
nous avons en Barbarie , fur-tout pour la pêche
du corail , qui y eft très-abondant.
Elle apparterioit depuis long-temps à la famille
Génoife des Lomellini, qui y entretenoit des pêcheurs
de fa nation ? & quelques foldats pour - en
garder le château.
La première opération de la compagnie, en 1741,
fut de fe mettre en pofïeffion de cette ifle. Ayant
appris que les Lomellini la trouvoient onéreùfe ,
& cherchbient à s’en défaire, elle fit palier à Gènes
le fieur FougafTe, avec une procuration de leur
p a rt, pour traiter de cette aequifition , avec le pouvoir
d'en offrir jufqu’à trois cents mille livres, payables
lorfqu’il en aurait été mis en pofïeffion. Il devoit
y être établi en qualité de gouverneur &*de directeur
général des-coneeïhons. Cette négociation n*eut
pas de fuccès , & la prile de cette ifle , au mois
d’août, par le ' fils du bey de Tunis, empêcha la
compagnie de la regretter.
Au mois de juin 1742., M. de Saurin, officier de
la marine , partit de la Calle avec trois cents hom ■
mes, la plupart corailleurs, & peu faits aux attaques
de te rre, -forma une entreprife contre cette
ifle 3 mais il fut repoufle avec perte de plus des
deux tiers de la troupe, tués ou faits prifonhiers par
les Tunifîens il avoir été trahi par un Maure.
L ’iflue fàcheufe de cette entreprife , faifant craindre
qu’elle n’aigrît Fefprit du bey de Tunis, & ne
lui donnât encore plus d’éloignement>pour la paix ;
on prit le parti de la défàvouer, de répandre dans
le public que le roi..étoit très-mécontent de la conduite
de M; de Saurin ; &pour rendre la chofe plus
probable , M. Fougâfle , directeur général, qui
avoit donné à la Calle des feeours à cet officier
pour fon -expédition, fut révoqué- par un ordre du
to i, & réduit à la feule qualité d’agent, fous laquelle
cependant il faifoit toutes les fondions de directeur.
Deux obftacles principaux s’oppofent à l’établifïè-
ment des nations Européennes dans cette ifle.
i°. Parce que le dey d’Alger y prétend des droits
de fouyerainèté : ce prince fe fonde fur -ce que-',
du temps des Lomellini, elle lui payoit un tribut de
quinze caillés de corail afforti, du poids de foixante-
quinze livres , & qu’en conféquence le bey du T unis
ne peut en difpofèr que de fon aveu.
z°. Dans la guerre- de Tunis, en 1742, , le bey I
qui régnoit alors dans le pays, crut faire un grand ■
coup de politique , en intérenant le grand feigneur •
a la propriété de çètte ifle. Il lui en envoya les
clefs 3 & en reconnoiflant par-là fa fouveraineté , il
fe mit dans l’impoffibilité de la céder fans fa per-
miffion. D'ailleurs , ees deux régences ne pourroieflt
voir fans ombrage un établilïement fi voifin de leurs
côtes, & dont les polfefïèurs pourraient à volonté
bloquer les ports des deux royaumes»
B I Z E R T E ,
•Ville maritime du royaume de Tunis. Avant l a ’
guerre de Tunis , en 1741, la compagnie d'Afrique
y -entretenoit un agent deftine uniquement à
faciliter la communication entre le Cap-Négre flC
la Calle 3 mais elle n’y faifoit aucun commerce,
& il ’ n’y avoit point de maifons Francoifes.
En 1768 , M. de Seizieu , après une négociation
très-longue , obtint du bey de T unis, pour la çoni-<
peignit d'Afrique , le privilège de la pêche du corail
dans les mers; de Bizerte 5 la compagnie tenta
cette pêche avec les bateaux de la Calie 3 mais ils
ne purent réuffir , & les patrons alfurèrent qu’il y
avoit très-peu de corail dans ces mers 5 ce mauvais
fuccès-ne rebuta pas les directeurs 5 ils imaginèrent
-que le peu d'expérience de leurs corailleurs en
pourraient être la caufe, & ils firent une convenu
tion avec les pêcheurs margueritains , pour l'exploitation
de la pêche. Mais à peine les douze bateaux,
qui avoient été expédiés de la côte de Gênes, furent-
ils arrivés à Bizerte, que le bey de T unis donna
ordre à fagent que la compagnie y avoit établi,
d’évacuer promptement le comptoir , & défendit aux
patrons margueritains de continuer la pêche dans
les mers de fon royaume.
