
dans fa plus grande /Implicite ; mais dans
fa perfection,
Si vous analyfez philofophiquement les
parties cenftitutives qui forment fon eflènce,
vous y trouverez d’abord deux productions,
puis un échange; enfin deux çonfommations.
Il en eft de même dans toute efpèce de
Commerce le plus compliqué. La fource eft
toujours productions, l’intermédiaire échanges
, la fin çonfommations.
Otez les producteurs de la matière première
, ôtez les confommateurs des marchan-
difes plus ou moins façonnées, yous n’avez
plus de commerce. N’eft-il pas étonnant
qu’une vérité fi frappante foit oubliée dans
prefque tous les ouvrages modernes les
plus vantés, & qu’on ait pris cet oubli pour
bafe de toute la doÇtrine politique fur le
commerce ?
Il eft vrai qu’il faut employer très-fou-
vent d’autres agens très-utiles, dont le mi-
niftère néanmoins n’eft pas également indif-
penfable,
La plupart des-objets propres ànosjouif-
fances ont pour première bafe plufieurs
ajfemblages de vingt matières différentes ,
réunies, combinées , embellies les unes par
les autres. C’eft la clalfe des manufaâuriers
qui les a formés.
Par une des loix de la nature, les premières
& les plus fimples productions & par
fuite les ouvrages de l’art qu’elles peuvent
çompofer , fe trouvent avec plus. d’abondance
& de perfection, fous un climat, que
fous un autre. C’eft la çïafîè des voituriers
par terre & par mer, qui les tranfmet du
lieu qui les vit naître à celui qui les yerra
périr par la conforomation,
Mais ij exifte encore une autre clalfe
d’agens du Commerce prefque toujours
très-utile , fans être néanmoins abfolument
néceflui're , c’eft celle des acheteurs - revendeurs
, qui ne font ni producteurs des matières
premières, ni manufacturiers, ni voituriers
, ni confommateurs ; mais des pom-
miflîonnaires prévoyans, libres & volontaires,
qui prennent les denrées & marchandifes
fie la main des uns pour les tranfmettre aux
ftutrês.
Leur miniftère confifte dans un double
échange qu’ils font d’une part avec les producteurs
ou les manufacturiers , d’autre part
avec les confommateurs. Lors du premier
ils donnent de l’argent monnoyé pour des
marchandifes, lors du fécond des marchandifes
pour de l’argent monnoyé. Leur but
eft de retirer du fécond échange une fom-
me fupérieure à çelle qu’ils ont avancée par
le premier,
L’opération de cette clalfe très-intéref-
fante de citoyens s’appelle proprement le
trafic ou le négoce , les,-hommes refpec-i
tables qui la compofent s’appellent ou négocions
en gros ou marchands en détail mais
dans l ’ufage vulgaire on leur donne quelquefois
le titre de çommerçans & leur pro-
feflions’appelle tout Amplement le Commerce,
Exactement parlant, c’elt une équivoque.
Les achats _& reventes du négoce ne font
point le vrai Commerce , le Commerce
proprement dit, ils n’appartiennent pas même
à fon eftènce. Us n’en font qu’une portion
fubfidiaire & contingente.
Rendons cette vérité plus fenfible encore
par un fécond exemple. On dit communément
en langage vulgaire d?un négociant de
Bordeaux qu’il fait le Commerce de France
en Amérique, des farines & des fucres, fou-
vent même on imagine qu’il fait feu! tout ce
Commerce,
Dans le vrai , les premiers , les vrais
agens nécelfaires & indifpenfables , font
d’abord le propriétaire , le cultivateur de
l’Agenois, du Condomois , du Bazadois,
qui font naître les bleds & les farines, les
Colons des ifles qui s’en nourriflènt, enfuite
ces mêmes Colons Américains fabdcateurs
dufucre& les Européens quileconfomment.
Le Bordelois fert l’un & l’autre comme
agent intermédiaire , très - utile fans être
abfolument nécelfaire , car il eft poflible
ftriCtement parlant & même il n’eft pas fans
exemple qu’un François falfe paflè r en
Amérique des vins, des fruits & d’autres
comeftibles de fes récoltes , qu’il reçoive en
retour du lucre & du café pour fa con-
fommation , fans ventes ni reventes.
