
indifférent que le commerce, particulier s’établifle
en deux ou en dix ans ; qu’en gouvernant un grand
' é ta t, dont la durée comprend des lîècles, ce font
encore dés mefures fages, que celles qui amènent
au bout d’un certain nombre d’années un plus grand
dégré de profpérité dans une nation , fans qu’
en voie tout de fuite les falutaires effets.
N’eft-il: pas jufte d’ailleurs de biffer faire à
liberté j pendant quelques années, les effais qu’om
fait fi mfru&ueufemcnt & fi long-temps, compagnies
avec leurs privilèges. Depuis plus d’un
fiècle & demi , le commerce exclufîf eft en poflef-
fion de l’Inde , les compagnies fe font détruites les
unes après les autres, on en a toujours élevé une
nouvelle a la place. de celle qui tomboit. Celle-
ci eft encore fur le pènchant de fa ruine. Si elle
fe diffout , donnons aufti à l’induftrie libre de la
nation, du temps & dé l’efpace , & nous lui ver
rons élever une édifice plus folide & plus grand.
II. Dans l’examen de la pofiîbilité du commerce
de l’Inde, les défenfeurs de la liberté ont un grand
avantage. C’eft que les principes généraux font
pour eux , de l’aveu même de leurs adverlaires. On
convient généralement, que le commerce peut tout
Avec la liberté-, que la liberté eft fon aliment.
Quelques perfonnes feulement prétendent qu’il faut
faire une exception a cette maxime pou rie commerce
de l’Inde. Il fuit de-là, que les premiers n’ont rien
a faire pour établir leur opinion , point de preuves
pofitives à en donner. Il leur fuffit d’avancer que
le commerce de l’Inde doit & peut être libre ,
comme toute autre elpèce de commerce ; & ils peuvent
s’en tenir à cette afïertion , jufqu’à ce qu’on
prouve clairement la néceflité de faire une exception
à la maxime générale , pour le commerce de
l’Inde en particulier,
III. Je vais plus lo in , & je dis , que les objections
particulières. qu’on fait contre la liberté du
commerce de l’Inde , font de nature à n’avoir pas
befoin qù’on les réfuté chacune en détail. Ces objections
confiftent prefque toutes à dire : le commerce
exclufif fe conduit de telle & telle manière , la
compagnie fait ceci ou cela , elle paye a l’avance ,
elle , fait blanchir & vifiter les toiles , elle aflortit
fes achats , elle trouve fes cargaifcns toutes for
mées à l ’arrivée de fes vaifieaux , &c. O r , le commerce
libre né pourra pas employer tous ces
moyens-', donc il eft impoflîble de faire le Commerce
dans l’Inde fans privilège exclufif.
On voit que pour que la conféquence de ce
raifoanement foit légitime , il faut foppofer que là
manière dont la compagnie fait le commerce -,
pr-ife datis f e s - ' plus petits détails , eft abfolument
l’unique qu’on puifl'e .employer , & telle que fi le
commerce particulier ne peut pas la pratiquer
exactement , il lui foit dès-lors impoflîble de fe'
former & de fe' foutenir.
Mais les défenfeurs de la liberté peuvent dire
la méthode employée par la compagnie n’eft I
pas 1 unique qui exifte dans la nature ; que laits!
qu’ils puiflent indiquer celle que fuivra le commerce
particulier , ils font en droit de nier qu’il
puiflè être arrêté par l’impoffibilité de fuivre la
même marche que lè commerce exclufif.
Qu en accordant que les négocians particuliers
ne pourront ni payer les toiles à l’avance dans les
terres , ni les faire blanchir & battre eux-mêmes ,
ni trouver leurs cargaifons préparées par leurs propres
employés , &c. ils pourront encore ou faire
le commerce fans tout cela, ou faire faire tout cela
par des moyens que nous n’imaginons pas , & dont
nous ne fommes pas en droit de nier la poftîbilité.
Qu’il s’enfuit feulement des détails qu’on leur op-
pofe , que le commerce libre ne pourra pas fe
faire de la même manière & fous la même forme
que celui de la compagnie ; ce qu’on peut avouer ,
& ce qui ne fait rien au véritable état de la
queftion.
