
pagnie , & ils en recevront la valeur en lettres de
ch ange payables en Europe; ce genre de commerce
différera peu de celui qui fubfifte aujourd’hui ; &
en cédant à la -fupérioricé actuelle des Anglois dans
l’Inde , nous ferions le commerce dans l ’Inde.
4 On peut donner en preuve de cette facilité
qu’aura le commerce François , lorfqu’il fera devenu
libre , un fait qui a donné lieu a des plaintes très-
graves & très-fondées de la, part de la compagnie
de France. Elle -a été inftruite qu’il étoit arrivé à
la fin de l’année dernière à Lifbonne deux cargai-
fons très-riches de marc'Kandifes de Bengale & de
la côte de Coromandel ; elle a été allurée que ces
çargaifons avaient été chargées fur deux vaiiïèaux
Portugais, pour le compte des propres employés
de la compagnie Françôife, & que probablement
elles proyenoient en partie des achats qu’ils avoient
faits des Ànglois. Ce que les employés ont fait en
fraude du privilège de la compagnie ; il eft vrai-
femblable qu’ils le feront bien plus aifément lorf-
qu’ils pourront adreffer ces mêmes marchandifes à
des correfpondans Français , & que ces envois feront
par confisquent beaucoup plus confîdérables.
Difons encore qu’on fait que' l’année dernière, il
eft arrivé à l’Orient pour plus de deux millions de
marchandifes de l’Inde en pacotilles par les vaiffeaiix
de la compagnie, ôTquil étoit encore refté à Fille
de France le chargement^ d’un vaifieau en marchan-
difes de l’In d e, qui n’avoit pu trouver place fur
les vaiffeaux de la compagnie.
A la vérité, cette manière de conduire le commerce,
pourra donner de moindres bénéfices, ceferoit
même une dépendance honteufe de la nation • mais
au moins, jufqu’à ce qu’on eût pris les mefiires né-
ceflaires pour nous en affranchir, le commerce particulier
fe foutiendroit.
Certainement la compagnie ne peut pas oppofer
au commerce particulier un état de foiblefle & de
dépendance ou elle fe trouve elle-même, & où elle
n’a pas pu fe défendre de tomber. Il ne pouvoit
rien arriver de pis â des commerçans libres & fans
appui, que ce qui arrive aujourd’hui à la compagnie
» Cet appareil, ce privilège exclufif, toute la
forme donnée chez nous jufqu’à préfent au commerce
de l’Inde, n’ont pas empêché que tous les
établiffemens de la compagnie n’aient été ruinés par
les Anglois, qu’ils n’y foient devenus les maîtres de
fon commerce, & ne lui dictent aujourd’hui les
loix les plus dures. C’eft des Anglois qu’elle acheté
une grande partie dé fes çargaifons. C’eft un fait
connu. Les effets de'la vente prochaine lui ont été
vendus par les Anglois ; nos marchands n’ayant
prefque plus la liberté d’acheter directement des tif-
ïerahds, ni daùs les harams, & étant obligés d’acheter
de la fécondé main. Que rifquons-nous donc
à rendre la liberté ?
Mais pourquoi ferions-nous réduits à ces petits,
expédients. En ouvrant au commerce libre la route
de l’Inde, le gouvernement ce le laiffera pas o p - ,
primer par les Anglois,
Les négociants particuliers, pour n’être pas réuH
nis en compagnie , en feront-ils moins François &
moins citoyens , en auront-ils moins de droit à la
protection du roi, & cette protection ne fera-t-elle
pas aufli efficace pour les mettre à l’abri des violences
d elà compagnie Angloife, fi elle en exerçait
?
La compagnie Angloife elle-même, n’eft-elle pas
foumile au gouvernement de la grande Bretagne ,
n’obièrvera-t-elle pas les traités » Car enfin, de deux
choies l’une , ou elle laiffera à notre commerce
particulier toute' la liberté qu’il a droit de réclamer
3 d’après les conventions réciproques des deux
nations en Europe ; o u , fi contre les ordres du mi—
niftère Anglois, elle commet des hoftilités envers
nos négocians, ce ne fera plus une guerre de compagnie
à compagnie ; mais de la compagnie Angloife
avec la nation Françoife. Or , nous ne croyons
pas que la compagnie Angloife puilfe jamais prendre
un parti fi déraifonnable, & j’ajoute, fi contraire
a fès véritables intérêts. Elle ne peut donc fe
difpénfer de fe conformer , & elle fe conformera
affurément, aux conventions réciproques des deux
nations. Elle ne pourra donc pas employer la force
contre l’établiffement du commerce François particulier..