Cette infraction porta un grand préjudice à la com+
pagaie, non feulement par la perte de fes efpé-
’rances , mais par celle même des avances qu’elle
avoit faites, qûoiqu?avec ménagement, pour mettre
en état le comptoir de Bizerte.
La guerre qui fuivit fut terminée par un traité
de p aix, auquel fut jointe une convention particulière
entre la compagnie & le bey de Tunis, par
1 laquelle ce prince lui accordait , pendant fix an s ,
1 la pêche du corail libre de toute impofition, Se
l';extraction pour le même temps & aux mêmes conditions
de deux mille caffis de bled , avec la per-r
million de rétablir le comptoir du Cap-Négre, dans
l'état -ou il étoit avant la démolition.
La compagnie, pour ^exploitation de cette pêche,
eut recours aux corailleurs Corfes d’Ajaccio, avec
lefquelles elle conclut fucceffivement différentes conventions
, par Fentremife du fieur de Monceaux, fous»
comipiffaire de la marine dans ce même port.
O B S E R V A T I O N S
Sur le mémoire ci-dejfus, par M . Vabbé Bandeau*
Les partifans du privilège exclufif affurent que le
commerce des royaumes de Tunis & d’Alger ne peut
jamais fe faire que par une compagnie douée du
monopole.
Cependant ils fe plaignent que des interlopes,
c’eft-à-dire, des négociants fans compagnie & fans
privilège , partagent continuellement ce commerce 3
ils avouent que les pancartes, les négociations des
confuls, la protection de la marine militaire, les
droits & les préfents n’empêchent point ce commerce
des interlopes.
Il pourrait bien fe faire* qu’il y. eut une contradiction
formelle entre ces deux affertions, & quç
la fécondé fut une réfutation manjfefte de la pre?
mière.
Ms attellent pareillement que toutes les anciennes
Compagnies à privilège exclufif fe font ruinées ,
malgré le foin qu’on avoit eu de confirmer pour elles
un droit de monopole â. perpétuité ; c’eft un aveu
précieux. -
On avoit fait une obfervation très-importante ,
dans le fort des difputes qui fe font élevées en 17 69 ,
fur le commerce des Indes 3 on avoit fpécifié toutes
les compagnies à privilège exclufif, qui s’étoient
élevées en France depuis que M. Colbert les avoit
mis en vogue 3 il fe trouvoit par l’évènement qu’elles
avoient toutes fini par manger le capital des actionnaires
3 que les direCteurs-les trompoient par de faux
bilans pendant plufieurs années, & qu’enfuite ils fe
trouvoient propriétaires d’édifices inutiles & difpen-
dieux, créanciers de gens infoivables, mais redevables
de dettes exigibles , & porteurs d’un titre
illufoire fur un capital confommé, & fur des profits
imaginaires.
Les anciennes compagnies d’Afrique fe font trouvées
précifément dans le même cas, & celle qui
fubfifte actuellement étoit, par les mêmes raifons,
fur le penchant de fa ruine en 1767, ayant perdu
plus de la moitié de fon capital, & les actionnaires
étant obligés de fe palier, en grande partie , de
leurs intérêts ou dividendes.
Les progrès de fa reftauration furent affez minces
jufqu’en 17703 mais ils furent très-rapides en
11771, 177z & 1773. Dans ce court efpace de trois
années, la compagnie, qui n’avoit plus que cinq cents
foixante-dix mille livres de capital en 1767, a gagné
de profit clair & net, en outre de ce fonds, quatre
millions & environ trois cents mille livres.
Voici donc une exception au principe général,
fi bien confirmé par toutes les autres expériences;
il s’agit d’examiner avec foin qu’elle en peut être
la caufe, a l’effet de connoître fi cette caufe eft
naturelle ou .faCtice, inhérente à la compagnie,
ou étrangère à fa propre conftitution.