Ces obje&idns vagues contre la poftîbilité de
foire telle ou telle chofe ne peuvent jamais être
d’aucune force fur un bon efprit | parce qu’elles
font toujours fondées fur une énumération inconi-
plette des moyens à prendre pour arriver au but
auquel on prétend qu’on ne peut atteindre. Je les
comparerois à l’aflurance avec laquelle les fpeâra-
teurs des tours d’un joueur de gobelet prononcent,
qu’il ne devinera pas la carte , ou ne fera pas repic
dans la couleur demandée. Ils ne fe croient fi
bien affurés que parce qu’ils imaginent connoître
toutes les manières poflibles de les tromper. On
les trompe cependant & toujours par des moyens
qu’ils n’ont pas prévus. C’eft ainfi que le. commerce
libre s’établira dans l’Inde Sc s’y foutiendra malgré
les prétendues impoffibilités qu’on voit à fon éta-
bliffcment , parce qu’il trouvera l’art de fè pafler
des moyens que nous connoiffons, & d’en employer
que nous n’imaginons pas.
Si Ces réflexions font vraies, comme elles me le
paroiffeut, ellës rendent la caufe de la liberté bien
:acile à défendre. Car d’abord elles nous difpenfent de
donner des preuves pofitives à la poftîbilité du commerce
dans l’Inde, qui doit être regardé comme poffi-
ble en conféquence des principes, tant qu’on n’aura
pas démontré clairement fon impoftibilité. Elles nous
mettent encore en droit de réfoudre toutes les objections
tirées du local ; en difant que fi le commerce
particulier ne peut pas employer les moyens
qu’employe aujourd’hui la compagnie , ou il en
trouvera d’autres , ou il aura l’art de s’en paflèr.
Nous ne profiterons pourtant que du premier de
eès avantages qu’on ne faurôit nous conteftcr ; &
en nous difp.enfânt de prouver pôfitivemcnt la pofti-
bilité du commerce libre dans le Bengale Sc à la
côte de Coromandel , nous réfoudrons toutes objections
de détail qu’on y oppofe.
I. La première eft la crainte des inconvénients de
la concurrence des négocians François dans l’Inde.1
ï> Quand on connoît flnde & qu’on y a pafle
f| quelques
» quelques années, on peut aflurer, avec une cer-
» titude prefque phyfique , que fon commerce avec
» l’Europe étant libre à tous les particuliers pendant
y* deux ou trois an s, il arrivera que les effets de
» F rance y feront vendus à plus bas prix qu en
» France même, & que ceux ae l’Inde monteront à
» plus de 50 à 60 pour cent au-deftûs de ce qu’ils
» valent actuellement.
» Le commerce des Indes feroit, continue-t-on,
» a fa décadence entière , s’il n’avoit été exploité
» jufqu’à préfent par des compagnies exclulives &
» puiffantes , qui ne payant les marchandifes de
» l’Inde qu’à des prix fixes , & ne livrant celles
» d’Eiirope qu’à mefure qu’on les recherche , en
» ont retardé la deftrudion , & peuvent même l’em-
» pêcher de périr. Malgré cette attention , il a fallu
» diminuer les bénéfices fur les envois, & augmen-
» ter le prix des marchandifes de retour.
» L’intérêt particulier de chacun de ces négocians
» arrivés dans l’Inde , fera néceflairement oppofé à
» l’intérêt des autres. Qu’on fe repréfente 15 ou 20
» vaifieaux en concurrence, arrivant dans l’Inde après
» u n long voyage de fix mois , avec une avidité
» extrême de vendre & d’acheter , ils vendront à
» perte & achèteront à l’envi les marchandifes qui
» doivent former leurs cargaifons de retour : gênés
» p a r les mouflons confiantes des Indes , & pou-
» vaut être forcés à un féjour d’un an de plus dans
» l’Inde , s’ils négligent de profiter des vents, il
» n’eft pas douteux qu’ils n’emploient toutes fortes
» de moyens pour vaincre les obftacles qui peu-
» vent retarder leurs opérations , qu’ils ne fe reiâ-
» chent par conféquenc fur la vente des effets d’im-
» portation ; en les cédant à plus bas p rix , & qu’ils
» ne payent plus cher ceux d’exportation ».
i°. Je remarquerai d’abord que cette difficulté
alléguée contre la poftîbilité du commerce particulier
de l’Inde , a été oppofée à une infinité de
genres de commerce dont l’expérience a démontré
la poftîbilité.
C’eft fur ce même pretexte que l’on s’eft fondé
dans tousles te ms pour former des compagnies exclu-
fives, & notamment pour la traite des nègres à la
côte d’afrique, & pour le commerce à l’amérique.