A la vérité, elle pourra fe fervir de tous- les
moyens que lui donneront fa conftitution , la grandeur
de fes capitaux , fes établiflements / &c. & il
n’y a rien de plus jufte. Ce fera la lutte de la plus
puiffante des compagnies, contre le plus difficile
de tous les commerces particuliers. On verra là la
force ou la foiblefle du privilège ou de la liberté ;
& j’avoue que je ne crains pas pour la liberté.
En un mot' , en pleine paix, & tant que les An-
I glois garderont la foi des traités , les particuliers
! feront tout ce que'fait la compagnie : en état de
guerre, lés particuliers eux-mêmes, ou comferve-
; ront leur commerce au milieu de la guerre , ou le
| défendront avec autant & plus de fuccès que la
i compagnie- : enfin, l’état défendra le commerce particulier,
comme il défendroit celui de la compagnie.
p -
Je l’avouerai : cette obje&ion tirée de la puif-
fànce des Anglois, me paroît diètee par une piifil-
lanimité honteufe. N’eft-il pas bien étrange qu’on
imagine qu’une nation puiffante comme la France,
ne pourra pas faire joùir fes citoyens du droit des
gens , & de la foi des traités.
Dira-t-on que le gouvernement n’aura pas les
mêmes motifs pour protéger le commerce particulier
; c’eft tout le contraire : il ne fera plus queftion
de défendre des privilèges, une fociété particulière.
Ce fera vraiment toute la nation, dont chaque membre
a droit à la protection du gouvernement, & un
droit plus facré que celui d’une compagnie privilégiée.
Si l’on connoifîoit mieux les principes, on
regarderoit une compagnie; à raifon même de fou
privilège exclufif,, comme ayant abandonné tout
çlroit à la protection publique, & comme chargée,
chi foin de fe défendre elle-même. C’eft une petite
fociété qui eft prefque en état de guerre avec tous
les individus qui forment la grande', ou du moins
qui s’en eft ifolée; qui veut avoir fes. affaires, fon
profit, fon bien être- à part des autres membres de
l’état. C’èft donc à elle à trouver en elle-même tous
les moyens de fe foutenir. Au contraire le négociant
particulier, n’a point relâché les chaînes qui le
lient a la fociété pour s’en impofer de nouvelles :
il tient immédiatement à l’état, qui lui doit toute
fa protection au titre le plus rigoureux, & je 11e
crains pas de dire qu’il eft plus jufte de faire une
guerre de dix ans pour venger la violation du droit
des gens,, faite en la perfonne d’un feul négociant
particulier, que de dépenfer cent mille'francs pour,
protéger une compagnie de commerce à privilège
exclufif, fon fonds fût-il formé de cent mille actions.
Je ne puis quitter cet article fans me prévaloir
encore ici d’un aveu qu’on fait à l’occafion du commerce
de Chine dans les mémoires qui m’ont été
communiqués ; aveu décifîf en faveur du commerce
de l’Inde. On dit « que cette permiflion accordée
» aux particuliers pour le commerce de la Chine ,
» permiflion déjà refufée autant de fois qu’elle a été
» .demandée , donnera une mortelle atteinte au pri-
» vilége exclufif du commerce de la compagnie
» .dans les mers des Indes 3 parce que tous les vaif- -
» féaux qui auront la liberté de palier le Cap de
». Bonne-Efpérance, fauront bientôt éluder la dé-
» fenfe d’aller aux Indes ; que leur intérêt fera plus
» fort que le rifque , que les prétextes ne leur man-
» queront jamais pour autorifer des relâches, & que
» les moyens de fe procurer des pacotilles ne leur
» échapperont pas ».
