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O B S E R V A T I O N G É N Ê R A L E .
On peut confidérer le commerce d e l à compagnie
dans deux fuppofitions différentes. La première
en calculant le bénéfice fur les marchandées d’envoi
à 3) pour cen t, & fur les retours à 75 pour cent.
La deuxième, eô fuppofant les bénéfices fur l’envoi
à. z 5 pour cent, & fur les retours a 70.
Dans la première fuppofidon , la compagnie,
toutes fes dépenfes payées d’après fes propres états,
auroit un profit de. • . • . . • 1,760,000 1.
Dans la fécondé elle effuyeroit
une perte de. . . • . . . • • 1,380,200
Mais dans l’une & dans l’autre,
le bénéfice ne monte & la perte
ne fe borne à ces deux fournies ,
que parce'qu’on comprend dans la
recette de la compagnie 1, o 5 0,0001.
qu’elle reçoit annuellement du ro i,
pour droit de tonneau & autres gra •
tificarions. Cette .fomme. étant une
charge pour les- finances du ro i,
& ne pouvant être regardée comme
un profit du commerce-,.il.s’enfuit .
q u e, pour connoître le bénéfice ou -
la perte que .le commerce abandonné
à lui-même peut donner , il
faut déduire encore du produit des
ventes cette fomme de 1,050,000*
. - .Or , en:; fai fan t cette réduction
dans les deux fuppofitions, .on obtient
des réfultats bien plus défa-
vantageux à la compagnie. En effet, '
dans la première, qui eft celle des
députés & administrateurs, le profit
fe réduit à. . .* . . ■ . . . . 716,000 '1
Sç dans la fécondé dont nous avons ;
prouvé la légitimité', la perte s’élève
jufqu’â . . . . . . . . . . . z,430,200
dont 1,380,200 1. fer oient fupportés
par la compagnie , & 1,050,000 1.
par le revenu public. Ainfi en adoptant la plus favorable
de ces deux fuppofitions, celle que les admi-
niftrateurs préfentent comme devant avoir lieu en
continuant le commerce., la c om p a g n ie ne peut
encore fè foutenir, puifque fori commerce exigeant
deux, fonds & demi, employé en capitaux plus, de
60 millions, qui ne rendant que 710,000 liv. ne
donneraient que 1. pour cent, bénéfice' trop modique
pour une entreprife de commerce , d’ailleurs
fujette comme nous l’avons vu, à des rifques qu’on
ne peut évaluer.
Nous fournies donc en droit de conclure-d’après
les états dreffés par les adminiftrateurs mêmes, &
& d’après les obfervations que nous y avons jointes,
que les actionnaires ne peuvent fonder aucune
efpéranee raifoiinable fur leurs bénéfices futurs.
- Les réflexions „générales qu’on va voir fur là'fi-
t^ation de c om p a g n ie dans l’Inde & en Europe ,,
çogduiront .enspre nos Leéteiii's au même réfultat.
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Réflexions générales fm m n t à confirmer la d'unir
nution qu'on doit attendre dans les bénéfices
futurs.
Nous nous bornerons à deux objets généraux, la
fituation a c tu e l l e de la compagnie dans l’Inde , &
la poflibilté d’une guerre en Europe.
Les mêmes lettres que nous avons citées plus haut
font une peinture effrayante de la fituation politique
de la compagnie dans l’Inde. On y trouve :
« Que la compagnie ne pourra pas fubvenir a
» fes dépenfes, ni fe relever de fes ruines, parce
» que fon commerce éprouve d an s l’Inde des obfta-.
» clés qui eu arrêtent le cours.
» Que le Nabab du Bengale a fait publier diver-
» fes ordonnances contraires aux privilèges dont les
» François, les Danois Scies Hollandois ont tou-
» jours joui, comme une défenfe à tous les tifïerans
» de travailler pour d’autres que pour la nation
» Angloifè, pendant quelques mois ; une défenfe
» à tout Européen , excepté aux Anglois, de p é n é -
» trer dans les terres pour y faire leurs achats. ■
» Qu’on eft allé jufqu’à faire coiiper fur les
» métiers des toiles commencées pour les François
» & les Hollandois.
» Qu’on ne veut plus reconnoître les privilèges
» accordés à la compagnie j qu’on lui impofe des
» droits nouveaux qu’elle n’avoit jamais payés. .
