
quelque augmentation de richeiïes-, peut-on l’attribuer
à autre chofe qu'à Ton augmentation d'art &
d’induftrie ? Nous apprenons par l’abbé du B os ,
qu’avant la réunion, on~appréhendoit communément
en Angleterre que Tes tréfors ne paflaflent en
Ecofle , fîtôt qu’un commerce ouvert y feroit permis
j les Ecoflois eux-mêmes craignoienc exactement
tout le contraire : le temps a fait voir fi de part &
id’autre on avoit raifon.
Ce qui arrive en de petites^portions du genre
immàin , doit avoir lieu en de plus grandes. Les
provinces de l’Empire Romain gardoient fans doute
leur balance entr’elles & avec l’Italie , indépendamment
des attentions du gouvernement auffi-bien
que les différentes provinces de l’Angleterre, où
les différentes paroiffes de chaque province. Tout,
homme aujourd’hui qui voyage en Europe, peut
voir par le prix des denrées , que l’argent en dépit
de l’abfurde jaloufie des princes & des états ,
s’eft mis de lui-même à peu-près de niveau , & que
la différence entre un royaume & un autre . n’eft
pas plus grande , à cet égard, qu’elle l’eft fouvent
entre les différences provinces du même royaume. ;
Les hommes fe rafîémblent naturellement dans les
capitales , dans les ports de mer , ou fur les rivières
navigables. Là nous trouvons plus d’hommes, plus
d’induftrie , plus de travail, & par conféquent plus
d’argent ; mais la dernière différence eft encore en
proportion avec la première, & le niveau eft toujours
confervé.
Notre jaloufie & notre haine , à l’égard de la
France , font fans bornes , & il faut avouer que le
premier fentiment eft très-raifonnabîfe & très-bien
fondé. Cès paflions ont occafionné des barrières innombrables
, & les plus fortes obftruCttons au com- !
merce , où nous fommes accufés d’être ordinaire- 1
ment les aggrefleurs : mais qu’avons-nous gagné à
ce marché ? Nous avons perdu le commerce dé
nos manufacturés de laine que nous avions avec
la France , & nous avons transféré celui du vin à
l’Efpagne & au Portugal , où nous achetons à plus
haut prix une beaucoup plus mauvaife liqueur. Il
y a peu d’Anglois qui ne cruflenr leur pays abfo-
lument ruiné , fi l’on vendoit en Angleterre les
vins de France à fi bon marché & en telle abondance
, qu’ils puflent, s’il eft permis de parler ainfi,
fupplanter toute l’aile & les autres liqueurs qui fe
braflent chez nous.
Mais en n’écoutant pas le préjugé , il ne feroit
peut-être pas difficile de prouver que rien ne pour-
ïoit être plus innocent, peut-être plus avantageux.
iÇhaque nouvel acre de vigne planté en France ,
pour fournir des vins à l’Angleterre , obligeroit
les François, pour fubfifter eux-mêmes , de recevoir
le produit d’un acre Anglois femé en blé ou
en orge , & il eft évident que nous gagnerions par-
là l’avantage de la meilleure denrée.
Il y a plufieurs édits du roi de France qui défendent
de planter de nouvelles vignes, & qui ordonnent
que toutes celles qui ont été nouvellement
' plantées feront arrachées , tant on eft’ convaincu en
ce pays de la valeur fupérieure du blé fur toute autre
production.
Le maréchal de Vauban fe plaint fouvent, &
avec raifon , des droits abfurdes dont on charge
l’entrée des vins de Languedoc, de Guyenne , &
des autres provinces méridionales , qui s'envoient
en Bretagne & en Normandie. Il ne doute pas que
ces dernières provinces ne puffent conferver leur
balance , malgré le commerce ouvert qii’il pro-
pofe. Il eft évident que quelques lieues de plus de
navigation en, Angleterre ne feroient aucune différence
, ou s’il en arrivoit quelqu’une , que fon effer
fe porteroit également fur les commôdités des deux
royaumes.
Il y a , à la vérité , un moyen par lequel on
peut faire bailler , & un autre par lequel on peut
faire haufter l’argent au-deflus de fon niveau naturel
en quelque royaume que ce foit ; mais Ges cas,
lorfqu’ils feront bien examinés , rentreront dans
notre théorie générale & lui donneront encore une
nouvelle autorité.
