
fera de leur intérêt que tout cela fefofTe avec foin,
& qu’ils trouveront bien les moyens de faire bien
faire , fans privilège exclufif, une chofe que leur
intérêt demande qui foit bien faite. Les gens du
pays actuellement employés à ces travaux , les continueront
pour le commerce particulier ; les âdmi-
niftrateurs de la compagnie pourroienç même les
conferver pour cela , pendant les premières années,
8c fe faire rembourser parles négocians qui les em-
ployeronuOn poura donc fe pafïer très-facilement du
privilège exclufif*
IV. Un autre inconvénient que l’on veut rendre
particulier au commerce du bengale & de la côte , & dont l'a p p lica tio n pourroit- fe faire également à
toute autre éfpece de commerce, eft la prétendue
néceffité des afloudm ens des retours. » Les cargai?
» fons de la compagnie font, dit-on , afTorties par
» les employés de la compagnie , en différentes n a -
» tures de marçhandifes , dont les unes fervent à fa-
» ciliter la vente des autres , & qui tou tes , dans.leurs
» qualités & quantités, font proportionnées à la
» poffibilité de la Genfommation , §c au g o û t de?
» confommateurs. Çes afTortim ens ne fe feront
» jamais bien par le commerce particulier . il y
» aura trop d’une marchandife & pas affez dç
» l’autre , les négocians ne pouvant fe concerter, fe
» nuiront, 6fc. &c. a
Mais çette objeéfion n’aurojt-elle pas la mêmp
force contre la liberté du commerce avec nos colonies.
Tous lçs vaiffeaux qui partent des différens
ports du royaume ne fe concertent point fur la nature
de leurs chargemçns. 11 en réfulte, à la vérité,
des variations dans les prix des vente?, fuivant l’a?
bondance ou ja rareté des denrées importées dans
les coloniesf & c’eft ce qui fait le jeu du commerce.
L ’on ne voit pas que Ce rifque, quoique
très-réel, ait fait tomber ce commerce , & dégoûté
les négocians François ; pourquoi feroit-il plus fu-
nefte au commerce de l’Inde ? On peut être afîuré
qu’une année on apportera une trop grande quantité
d’une efpece de toile , & pas affez d’une autre.
Il en réfulcpra qu’un négociant gagnera plus que
l’autre ; mais celui-ci aura fon, tour dans une autre
expédition. On croit inutile d’infifter d’avantag,e fur
ces questions tant de fois difcütées, & toujours à
l’avantage de la liberté,
V. Je ne dirai qu’un mot de la nécefîité d’avoir
des capitaux confidérables pour le commerce de
l’Inde , néceffité qu’on regarde comme un obftacle
invincible au commerce particulier,
, Les retours , dit-on, ne peuvent arriver que
»'plus de deux ans après la raife hors des fonds.
>> Une entreprife qui exige des avances fi confidé-
» râbles , 8c dans laquelle il faut néeeffairement
» perdre fes fonds de vue pendant près dç trois
». années , eft au-deftiis des forces des particuliers,
?> & ne peut être embraffée dans toute fon étendue
n que par une compagnie excluftve ».
Je uc conviens point de çette impoffibilité* de trou?
ver des fonds pouf le commerce de l’Inde devetvi
libre. Les capitaux ne manquent pas en France ;
ce font les emplois des capitaux qui y font gênés
& reftraints en mille manières , & notamment par
les privilèges, les compagnies , 8c toutes les entraves
qu’y éprouve le commerce'. Les capitaux fe portent
par-tout où il y a des profits à faire , à moins
que des obftacles, qui viennent toujours des hommes
& jamais des choies, ne s’oppofent a leur emploi
5 il y aura à gagner dans le commerce, il s’y
yerfera donc des capitaux.
A la vérité, je n affûterai pas' que ce commerce
aura , dès la première ou la fécondé année , tous
les capitaux qu’il emploie aujourd’hui. Je crois cependant
que perfonne n’eft en droit de le nier. Mais
ce qu on peut efpérer fans le moindre doute , c’eft
que , des-que les chofes auront repris leur état na-
( turel , ce commerce aura tous les fonds dont il a
befoin.