Jufqu’à la fin de 1770 , le commerce des grains
étoit abfolument libre entre le port de Marfeille &
ceux des autres villes du royaume.
On avoit fait décider à la vérité , par précaution,
( car il parait qu’on prend de loin beaucoup de
précautions très-fubtiles & très-éloignées en cette
matière ), que la ville de Marfeille étant étrangère,
le commerce avec fon port cefïeroit auffi-tôt que
1 exportation à l’étranger feroit prohibée 3 mais l’édit
de 17 <54 étoit en. pleine vigueur , & le cas de la
prohibition n’étoit pas encore arrivé.
C eft a la fin de cette année 1770, qu’on renouai**
1 toute defenfe d’embarquer dans nos ports des
grains, des farines & d’autres fubfiftances pour les
pays étrangers.
. -Marfeille fut comprife très-explicitement dans cette
interdiction. Quand on dit Marfeille , il faut entendre
toute la côte & l’intérieur du pays, jufqu'àune
certaine^ diftance, parce que la province n’avoit
point d’autre lieu de commerce & d’entrepôt, fpé-
.cialement pour les grains.
« I l femble» ( dit une personne bien infimité , &
bien digne de foi à tous égards), « que les bleds
» qui defeendent le Rhône pourraient fe répandre
» en Provence, par Arles & par Tarafcon : mais
» Arles & Tarafcon font fituées à l’extrémité de la
» province ; les frais de tranfport par Tarafcon fe-
» roient confidérables 3 Marfeille eft dans la pôfition
» la plus avantageufe, elle communique avec tous
» les ports de la province, au milieu defquels elle
» eft placée 3 elle eft à la diftance la plus commode
» de la capitale, & c’eft cette heureufe fituation
P qui la rend nécefîairement le centre du commerce.
» Les négociants ne font point établis dans Arles
» & Tarafcon, & n’y feront point" d’établifïement 3
» ils ne fe tranfporteront point à Toulon , porc
» militaire, ni dans les petits ports qui font fur la
» côte » , ( où d’ailleurs on auroit bien fou les chicaner
, jufqu’à ce qu’ils fuffent ruinés ou dégoûtés ,
comme on en pourrait citer des exemples frappants).
« Marfeille eft le feul entrepôt' de la Provence &
» du royaume , & la Provence eft ifolée , quand le
» port de Marfeille eft fermé ».
Prohiber à tous les ports du royaume la communication
avec Marfeille , comme on fit très-formellement
en 17703 c’eroit donc exclure les grains
nationaux de prefque toute la Provence.
La compagnie d’Afrique , dont le commerce
principal confïfte à fournir de grains Marfeille & le
pays , gagnoit donc nécefîairement à cette prohibition
»
Le mémoire qui lui eft favorable, remarque une
autre caufe de profit pour elle, c’eft la guerre des
Turcs & des Ruiïès, qui rendoit le commerce du
Levant prefque impoffible.
Mais ce n’eft pas tout : il y a deux autres circonf-
tances, dont la première eft indiquée fous un point
de vue qui n’eft peut-être pas le véritable, & dont
la fécondé eft abfolument paffée fous fîlence 3 il faut
en rendre compte.
Les bleds François étant exclus de Marfeille &
de Provence , la compagnie d ’Afrique pouvoit encore
craindre, en premier lieu la concurrence des
etrangers, & fur-tout des Anglois , qui s’étoient
maintenus dans la pofTeffion d’apporter des grains
de Barbarie, même du Levant & d’ailleurs : en fécond
lieu, celle des négociants mêmes de Marfeille qui
feroient venir des bleds quelconques des pays étrangers.
Ecarter cette double concurrence, c’étoit certainement
faire un coup de parti pour la compagnie
dAfrique , fur-tout dans les années de difecte & de
cherté j c’eft ce qu’on a eu le bonheur d’efpérer.
La chambre du commerce de Marfeille ( on iaic
à préfent que cette chambre & la compagnie d’A frique
font une feule & même chofe, puifque la
chambre pofsède un tiers des actions , & cautionne
le dividende des autres ) , fit , des repréfentations
contre les bleds du Levant, fous prétexte d’en
faire contre les Anglois , qui continuoient de tir si