Je ne connois point de méthode plus fil te , pour
faire tomber l’argent au-deftous de fon niveau, que
ces établiftèmens de banques , de fonds & de papiers
de crédit, dont nous fommes fi infatués en
ce royaume. Ces banques rendent le papier équivalent
à F argent, le font circuler dans tout l’état,
lui font tenir lieu d’or & d’argent , hauflent en
proportion le prix du travail & des commodités,
& par ce moyen , ou font fortir une grande partie
de ces précieux métaux , ou les empêchent de s’accroître
davantage. Que nos raifonnemens fur ce
fujet montrent combien nous avons la vue courte !
Nous nous imaginons que parce qu’un individu
feroit beaucoup plus riche, -fi fon fonds d’argent
étoit doublé , que le même effet avantageux arrr-
veroit fi l'argent de chaque particulier augmentoit,
ne confidérant pas que le prix de toute choie
haufïeroit d’autant, & réduiroit par-là chacun avec
le temps à la même condition qu’auparavant. C’eft
feulement dans nos négociations publiques -, & dans
nos engagemens avec les étrangers , qu’un plus
grand fonds d’argent eft avantageux; & comme là nos
papiers ne font abfolument d’aucune valeur, nous
fentons par ces moyens tous les mauvais effets que
produit une grande abondance d’argent, fans recueillir
aucun des avantages.
Suppofons qu’il y a douze millions de papier
ui circulent dans le royaume comme de l’argent,
car nous ne devons pas imaginer que tous nos
fonds énormes font employés dans cette forme ) &
fuppofons que l’argent réel du royaume monte à
dix-huit millions. Voici un état q u i, comme l’expérience
le démontre , peut foutenir un fonds de
trente millions. Je dis que s’il eft en état de le
foutenir, il l’eut acquis néceffairement en or & en
argent, fî nous n’euflions empêché l’entrée de ces
métaux par cette nouvelle invention de papiers.
D’où auroit-il tiré cette fomme ? De tous les royaumes
du monde. Mais pourquoi? Parce que fi vous ôtez
ces douze millions , l’argent eft dans 1 état au-deffous
de fon niveau compare avec nos voifins , & il faut
qu’aufiitôt nous tirions d’eux tous.;, jufqu a ce que
nous foyons pleins , & que , pour ainfi dire, nous
n’en puiflions plus tenir. Par notre fage politique,
nous fommes fi foigneux de farcir la nation de
cette belle denrée .de billets de banque & autres
papiers, qu’il femble. que nous avions peur d’être
furchargés d’or & d’argent.
Il n’eft pas à douter que la grande abondance
de matière en France , eft en grande partie due
au manque de papier de crédit. Les François n’ont
point dé banque. Les billets des négocians ne circulent
pas parmi eux comme parmi nous. L’ufure,
ou ie prêt fur intérêt n’eft point direélement permis
chez eux. Ainfi plufieurs citoyens ont des fommes
confidérables'dans leurs coffres. Il y a beaucoup
d’argenterie dans les maifons particulières, & toutes
les eglifes en font pleines. Par ce moyen les denrées
& le travail font encore à beaucoup meilleur
marché parmi eux , que chez des nations qui ne
font pas la moitié fi riches en or & en argent.
L’avantas:e de cette fituation en fait de commerce,
aufli-bien que dans le cas des nécefiités publiques,
eft trop évident pour être difputé.
Le même ufage , qui a lieu en Angleterre &
en Hollande, de fe fervir de porcelaine au lieu
de vaiflelle d’argent, prévalut il y a quelques années
à Gènes ; mais le fénat , qui en prévit fagement
les conféquences , défendit qu’on fe fervît de cette
brillante commodité au-delà d’une certaine proportion
, tandis qu’il laifîa l’ufage de la vaiffelle
d’argent illimité. Je fuppofe que la république ,
dans les dernières extrémités où elle a été réduite
.depuis p e u , a reflenti les bons effets de cette fage
ordonnance.
