
multiplient leurs achats & leurs ventes | les
artiftes , les artifans , leurs ouvrages journaliers
; toutes les dalles de la fociété devenues
plus nombreufes 8c jouiflànt toutes à
la fois d’une plus grande aifance, accroif-
fent néceflàirement la fomme des échanges
mutuels 8c précipitent leur mouvement, qui
fait feul, comme nous l’avons obfervé, toute
la vie politique des états civilifés.
Telles font la nature* l’origine, l’influence
du Commerce proprement dit , confidéré
philofophiquement dans fon effence, dans fa
perfection, dans fon univerfalité ; qui comprend
toutes les grandes fociétés , toutes
les divifions , toutes les familles , tous les
individus de l’efpèce humaine fans aucune
exception , qui les réunit 8c les lie naturellement
8c très-intimement entr’eux , fans
aucun autre p ad e , fans nulle condition factice
, auflitôt que nul obftacle ne s’oppofe
à fa liberté.
Liberté , difons-nous : pourquoi faut-il
que ce mot fi doux à prononcer, foit encore
aujourd’hui le lignai de la divifion ,
pour les hommes dévoués à répandre la
lumière de l’inftrudion publique, à remplir
le miniftère augufte de la légillation , ou
les fondions refpedables de l’adminiftration?
La liberté qu’on eflàye en vain de définir
par des idées pofitives, puifqu’elle confifte
dans une fimple négation , c’eft-à-dire ,
' dans Yinexijlaicc abfolue de tout objlacle ;
la liberté qui n’eft pour vous que l’ufage
de votre propriété , fans nul empêchement;
la liberté qui n’eft que Yufage , c’eft-à-dire ,
la jouiffaftce jufte 8c raifonnable de vos
biens , non l’abus contré vous-même qui ne
convient qu’aux infenfés, non l’abus contre
vos femblables 8c contre leurs propriétés
qui caradérife les oppreffeurs 8c leurs ufur-
pations : la liberté n’eft pas, comme pen-
fent plufieurs, même chofe que l’autorité,
mais elle en eft, quoi qu’en difent plufieurs
autres , l’effet le plus naturel.
On peut être parfaitement libre fans participer
en rien aux fondions publiques de
la fouveraineté, fans fe confacrer aux travaux
honorables 8c pénibles de l’inftrudion , de
a protedion civile 8c militaire de l’admi-
nrftration politique. On eft parfaitement libre
quand on ufe à fon'gré, fans nulle oppo*
fition arbitraire 8c fadice, de fes propriétés.
Il eft étrange que cette vérité fi fimple foit
fi fouvent obfcurcie , 8c que les hommes
les plus éclairés foient fi facilement induits
à confondre la franchife ou la liberté avec
la participation aux devoirs 8c aux emplois
de l’autorité fuprême.
Dans les républiques les plus démocratiques
, le même homme ufe évidemment
de deux droits tout-à-fait diftingués par
la nature même, quand il difpofe à fon gré
fans nul obftacle pour fa propre utilité de
fes biens perfonnels , *u quand il dirige
fuivant le befoin général , avec fes autres
co-opérateurs pour l’avantage public , les
intérêts de l’état dont il eft membre. Dans
te premier cas, il exerce fa liberté comme
homme 8c comme citoyen ; dans le fécond
cas, il s’acquite comme Démocrate en qualité
de co-louverain d’une des fondions de
l’autorité fuprême.
Dans l’empire le plus defpotique, l’homme
obfcur & fortuné qui difpofe aduelle-
ment à fon gré du bien qu’il a , fans,
rencontrer pour le moment nulle difficulté
à faire ce qui lui plaît , jouit pour lors de
la liberté.
Dans les démocraties , comme dans le
defpotifme, les prohibitions, les exclufions,
les affujetiffemens quelconques, reftraignent
la liberté naturelle. Et pour citer un exemple
frappant, le fénateur Bernois , comme
le Knées Mofcovite, ne font pas plus libres
l’un que l’autre de porter un habit brodé
d’o r, puifqu'une loi fomptuaire leur défend
à tous deux cette parure ; ils le feroient
également après l’abrogation de ce régie-,
ment, qui fait feul obftacle à leur liberté.
Obligés d’appuyer avec clarté fur cet
éclairciflèment préliminaire, nous allons expliquer
avec foin quelles idées l’école phi-,
lofophique dont nous fommes difciples attache
a ces mots liberté du Commerce.
Réalifons cette idée qui fut fouvent dans
les derniers fiècles un des rêves de tout hom-.
me de bien.