» Que le commerce eft devefiu fi difficile, qu’il
» n’en refte plus que le nom ».
On fuppofera , fi l’on veut, que le tableau eft
un peu chargé. On ajoutera & avec raifon qu’il
n’eft pas impoflïble de faire ceffer de pareilles vexations
5 il n’en fera pas moins vrai que d’ici à plu-
fieurs années, les chofes. ne pouvant pas fe rétablir
dans la fituation où elles devroient être pour l’intérêt
de la compagnie, elle ne peut fe flatter de
rendre à fon commerce même cette fplendeur apparente
qui a fait ' fi long-temps illufion: au public.
La feule poflibilité d’une guerre dans l’Inde &
les fuites qu’elle auroit, fuffifent pour légitimer
toutes les craintes.
Dans l’état où- fe trouve aujourd’hui l’Europe ,
on ne peut avoir aucune certitude d’une longue,
paix. O r , dans le cas d’une rupture entre, les puif-,
lances, peut-on fe flatter que la compagnie fera,
en état de foutenir fes établiflèments dans l’Inde?
Y a-t-il un feul actionnaire prudent qui puiffe le
penfer , ou de bonne foi qui puiffe-le dire ? Quelles,
efpérances peut-on donner aux actionnaires, qui
foient plus avantagéufes & mieux fondées que celles;
qu’ils pouvoient former fur leur fituation avant la
dernière guerre ?• L’inde offrait alors à la compa-,
gnie toutes fortes de facilités pour le commerce,,
des comptoirs nombreux , les deux principaux de
Chandernagor & de Pondichéry devenus des places
fortes.) uhe quantité, prodigieufè dé bâtimens g arfe-
naux de tout genre, cafernes pour les troupes ,
hôpitaux , logemens des* confeillers & des employés ,
niagafins.pour les marchandifes d’Europe , & pour
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les marchandifes de l’Inde, pour les vivres, pour
la marine, &c. &c.
Aujourd’hui Chandernagor eft une place toute
ouverte & fans défenfe 5 nous n’y avons en propre
aucuns bâtimens ; nous payons le loyer de tous
ceux qui nous font néceffaires pour l’exploitation
uu commerce. On a relevé fur les ruines de Pondichéry
quelques-uns des bâtimens qui étoient les
plus indifpenfables} mais quelles fouîmes immen-
fes ne faudra-t-il pas dépenfer pour rétablir tous
les édifices qui ont été détruits, non avec leur magnificence
ancienne , que l’on accule avec, raifon
d’avoir été exceflîve , mais pour nous procurer ce
qui eft indifpenfablement néceflàire pour l’exploitation
d’un commerce exelufif ?
En un mot, fi après quarante ans d’un exercice
paifible du commerce , qui *avoit donné aux éta-
bliflêmens de la c om p a g n ie toute la fiabilité dont,
ils étoient fufceptibles, tout a été détruit y que
fera-t-on pour fe mettre à l’abri d’un femblable
malheur ?
Les actionnaires ont trop , éprouvé jufqu’ici combien
la guerre leur étoit onéreufe, pour héfiter
fur le parti qu’ils auront à prendre en cas de
•rupture'en Europe Ontre la France & quelque
puifîance maritime. Dans l’impoflibilité de défendre
par eux-mêmes leurs établiflèmens dans l’Inde, ils
n’auront d’autres reffources’ que de fufpendre leur
commerce, & cependant ils feront dans la nécef
fîté de continuer au moins une partie de leurs I
dépenfes : quand on parviendrait à la réduire â
moitié de la fomme à laquelle on l’a fixée dans le
temps de l’aétivité du commerce, il en coùteroit
encore à là c om p a g n ie au moins quatre millions
par a n , qui ne pourroient être compenfés par
aucuns bénéfices. Que l’on fixe la durée de la
guerre à fix ans , le fonds capital & circulant de
la c om p a g n ie , fe trouvera diminué de vingt-quatre
millions. Que l’on joigne à cette fomme les rifques
que la c om p a g n ie courrera fur plus de quarante
millions qui feront probablement en mer au moment
de la déclaration de la guerre, & l’on verra
que le fonds capital que la c om p a g n ie aura pu
mettre dans fon commerce , par quelque moyen
quelle fe le procure , courrera les plus grands rifques
& fera bientôt confommé.
