
En effet, la même façon de penfer, paroît avoir
régné dans toute la partie méridionale du royaume.
Les états de Béarn défendirent en 1667, l’intro-
du&ion & le débit de tous vins étrangers > depuis
le premier oCtobre jufqu’au premier mai de Tannée
luivante.. En 1745 , ces mêmes états prirent une
délibération qui profcrivoit le débit de tous vins,
jufqu’à ce que ceux du cm de la province fufîènt
entièrement confommés. Cette délibération fut homologuée
par arrêt du parlement de Pau. Elle fut
caflée, ainfi que l’a rrê t, le 2 feptembre 1747 , fur
la réclamation portée au confeil par les états' de
Bigorre.
Les états de Béarn s’étant pourvus en oppofîtion
en 3768, contre ce dernier arrêt, ils en furent
déboutés, & Tarrêt qui cafloic leur délibération
fut confirmé. Mais fans la réclamation de la province
de Bigorre, les états d’une province particulière
auroient établi, de leur feule autorité , une
prohibition qui auroit pu avoir lieu long-temps
fans que le gouvernement y "remédiât, & en fut
■même informé.
Quoique cette prohibition ait celle entre le Béarn
& la Bigorre, celles qui ont lieu entre les différentes
villes du Béarn n’en fubfiftent pas moins
dans leur entier ; quoiqu’en général elles ne foient
pas établies fur d'autres titres que fur des délibérations
des communautés elles-mêmes homologuées
par des arrêts du parlement.
Plufieurs villes du Dauphiné & de la Provence ,
fe font arrogé le même droit, d’exclure de leur territoire
la confommation des vins prétendus étrangers
, ou entièrement, ou jufqu’à une époque déterminée
, ou feulement jufqu’à ce que le vin du
territoire f û t vendu.
Les habitans de la ville de Veyne, fituée en
Dauphiné , fe pourvurent en 1756 au confeil, pour
obtenir la confirmation de leurs privilèges, qui confif-
toient dans la prohibition faite par délibération de
la communauté, de laiffer entrer aucuns vins étrangers
, afin de favorifer la confommation des vins
de leur territoire, qui n’étoient p as, difoient-ils,
faciles à vendre, attendu leur mauvaife qualité. Ils
repréfèntoienï que cette prohibition avoit été confirmée
par arrêt du parlement de Grenoble, du
27 juillet 1732- j & que la faveur qu’ils reciamoient
avoit été accordée a la ville de Grenoble, à celle
de G ap , & à plufieurs autres du Dauphiné.
Aucune ville n’a porté ce privilège à un plus
grand excès, aucune ne Ta exercé avec plus de
rigueur que la ville de Marfeille. De temps immémorial,
îorfque cette yilîe joiiiffoit'd’une entière
indépendance, elle avoit interdit toute entrée aux
vins étrangers. Lorfqu’eHe fe 'remit fous l’autorité
des comtes de Provence, elle exigea d’eux par des
articles convenus en 1257 , fous le nom de chapitres
de p a ix , qu’en aucun temps ces princes ne
fouffriroient qu’on portât dans cette ville du vin ou
des raisins nés hors de fa n territoire , à l’excep-
fion du vin qui fèroit apporté pour être bu p arle
comte & la comtefîe de Provence, & leur maifotî,
lorfqu’ils viendroient à Marfeille & y demeureroient,
de manière cependant que ce vin ne fut pas
vendu.
En 1294 » un ftatut municipal ordonna que le v in
qui feroit apporté en fraude «feroit répandu , les
raifins foulés aux pieds , les bâtimens ou charrettes
brûlés, & les contrevenans condamnés en différentes
amendes.
Un réglement du 4 feptembre 1610 , ajouta à la
rigueur des peines prononcées par les réglemens
précédens, celle du fouet contre les voituriers qui
ameneroient du vin étranger dans la ville de Marfeille.
Geft ainfi que par un renverfement de toutes les
notions de morale & d’équité , un vil intérêt follicite
& obtient, contre des infractions qui ne blefîènt que
lu i, ces peines flétriflantes que la juftice n’inflige
même au crime qu’à regret, & forcée par le motif
de la fureté publique.