D ailleurs, comme je l’ai déjà remarqué à propos
du commerce de Chine, les partifans du privilège
ne peuvent pas faire cette difficulté de bonne-
foi, puifquils lavent bien que la compagnie n’a
jamais eu les capitaux dont elle avoit befoin pour
l’exploitation de fon commerce ; que cd défaut de
fonds l’a forcée conftamment & en mille occafions
de refferrer fon commerce , loin de l’étendre.
Enfin, le commerce libre , qui fournit des capitaux
immenfes à cent autres entreprifes plus confidérables
& moins lucratives , en trouvera bien pour
le commerce de l’Inde, auffi-tôt qu’il fera ouvert
à la liberté.
VI, Enfin, la derniere objeCHon qu’on oppofe a
la fuppreffion du privilège exclufif, eft la puiftance
des Anglois dans lln d e , qui nç fouffriront jamais
que le commerce libre s’y établiffe, & dont les
violences ne peuvent être contenues que par une
compagnie exclufîve.
Développons cette obje&ion dans les termes même
employés par les mémoires que je parcours.
« Les f rançois ne peuvent efpérer de fuccès
» dans l’Inde , qu’aux dépens des autres nations
» commerçantes; mais fe flatte-;?on qu’elles voyent
: » froidement un événement auffi intéreflànt pour
» elles, fans y oppofer les plus grands obftacles,
» peut-être même fine violence ouverte ? C’eft une
»vérité inconteftable que les François ne peuvent
» rendre le commerce des Indes libre à tous lesné-
» gocians, fans forcer les Anglois 8c les Hollandois
» a le faire de la même manière, S’il n’eft pas de
» leur intérêt de le pratiquer ainfl, il eft indubi-
» table qu'ils s'efforceront, d’empêcher notre Cbm-
» merce par toutes fortes de moyens. Or , il leur
» fera très-facile d’y réuffir dans les eirconftances
» actuelles.
» Tout eft changé dans l’Inde, & fur-tout dans
» le Bengale pour les Européens. Les Anglois y
» ont acquis une puiftance fi extraordinaire, ils y
».ont des forces fi confidérables , ils y exercent,
» foie
» foit ouvertement, foit fous le lom du nabab ,
».qu’ils tiennent dans leurs fers , une autorité fi
» étendue, qu’on peut craindre à chaque inftant de
» les voir s’emparer exclufivement de cette branche
» de commerce. Ils fouffrent avec peine la concur-
» rcn.ce des compagnies Européennes, & ils nous
» font éprouver en particulier des obftacles que la
» réunion 8c le concours de tous nos moyens ne
» peuvent vaincre que très-difficilement. Des parti-
» culiers, qui n’auront jamais autant de forces ni
» de refîburces qu’en a une compagnie nationale, qui
» d’ailleurs feront néceffairement en rivalité les uns
» avec les autres , pourront-ils réfifter à la concurren-
» ce, à la puiftance des Anglois ? Les Anglois leslaiflè-
» ront-ils exercer paifiblement leur commerce? L’on
» a agité à Londres fi l’on s’empareroit exclufivement
» du commerce de Bengale ; enforte que l’Angle- I
» terre devint l’entrepôt général où toutes les na-
» rions Européennes feroient forcées de venir s’ap-
» provifionner de l’Inde. La queftion efl reftée in-
»déçife; mais elle feroit bientôt décidée , fi les,
» Anglois n’avoient plus à faire qu’à des particu-
» liers ifolés dont ils ont mille moyens de traver-
» fer & de ruiner les opérations.
- » Enfin, fi cette branche de commerce fort un I
» inftant des mains de la compagnie, pour paffer
»dans celles des Anglois, elle n’y rentrera que
» très-difficilement, & peut-être jamais ».
On démêle dans ce que nous venons de voir quelques
aflercions qu’il eft important de diftinguer.
i°. Que les Anglois traverferont le commerce
particulier dans l’Inde, plus fortement que le commerce
de la compagnie.
i ° . Qu’ils y réuftiront plus facilement.
- Examinons ces deux affertions :
Sur la première je remarque qu’alléguer la puif-
fance aéluelle des Anglois dans l’Inde , c’eft s’écarter
du véritable état de la queftion. Il s’agit de fçavoir
fi le commerce particulier eft poffible ou n o n ,ab -
ftra&ion faite de la fîtuation politique actuelle des
puiüances Européennes dans l’Inde : cette ' fîtuation
étant très-mobile, ayant été différente il y a peu
d’annees , & pouvant changer d’un moment .4 l ’autre,
ne doit entrer pour rien dans notre difcuïfionJ où
il s’agit de rechercher fi, dans l’état commun &
confiant, le commerce peut s’exercer & fe foute-
nir fans privilège exclufif.