Avant l’introduéfion des papiers de crédit dans
nos colonies, elles, avoient allez d’or & d’argent
pour leur circulation : depuis fintroduction de cet
effet , le moindre, des inconvéniens qui en foient
réfultés , eft le banniflement total de ces précieux
métaux. Or après l’abolition du papier , peut-on
douter que l’argent n’y retourne , tandis que ces
colonies poflederont les manufactures & les commodités
, les feules chofes eftimables dans le commerce
, & pour lefquelles feules tous les hommes
défirent de l’argent ?
Quel dommage que Lycurgue n’ait pas penfé
au papier de crédit, lorfqu’il vouloir bannir l’or
& l’argent de Sparte ! Il eut mieux répondu à fes
fins que les morceaux de fer qu’il mit en ufage
pour monnoie , & auroir auffl prévenu plus efficacement
tout commerce avec les étrangers, comme
étant intrinféquement d’une valeur moins
réelle.
Mais comme nos projets favoris de papier de
crédit, font pernicieux , étant prefque le leul expédient
par lequel nous pouvons faire tomber l’argent
au-deflous de fon niveau ; à mon avis auffi, le feul
moyen par lequel nous pouvons le porter au-deflus
de ce même niveau , eft une pratique contre la-
quelle tout le monde s’écrieroit comme deftru&ive ;
.c’eft-à-dire , d’amafler des fommes confidéuables dans
le tréfor public , de les y enfermer , & d’en prévenir
abfolument la circulation. Le fluide ne communiquant
pas avec l’élément voifin , p eu t, par un
pareil artifice, être élevé à la hauteur qu’on veuf
lui donner.
Pour prouver ceci, nous n’avons qu’à fuppofet
de nouveau i ’anéantifiement d e là moitié , ou de
quelque partie de notre argent : nous trouverons
que la conféquence immédiate d’un pareil événement,
feroit qu’il attireroit une fomme égale de tous
les royaumes voifins; & il ne paroît pas, par la‘
nature des chofes, qu’il y ait des bornes néceflaires
à mettre à cette pratique d’entafler l’efpèce. Une
petite ville, comme Genève, en continuant cette
politique pendant quelques fiécles, pourroit fe ren-
j dre maîtreftè des neuf dixiémes d’argent de l’Europe.
Il femble à la vérité, que dans la nature de l’homme,
on trouve un obftacle invincible à cet immenfe
accroifièment de richefîes. Un état foible, avec un.
tréfor fi confidérable , deviendroic bientôt la proie
de quelqu’un de fes voifins plus pauvre, mais plus
puiflànt. Un grand état diffiperoit fes richeflès en
projets dangereux & mal concertés, & probablement
détruiroit en même - temps ce qui eft plus précieux
que l’argent, l’induftrie, les moeurs & le nombre de
fes fujets. Le fluide en ce cas , élevé à une trop
grande hauteur, force & brife le vafe qui le contient,
& fe mêlant avec l’élément qui l'environne, reprend
bientôt fon niveau naturel.
Ce principe nous eft fî peu familier , que quoique?
tous les hiftoriens s’accordent à rapporter uniformément
un événement aufli récent que l’immenfe tréfor
amafle par Henri VII. ( qu'ils font monter à un
million fept cens mille livres fterlings ) ; nous rejet-
tons plutôt le concours de leurs témoignages, que
d’admettre un fait qui cadre fi peu avec des. préjugés
aufli enraciinés que les nôtres.
Il y a grande apparence, à la' vérité , que tout
l’argent qui eft en Angleterre, ne monte guère qu’au
quatrième de cette fomme j mais où eft la difficulté
qu’un prince adroit, avide, frugal, & de plus monarque
prefqu’arbitraire, pût eïi amafîer une pareille ?
Il n’eft pas même probable que le peuple ait du
s’appercevoir d’une manière fenfible, de la diminution
de l’argent circulant, ou qu’elle ait pu lui porter
aucun préjudice. Le prix de toutes les commodités
tombant à proportion, a du remplacer immédiatement
cet argent, en donnant à l’Angleterre l’avantage
dans fon commerce, avec tous les royaumes
voifins.
N’avons-nous pas un exemple dans la petite république
l’Athènes avec les alliés, qui dans l’efpace
d’environ cinquante ans , entre la guerre de Médie.&
celle du Péloponèfe, amafla une fomme plus grande
que celle de Henri VIÏ ? Car tous les hiftoriens &
les orateurs Grecs, conviennent que les Athéniens