Mais , dira-t-on, en cas de guerre, des afliiran-
ces peuvent la mettre à l’abri des 'rifques : nous
avons même compté parmi les frais de la c om p a g
n i e 9 le montant de ces aflurances; nous ne pouvons
donc pas faire -valoir ici contr’elle les rifques
qu elle courrera. Cela pofé, elle retirera de fon
Commerce un bénéfice moins grand, mais ce commerce
fe foutiéndra.
Il eft bien aifé de faire voir le peu de folidité
de cette prétendue reflource • des aflurances peuvent
mettre une c om p a g n ie de commerce à l’abri
des rifques , dans une guerre ordinaire, en Europe,
& dans les circonfiances' communes. Les rifques fe
bornent alors aux vaifTeàux. qui font en mer. Mais
Commerce. Tome I . R a r t. I L
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dans la fituation aéluelle de la c om p a g n ie , fes
vaiffeaux peuvent être pris dans les rades & dans
lés ports de l’Inde ; les marchandifes dans les magasins
; elle peut perdre une grande quantité d’effets
en perdant les comptoirs ; tous les fonds
d’avance qü’elle difiribue dans les terres pour y
contrarier des marchandifes , peuvent être diffipes
par la fuite même des troubles de la guerre d '
terre, qui ne permet plus aux tifferans de travailler
pour remplir leurs engagemens ; & cette perte
eft lans reffource pour la. c om p a g n ie , quir* n-’aura
pas la fupériorité dans l’Inde.
En fuppofant donc qu’il fut aifé de faire aflu*
rer quarante millions de tous rifques, même de
celui de guerre , â 6 pour cent, ce qui ne paraîtra
peut-être pas vraifemblable ; on fait que ces aflurances
n’ont lieu, que pendant le voyage de l’aller
& du retour : mais fi les vaiffeaux font p ris , foie
en rade, foit dans le gange, ou dans quelques»
ports de l’Inde, la perte tombe fur la c om p a g n ie .
Il n’eft aucun moyen de la mettre â l’abri des
pertes qui peuvent réfùlter de ces diverfès circonk
tances.
Prétendra-t-on qu’on peut faire affurer la c om <
p a g n ie contre toutes ces efpèces de rifques? San*
doute la chofe eft poffible, puifque tout rifquc?
étant évaluable en argent , peut être garanti au
moyen d’une certaine valeur en argent ; mais je
demande à quel prix? Qui ne voit que ces rifques
accumulés font fi grands que la prime d’affurance
qu’on payerait pour s’en garantir, abforberoit tout-
à-coup & toutes fortes de profits & une partie des
fonds mêmes:?
Ainfi , d’un côté , le rifque & la poflibilité d’une
guerre font évidents ; de l’autre , l’impoflïbiiité de
foutenir le commerce en cas de guerre , eft évident
aufli. L’impoffibilité de compter fur les- fuccès futurs
du commerce de l’Inde, eft donc démontrée.
Je fais bien que les Anglois eux mêmes ne peuvent
pas faire grand fonds fur l’état dans lequel ils
font aujourd’hui dans l’Inde , ni le regarder comme
confiant 5 il n’eft pas dans la nature des chofes ;
c’eft une fituation violente & qui ne peut ■ durer ;
tôt ou tard ces peuples nombreux de l’Inde s’élèveront
contre des commerçons qui prétendent les
affervir. Une poignée d’Européens ne réfiftera pas
à cette maffe d’hommes qui fe précipitera fur eux
de la profondeur des.terres. Les Indiens apprennent
tous les jours l’art militaire des Européens
eux-mêmes ; ils en ont beaucoup à leur folde ; il
eft plus que probable qu’ils fecoueront le joug z
mais quoiqu’il arrive, nous ne pouvons rien gagner
à cfes mouvements, o u , ce qui eft la même chofe
pour un gouvernement fage , nous ne pouvons pas
être furs d’y gagner.
Quand les Anglois feront chaffés de l’Inde , i|
ne s’établira pas une autre puiffance Européenne
à leur place , nous n’y redeviendrons pas conquérais.
Si nous fommes fages, nous n’y ferons que coni-
mercans ; & pour y être commerçans, nous n’avpns