Le genre humain n’étant plus qu’une feule 8c même famille, chacun des- fouverains ne
feroit plus occupé , que de fon propre
héritage,
P R Ê L I M
héritage, bien loin de fonger à nuire à fes |
frères par les entreprifes fanglantes 8c périodiques
de la guerre , ou par. les hoftilités
lourdes 8c continuelles de la fifçalité mercantile
; il ne fongeroit qmà lui prêter 8c
qu’à recevoir dè lui tous les fecours poffi-1
blés par l’échange des biens que la nature
& l’art font éclore , avec plus ou moins 1
d’abondance , de facilités 8c d’avantages
fuivant la diverfîté des climats 8c des autres
circonftànces. -
Que dans Un même empire les hommes
fe füffent obftinés à fe regarder non-feulement
comme étrangers , mais encore comme
ennemis de province à province , de territoire
à territoire , de famille à famille ;
qu’au lieu de s’occuper diredement à perfectionner
leurs connoiffances , leurs induf
tries , leurs propriétés , ils euffent continué
d’employer leur temps , leurs talents, leurs
moyens à détériorer celles d’autrui ; quelle
folie ! quel défordre !
C’étoit pourtant l’efprit de l’anarchie féodale
, quand chacun des plus minces Vavaf- feurs prétendoit hériffer fes petites frontières
des mêmes obftacles qu’il .voyoit
oppofer au Commerce à l’entrée des grandes
feigneuries, pour l’affujettir aux exadions
qu’une politique plus lage a depuis fait
difparoître.
S’il refte encore quelques traces de ce
fyftême quant à fon influence fur le Commerce
; tout s’accorde à les condamner,
tous les gouvernemens travaillant depuis
long-temps à les détruire.
On ne met plus en problème , s’il faut
ifoler chaque département du même état,
reftreindre leurs communications 8c doubler
les douanes aux limites qui les féparent.
Un pareil procédé feroit unaniment appellé
le comble de la barbarie.
Mais de royaume à royaume, c’eft autre
choie , fuivant le'préjugé qui refte encore,
a ce qu’on allure, dans plufieurs têtes bien
organifées.
_ Qu’il nous foit permis de faire une feule
reflexion fur cet objet. De Paris àSoiffons
nom ne trouvons plus de frontières, plus
de bureaux s de traites , plus de douanes.
Si quelque faifeur de projets fifçauxpropofoit
Commerce. Tome I,
d’établir entre ces deux villes une double
barrière, une double armée de commis,
un double droit d’entrées 8c de forties; nous
fommes bien allurés qu’on le rejetteroit avec
horreur.
Le moindre politique calculerait com-
I bien cette fciffion feroit défavantageufe aux
deux provinces ; combien elle entraînerait
de faux frais, de pertes 8c de vexations,
combien le'roi de France lui-même
y perdrait, comme fouvferain de ces deux
territoires, -
Ces préjudices maintenant bien reconnus
pour évidents 8c réciproques, feroient produits
comme un effet néceffaire 8c inévitable
par de pareilles caufes ; ils feroient également
réels, également funeftes dans le Soif-,
fonnois, que.; dans l’ifle de France; 8c le
monarque, bien loin d’y gagner, y perdrait
beaucoup dans ces deux vaftes 8c fertiles
portions de fon domaine.
Mais autrefois Soûlons 8c Paris formoient
deux royaumes. S’ils euflènt ainfi fubfifté,
les barrières, les droits, les bureaux étant
abfolument les mêmes , auroient produit
précifément les mêmes effets ; le roi de
Paris &. le roi de Soiflons , auroient donc
jadis perdu l’un 8c l’autre, puifqu’aujour-
d’hui le monarque de France y perdroit
doublement comme fouverain commun ; le
peuple Parifien 8c le peuple Soiffonnois en
auroient donc fouffert, puifqu’au jourd’hui
les deux provinces en fupporteroient de
grands dommages.
Il feroit peut- être difficile d’oppofer une
folution claire 8c précife à cette difficulté.
Si les exclufions , les prohibitions, les
■ formalités , les perceptions diverfes qui féparent
un état de fes voifins, ne lui raulènt
: aucun préjudice ; comment lui en caufe-
roient-elles , au moment où les deux cou-
: ronnes fe réuniroient fur la même tête,
j puifque cette réunion toute morale n’opé-
i roi.t par elle-même aucun changement phyfi-
que dans les deux états ?
: Il faut donc avouer que ces inftitu-
> tions de la fifçalité mercantile nuifent en
s effet aux deux états quelles féparent l’un de
.l’autre. Mais dans le conflit mutuel , la
t politique moderne fe confole du mal quelle c