Différens arrêts du confeil & du parlement de
Provence , des lettres - patentes émanées des rois
nos prédéceflèurs , ont fucceflivement autorifé ces
réglemens. Un édit du mois de mars 1717, portant
réglement pour Tadminiftration de la ville de Marfeille
, confirme l’établiffement d’un bureau particulier
,. chargé, fous le nom de bureau du v in , de
veiller à l’exécution de ces prohibitions.
L’article XCV de cet édit fait même défenfes à
tous capitaines de -navires qui feront dans le port
de Marfeille, d’acheter, pour la provifion de leur
équipage , d’autre vin que celui du territoire de
cette ville. « Et pour prévenir, eft-il dit, les con-
» traventions au préfent article , les échevins ne
» ligneront aucune patente de fanté pour lefdits bâti—
» mens de mer., qui feront nolifés dans ladite ville
» & qui en partiront, qu’il ne leur foit apparu des
» billets de vifite des deux intendans du bureau du
» vin & de leur certificat, portant que le vin
» qu’ils auront trouvé dans lefdits bâtimens de mer ,
» pour la provifion de leurs équipages, a été acheté
» dans la ville de Marfeille ».
Comme fi l’atteftation d’un fait devoit dépendre
d’une circonftance abfolument étrangère a la vérité
de ce fait ! comme fi le témoignage de la vérité
n’étoit pas dû à quiconque le réclame ! comme fî
l’intérêt qu’ont1 les propriétaires des vignes de Marfeille
, à vendre leur vin un peu plus cher, pouvoir
entrer en quelque confidération , lorfqu il s agit
d’un intérêt aufli important pour l’état & pour 1 humanité
entière, que la fécurité contre le danger de
la contagion !
Le -eorps-de-ville de Marfeille a étendu l’effet
de cette difpofîtion de l’édit de i 7 I 7 ? jufqu’à prétendre
interdire aux équipages des bâtimens qui
entrent dans le port de Marfeille , la liberté de con-
fommer le vin ou la bière dont ils font approvifion-
nés pour leur route , & les obliger d’acheter a
Marfeille une nouvelle provifion de vin. Cette prétention
forme la matière d’une conteftation entre
la ville dê Marfeille & les états de Languedoc.
La ville de Marfeille s’eft même crue en droit
d’empêcher les vins des autres parties de la Provence
, d’emprunter le port de Marfeille pour être
vendus aux étrangers. Ce n’eft qu’après une longue
difeuffion , qu’une prétention aüffi injufte & aufli
funefte au commerce général a été profente par
un arrêt du confeil, rendu le 16 août 1740, & que
le "tranfît des vins par le port de Marfeille a été
permis , moyennant certaines précautions.
L’étendue des pays oit régne cette efpèce d interdiction
de commerce de canton à canton, de ville
à ville, le nombre des lieux qui font en poflèflion
de repouffer ainfi les productions des territoires
voifîns, prouvent qu’il ne faut point chercher l’origine
de ces ufages dans des conceffions obtenues de
Tautorité de nos prédéceflèurs, à titre de faveur &
de grâce , ou accordées fur de faux expofés de
juftice & d’utilité publique.
Ils font nés & n’ont pu naître que dans ces temps
d’anarchie, ou le fouverain, les vafîaux des divers
ordres , & les peuples ne tenant les uns aux autres
que par les liens de la féodalité , ni le monarque ,
ni même les grands vafîaux, n’avoienc allez de pouvoir
pour établir & maintenir un fyftême de police,
qui embraflat toutes les parties de l’état, & réprimât
les ufurpations de la force. Chacun fe faifoit alors
fes droits à lui-même.
Les feigneurs moleftoient le commerce dans leurs
terres , les habitans des villes, réunies en communes
, cherchoient à le concentrer dans l'enceinte de
leurs murailles ou de leur_territoire.
