des habitans les plus aifés, parce
que ce font toujours les plus favorifés- Depuis l’é-
tabliffement de l’ifle de France on s’eft plaint continuellement
des abus énormes qui Ce commettoient
fur cet objet. Lorfque les habitans les plus riches,
-confeillers & autres, n’auront plus cette reffource ,
ils feront obligés de s’en pourvoir, par eux-mêmes,
& ils ne pouront pas en confommer pour leur ufage ,
qu ils n’en vendent une partie ; parce qu’un habitant
qui fait tuer un boeuf, ne peut le confommer tout
| entier dans fa famille; de-là naîtra néceffairement
l’établiflèment des boucheries publiques, qui n’ont
pu être encore formées jufqu’ici.
Alors , au lieu d’aller mendier des vivres au Cap ,
les vaiffeaux François qui feroient le commerce d Europe
dans l’Inde , ou en Chine ,. en trouveroient en
abondance, dans un étabiiflement national.
La culture des terres dépend fur-tout de la quantité
des Noirs qui font introduits dans i’-fle. La compagnie
s’étoit réfervé ce commerce, qui a été accompagné
des plus grands abus. Le prix d’achat
étoit très-médiocre , & devoit donner un très-grand
bénéfice; mais.il étoit abforbé par la quantité pro-
digieufè de Noirs qui s’introduifoient en fraude, &
ces Noirs de pacotille, qui ne meurent jamais dans
1 la traverfée , étoient tranfportés , nourris , & fouvent
j même achetés aux dépens de la compagnie. Les
1 Noirs delà compagnie fe vendoient le plus ordinairement
à crédit à ceux que l’on vouloit favori-
le r; les autres habitans n’avoient de reflource que
dans les Noirs de pacoiille , qui fe vendoient à un
très-haut prix, parce que jamais les befoins 11’étoienc
fuffifammeut remplis. Les Colons feront eux-mêmes-
ces traites. Il fe formera des fociétés qui multiplieront
les Noirs, & ils s’enrichiront du bénéfice que
la compagnie auroit dû y faire. On doit bien s attendre
que la concurrence fera augmenter le prix
d’achat ; mais ils ne fortiront jamais d’une certaine
proportion, parce que du moment que ce commerce
deviendroit moins favorable , l’empreflèment pour
la traite diminueroit, & le prix lui-même repren