Si donc les preuves que nous avons données jafqu’à
préfent , étoient folides , la queftion feroit décidée
pour le gouvernement , fauf à lui à trouver
des expédiens qui ne manqueront pas, & auxquels f Angleterre ne fauroit fe refafer, de maintenir
1 exécution des traités en Afie auffi bien qu’eu Europe.
Une autre obfervation bien décifive nous eft fournie
par l’aveu que font ici les défenfeurs du privilège.
« C’e ft, difent-iis, une vérité inconteftable
» que les François ne peuvent rendre le commerce
» des Indes libre, fans forcer les Anglois 8c les
» Hollandois d’en faire autant, ainfi il eft indubjta-
Çommtra, Tome 1* fart* IL
» ble que ces nations s’efforceront d’empêcher notre
» commerce particulier par toutes fortes de moyens ».
Si cela e ft, je demande ce qiie devienent toutes
les objections ci-deftus oppofées à la liberté. Si en
confervant leur compagnie, les Anglois ont fi fort
à craiiïdre les effets de la liberté chez nous, il faut
donc que le commerce libre foit poffible même en
concurrence avec la compagnie Angloife.
Si la forme de compagnie & de privilège exclufif
eft fi avantageufe & fi indifpenfablement nécefîaire
au commerce de l’Inde (à moins qu’on ne prétende
que c’eft pour les François feulement que le
commerce, de l’Inde a befoin d’un privilège), la
violence ne leur fera pas nécefîaire pour empêcher
l’établiflement de notre commerce particulier ; car
ils feront feuls à l’abri des funejîes effets de la
concurrence ; feuls ils trouveront des cargaisons
préparées, feuls ils pourront faire blanchir, préparer
, emballer leurs toiles. Seuls ils pourront,
fans rifque , faire des avances de fonds dans' les
terres , feuls ils auront des capitaux à mettre au
commerce de l’Inde : ils ne s’inquiéteront donc pas
de nous voir rendre la liberté au. nôtre ; ou s’ils
s’en inquiétoient, ce feroit une preuve évidente que
le commerce particulier eft poffible.
On avance en fecoud lieu , que les Anglois réuf-
fîront à empêcher notre commerce particulier.
Nous fournies convenus nous-mêmes plus haut,
de la puiffance actuelle des Anglois dans l’Inde ,
& des obftacles qu’ils peuvent mettre à nottre commerce
de compagnie ; nous ne nierons pas qu’ils
ne puiffènt traverfer auffi notre commerce particulier.
Mais il fandrok nous prouver qu’ils auront
plus de facilités pour c e l a f i notre commerce y eft
libre. O r , c’eft ce qui n’eft, ni rraifemblable „ ni
vrai. Nous l’avons déjà d it, le commerce particulier
échappé' bien plus aifément aux vexations & à la
violence. Ses opérarions, quoique plus grandes &
plus étendues. , font moins publiques, moins en
; butte à cette jalofïe nationale ; préjugé funefte que
l’ignorance enfanta , & qui fubfifte encore avec plus
de force chez les Anglois, que chez nous.
Il eft confiant, qu indépendamment du commerce
que la compagnie Angloife fait dans le Bengale ,
tous les employés y font des achats immenfes pour
leur compte , & qu’ils s’approprient même de préférence
, les marçhandifes les plus belles, & des
meilleures qualités.
Cette eirconftance contraire au bien de la compagnie
Angloife, contraire en même-temps à l’intérêt
de la nôtre , par la collufion. qui doit nécefîaire-
ment s’établir entre les employés de l’une & de
l’autre , eft infiniment favorable au commerce par-,
ticulier; en effet, les employés Anglois ne pouvant
plus vendre leurs marçhandifes à la compagnie ,
chercheront à s’en procurer le débouché par les
I.vaiffeaux F rançois, & pour cela , ou ils les char- geront à fret fur nos vaiffeaux particuliers , ou ils
ïes vendront à des négocians François ; avec le
même bénéfice auquel 1 ils les vendent à la comr
• Kkkk