On oppofoit, alors comme aujourd’h u i, à la liberté
du commerce, les rifques que courroient les négocians
loupe» Saint-Domingue , font devenues des colonies
, la témérité avec laquelle ils feroient des entre-
p ri fes, les inconvéniens ae leur concurence dans l’achat
des noirs en afrique , & dans leur vente en
amérique , &c. Ces raifons Sc d’autres de pareille
force ont été avancées &foutenues avec chaleur.
Cependant on a vu depuis que cette concurence ,
bien loin d’être deftruélive du commerce, en étoit
le foutien ,'Sc pouvoit feule lui donner toute l’étendue
dont il étoit fufceptible. Le commerce a été rendu
libre au-moins en partie , .& aux négocians nationaux’.
Les établifletnens françois en amérique étoient
demeurés jufques-là dans la fciblefie la plus grande ,.
la liberté les a ranimés. La Martinique, la Guade-
Commerce. Tome I . P a r t. I I •
riches & puiffantes. L’expérience a juftifiéies
efpérançes. Ayons encore la même confiance en la
liberté , qui n’a jamais trompé les adminiftrateurs
qui ont compté fur elle.
2°. Si la crainte des funeftes effets de la concurrence
avoit quelque fondement, elle agiroic aftez
puiffamment fur l’efprit des négocians du royaume,
pour les détourner , du commerce de l’Inde ; Car il
eft impoflîble de foutenir férieufement , que des
habitans de nos villes maritimes , qui entendent
afliirément le commerce aufli bien qne des citoyens
de Paris , joueront ainfi leur fortune & celle de
leurs commet tans , fans des efpérançes raifonnables
de réuffir. Cependant tous les ports du royanmc
attendent avec impatience qo’on leur ouvre le commerce
de l’Inde. Or , n’eft-ii pas abfurde d’imaginer
I que des hommes accoutumés aux fpéeulatioris de
commerce , qui ont le plus grand intérêt à n’en
pas foire de foufies , fe tromperont aufli groflîère-
ment. Ceux qui prétendent que le commerce de
l’Inde n’eft pas poflible fans compagnie, Sc qui
difent que . cette impoftibilité eft fi claire , croyent-
ils en avoir, feuls le fecret ? Les raifons qu’ils apportent
ne font-elles pas connues de ces commer-
çans , qui doivent fe ruiner dans le commerce de
PInde; & fi ceux-ci n’en font pas toùehés malgré
le grand intérêt qu’ils ont à ne pas fe tromper dans
l’examen qu’ils en font, n’eft-ce pas que ces raifons
font mauvaifes ? Leur obftination à vouloir fe ruiner '
n’eft-elle pas une preuve qu’ils ne fe ruineront pas *
L’autorité des négocians qui demandent la liberté
du commerce de l’Inde , me paroît même devoir
être aux yeux du gouvernement d’un tout autre
poids que celle des défenfeurs du privilège exclufif;
car enfin, jufqu’à préfent, le plus grand nombre
de ceux-ci eft de gens intérefles au. privilège.
Ce font ou des actionnaires , ou des adminiftrateurs
de la compagnie, ou fes agens, fes correlpondans,
J fes employés. Suppofons même^qu’il y a encore
un grand nombre de perfonnes abfolument neutres
dans cette affaire , & qui opinent contre la liberté ;
1 je dis que, s’il eft queftion de décider d’après l’autorité
, celle des négoc-ians qui la demandent, eft
plus forte que celle de tous ceux qui s’y oppofent.
Les. perfonnes intéreffées à la confervation de la
compagnie peuvent fe biffer tromper p a rle défit
de foutenir leur- privilège , qu’ils regardent comme
une propriété & comme une propriété utile. Celles
qui font neutres peuvent fe laiffer effrayer par des
difficultés de détail , auxquelles il eft long & difficile
de répondre ; mais elles n’ont rien à perdre
en fe trompant , & peuvent faire cet examen avec
négligence. Il n’y a que les négocians demandant
la liberté, qui non-feulement n’ont aucun intérêt à
en foutenir la poftîbilité , mais qui au contraire
ont l’intérêt le plus grand à ne pas fe tromper, en
1 croyant le commerce poflible, fuppole qu’il ne le
foit pas.
On allégué le cara&ère de la nation. O n dit que
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