En pareil . cas les deux propriétaires
fonciers commercent entr’eux , quoiqu’ils
P R Ê L I M
ne trafiquent pas. Elle eft bien fimple, cette
obfervation , rapprochez-la de ces traités
fi prônés, de ces diflèrtations foit-difant, fi
profondes fur le Commerce qu’on a fi longtemps
citées comme des oracles, | & voyez
fi cette doârine orgueilleufe n’étoit pas totalement
fophiftique.
Rien de plus grand , de plus utile , de
plusintérelfant que le Commerce, vous difent
pompeufement tous les exordes -, c’eft la
fource de la richelfe & de la puilfance pour
les états policés.
Oui fans doute, le Commerce proprement
dit, le Commerce entier , le Commerce
parfait qui renferme ,. premièrement
comme parties eflentielles , indifpenfables,
les produéteurs & les confommateurs ; fecon-
dement comme parties contingentes & accel-
foires, les manufaâuriers , les voituriers,
les négociants, acheteurs-revendeurs.
Admirez, nous difent tout de fuite nos
modernes diflertateurs, les Tyriens , les
Athéniens, les Milefiens, Gènes , Venife,
les villes Anféatiques, la Hollande & l’Angleterre.
Aucun de ces, grands efprits ne s’apper-
çoit qu’il a changé tout à coup d’objet
& de matière , en paflànt du Commerce
qui eft le tout, au fimple négoce qui n’en eft
qu’une portion.
Ces Phéniciens , ces Athéniens , ces
Milefiens, ces Carthaginois n’étoient que des
marchands & des voituriers par mer , achetant
dans un lieu pour tranfporter & revendre
dans un autre. Ils fervoient comme agens
& commiflîonnaires , le Commerce réel que
faifoient avec la Grece proprement dite,
d’une part les Gaulois , les Efpagnols les
Lybiens & les Egyptiens , d’autre part les
nations répandues fur les deux rives du
Pont-Euxin.
Les produéfeurs & les propriétaires de
ces contrées , leurs récoltes , leurs manufactures
, leurs jouiflànces étoient les premières
caiifes effentielles de ce Commerce.'
Le centre principal du trafic, c ’eft-à-dire,
Je rendez-vous le plus fréquenté des acheteurs
revendeurs,, & le chantier le plus
apparent des voitures navales , fut transféré
fuccefliveiqent de l’enceinte de Tyr à
celle d’Athènes, de Milet, d’Alexandrie ,
de Carthage, de Marfeille, de Venife, de
Gènes, des villes Anféatiques & des places
modernes.
Mais ce négoce maritime que vous allez
confondre avec le Commerce entier , n’en
fut jamais que la cinquième portion la plus
mobile & la moins eflèntielle.
Dans combien d’erreurs cette feule équivoque
n’a t’elle pas jette les auteurs politiques
& ceux qui les ont pris pour maîtres?
Quand vous leur parlez Commerce , ils
oublient tout le refte & ne penfent qu’aux
acheteurs - revendeurs ; confulter le Commerce
, c’eft interroger les trafiquants ; favo-
riler le Commerce, c’eft accorder des privilèges
à des marchands, qui les autorifent
à rançonner les produâeurs & les confommateurs
; enrichir le Commerce, c’eft multiplier
l’argent de tels & tels négocians,
même aux dépens des autres ^membres delà
fociété.
Nous fommes bien éloignés de difputer
à la. claflè très-utile & très-induftrieufe des
acheteurs-revendeurs la reconnoiflànce qui
lui eft dûè, la rentrée de fes avances , la
réçompenfe de fes peines , la jufte compen-
fation de fes rifques & de fes pertes. Tous
fes bénéfices font légitimes, quand la pleine
& libre concurrence les met à leur taux
naturel, fans caufe factice , fans volontés
arbitraires qui faflènt pancher la balance.
Le négoce exempt de toutes fraudes, de
toute violence, eft un travail qu’il faut
payer & dont le prix fe régie comme celui
de tous les autres dont les hommes commercent
entr’eux librement , fuivant le
taux qu’y met l’accord naturel & volontaire
, de celui qui le vend avec ceux qui
Tachettent.
Cette loi de libre concurrence qui légitime
tous les profits, n’eft pas feulement
pour ceux du trafic , elle régie également
ceux des autres fervices que nous pouvons
nous rendre entre nous dans la fociété , les
autres échanges des travaux &des propriétés.
Mais confondre comme on a fait, le fimple
trafic avec le vrai Commerce dont il eft le
commiffionnaire,c’eft s’expofer par cette équivoque
aux erreurs que nous allons démafquer.