Si la feule permiflion de pafler le Cap, accordée
a des négocians qui auroient la liberté d’aller en
Chine, feroit une atteinte mortelle au privilège
exclufif de la compagnie dans l’Inde , parce que ces
négocians auroient un intérêt d’aller dans l’Inde plus
grand que les rifques qu’ils efîuyeroient ; fi les
moyens de faire des pacotilles dans l’Inde ne manqueront
pas à ces négocians ; donc le commerce
•. de l’Inde n’eft pas impoflible, comme on le prétend
; & j’oferois ajouter que félon l’auteur lui-
même , il faut qu’il foie facile , puifqu’il a fi grande
peur de le voir s’établir auflî-tôt qu’on rendra la
liberté à celui de Chine,
Telles font les raifons fur lefquelles nous croyons'
pouvoir établir la poflibilité du commerce de FInde ;
ïçms privilège exclufif & par les feules reflources
de la liberté. Nous n’avons négligé aucune des objections
, quoique plufieurs nous aient paru ne pas
mériter de réponfes bien férieufes ; tandis que d’un
autre côte , nous pouvons dire avec vérité, que nous
n’avons pas recueilli à beaucoup près toutes les,
preuves que nous pouvions donner de notre fendaient.
Cette omiffion n’eft pas tout-à-fait volontaire ,
pJJp eft la fuite néceflaire de la nature de la caufe
que je défends. Car pour prouver que le commerce
s établira dans FInde , par. tous les argumens qu’on,
pourroit employer, il faudroit indiquer en détail
tous les moyens qu’il prendra, & c’eft une chofe
impoflible.
L ’induftrie humaine libre , a tant d’aétivité., tant
de fouplefle, d'intelligence, de fagacité, de conf-.
tance, qu’on n’a jamais le droit de prononcer qu’elle
ne trouvera pas les moyens de renverfer ou de fur-
monter toute efpèce d’obftacles, même quand on ne
connoît aucun de ces moyens ; à plus forte raifon
quand on en entrevoit quelques-uns, faut-il fe défendre
de croire qu’elle n’en trouvera aucun autre.
Cette réflexion, bien que générale ne doit pas paroî-
tre vague , & quant à moi j’avoue que c’eft une de
celles qui me font augurer le plus favorablement
de la liberté, & que j’en tire une certitude prefque
géométrique'de la poflibilité de l’établiflèment du
commerce particulier dans l’Inde, malgré tous- les
faits allégués au contraire ; & tous les cris qui effrayent
encore plus que les faits.
J ’ai promis de prouver non feulement la poflibilité
du commerce particulier de l’Inde, mais les
avantages qu’apporteroit à l’état la fuppreflion du
privilège exclufif.
J’aurois beaucoup à dire, fi je voulois faire au
commerce de l’Inde l’application de tous les ar<ni- ’
mens généraux, employés par les meilleurs efprit,s
en faveur de la liberté du commerce; l’étendue
qu’elle procure au commerce; les moyens & les
motifs qu’elle fournit pour faceroiflement du commerce
, fie la population & de la riehefle ; l’activité
quelle donne à l’agriculture , à la navigation ,
à tous les genres d’arts & d’induftrie , & à tous les
principes du bonheur des fociétés; les effets con- '
traires & fuùeftes produits par les privilèges exclu-
fifs ; l’injuftice dont ils font accompagnés, en ce
qu’ils ôtent à un grand nombre de citoyens le droit
naturel & légitime de chacun à' employer fes talens
Zc fes fonds, &c.
Mais ces vérités font connues & établies , les par-
tifans même du privilège de la compagnie"ne les
conteftent pas, tant qu’on veut bien leur permettre
d’en excepter leur établifîement favori. Il nous fem-
ble que ce feroit aufli prendre un foin inutile que
de leur prouver en détail que chacune de ces raiforts
générales eft appliquable au privilège de la
compagnie. Les yeux qui fe ferment à la lumjère
ne verront pas , & quant à ceux qui l’aiment, ils
n’ont pas befoin que nous la leur préfèntions.
Nous nous bornerons donc ici à faire fentir deux
avantages de la fuppreflion du privilège de la compagnie
, qui feront les fuites de la liberté du commerce
de l’Inde en particulier ; Faceroiflement du
commerce d’Inde en Inde, & l’amélioration des
deux Colonies de l’Ifle de France & de Bourbon;
ces deux motifs & fur-tout le dernier, peuvent
feùls faire la plus forte impreffion. • .
Il fe fait dans l’Inde deux fortes de commerce j
Kkkk i.j