Les riches propriétaires, toujours dominans dans
les afîèmblées , s’occupoient du foin de vendre i
feùls à leurs concitoyens, les denrées que produi- 1
foient leurs champs, & d’écarter toute autre concur- ;
rence ; fans fonger que ce genre de monopole
devenant général , & toutes les bourgades d’un ’
même royaume , fe traitant ainfi réciproquement
comme étrangères & comme ennemies, chacun per-
doit aiî moins autant à ne pouvoir vendre à ces
prétendus étrangers, qu’il gagnoit à pouvoir feul
vendre à fes concitoyens , & que par conféquent cet
état de guerre nuifoit à tous , fans être utile à
per fo iine.
Cet efprit exclufif a dû varier dans fes effets,
fuivant les lieux & fuivant les temps. .
. Dans nos provinces méridionales, plus fertiles en
vins, où cette denrée forme en un grand nombre
de lieux, la production principale du territoire, la
prohibition réciproque du débit des vins , appelles
étrangers , eft devenue d’un ufage prefque univerfel ;
le droit que fe font arrogé a cet égard prefque
toutes les villes particulières , n’a pas même été
remarqué, il s’eft exercé tellement fans contradiction,
que le plus grand nombre n’ont pas cru avoir befoin
de recourir à nos prédéceflèurs pour en obtenir la
confirmation , & que plufieurs n’ont même penfé
que dans ccs derniers temps, à fe faire donner par
des arrêts de nos cours une autorifation qui n’eû
pu en aucun cas. fuppléer à la nôtre.
L’importance & l’étendue du commerce de Marfeille
, la fituation du port de Bordeaux , entrepôt
naturel & débouché nécefîaire des produirions de
plufieurs provinces , ont rendu plus fenfible . l’effet
des reftriCtions que ces deux villes ont mifes au
commerce des vins, & le préjudice qui en réfulte-
roit pour le commerce en général : ces villes,
dont les prétentions ont été plus combattues , ont
"employé plus d’efforts pour les foutenir.
Il n’eft pas étonnant que dans des temps où les
principes de la richeflè publique, & les véritables
intérêts des. peuples étoienr peu connus, les princes,
qui avoient prefque toujours befoin de ménager les
villes puifîances , fe foient prêtés avec trop de con-
defcendance à confirmer ces ufurpations , qualifiées
de privilèges, fans lés avoir auparavant confidérées
d ans tous leurs rapports avec la juftice due au refte
de leurs fujets , & avec l’intérêt général de l’état.
Les privilèges dont il s’ag t n’auroient pu fouteni*
fous ce double point de vue, l’examen d’une politique
équitable & éclairée : ils n’auroient pas mêni©
pu lui offrir la matière d’un doute.
En effet, les propriétaires & les cultivateurs étrangers
au territoire privilégié, font injuftement privés
du droit le plus eflèntiel de leur propriété , celui
de difpofer de la denrée qu’ils ont fait naître.
Les confomniateurs des villes fujettes à la prohibition,
& ceux qui auroient pu s’y approvifionner
par la voie du commerce font injuftement privés du
droit de choifîr & d’acheter, au prix réglé par le
cours naturel des chofes, la denrée qui leur eonr
vient le mieux.
La culture eft découragée dans les territoires non
privilégiés, & même dans ceux dont le privilège
local eft plus que compenfé par le privilége fembla-
ble des territoires environnans.
De telles entraves font funeftes à la nation entière,
qui perd ce que T activité d’un commerce libre , ce
que l’abondance de la production, les progrès de
la culture des vignes 8c ceux de l’arc de faire les
v ins, animés par la facilité & l’étendue du débit,
auroient répandu dans le royaume de richeflès ■nouvelles.
Ces prétendus privilèges ne font pas mêmes utiles
aux lieux qui en jouiffènt. L’avantage en eft évidemment
illufoire pour toutes les villes & bourgs de
l’intérieur du royaume , puifque la gêne des ventes
& des achats eft réciproque , comme le fera la
liberté Iorfque tous en jouiront.
Par-tout où le privilège exifte, il eft nuifible au
peuple confommateur, nuifible au commerçant j les
propriétaires des vignes ne font favorifés en apparence
qu’aux dépens des autre« propriétaires & de
tous leurs Concitoyens.
Dans Marfeille , dont les chefs fe montrent fi
^elés pour l’exclufion des vins étrangers, cette
exclufion eft contraire aux intérêts du plus grand
* nombre des habitans de la ville, qui non-feulement
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