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les François , nation turbulente & inconMérée , ne
connoiflènt point de bornes, dès qu'ils n'ont plus de
fodin ; que c’eft leur génie d’outrer tout ; &c.
Alalheureufement pour, ce grand raifonnement,
on le trouve employé par les défenleurs des compagnies
exclûfives , chez des nations , dont le ca-
raftère eft un peu différent du nôtre. Le . flegme
des Hollandois ne les a pas mis à l’abri: dene reproche.
On objecte, difoit Jean de Witt il y a
plus d’un ltècle , en plaidant la icatife de la liberté
du commerce aux Indes Orientales-, » que le ca-
» raftère des Hollandois eft te l, que fi le com-
» merce étoit ouvert en Afie , ils -rempliraient
» tous ces pays de marchandifes au-delà de leur
» confommation , & dètruiroiënt ainfi ce com-
» merce ». Je' ne rapporterai pas les réponfes que
cet habile homme fait à l’objeftion. il nous fuffit
- ici de voir qu’on l’a faite en Hollande , pour voir
combien elle eft futile , & pour fe convaincre que
ce n’êft qu’un-lieu commun qu’on emploie; faute
de raiforts.
3°. On ne' peut craindre les effets de la concurrence
des négocians particuliers dans l’Inde
qu’autant que : cette concurrence ‘rendrait, en fin. dé
compte & à- la vente en Europe , lès marchandifes
achetées dans.l'Inde , plus: chères pour les
vendeurs particuliers, qu’elles n e.le font pour la
compagnie. Or., ceft ce qui n’arrivera pas.
Le prix auquel'on acheté les marchandifes dans
l’Inde ,-leur valeur vénale n’eft pas feulement ce
qu’on en donne en argent dans l’Inde, c’eft tout ce.
qu’on a dépenfé pour parvenir, à exécuter cet
achat. I l eft bien clair que fi un négociant de Sainr-
Malo- va faire à Dantzik un chargement de grain ,
le prix de ce- grain n eft1pas -feulement ce qu’il
paye'à Dantzik en argent pour chaque feptier, cè
font encore tous les frais delanavigaîlon&du commerce,
les gages des matelots , la portion de la
valeur du navire détruite & confommée par le
voyage , la partie correfpondante des. frais de Ma:
maifon dc commctce à Saint-Malo ,i &c. Or de
çes éléments de- valeur vénale, des marchandifes de
l’Inde , 11 y en à un -qui eft. eonftammenr plus con-
fidérable pour une compagnie que.pour des.particuliers;
& c’eft d’article des dépendes diftinguées du
paiement en.-argent j.i don il fuit -, que - quand. ©n
fuppoferoit que les particuliers, à raifpn de leur
nombre feul, paieroiept plus en argent dans l’Inde,
comme ils payeroient moins en autres. dépendes ’
il pourroit encore arriver, que le prix total: des
marchandifes de l’Jnde ■ fut-moindre pour .eux fi
leurs riépenfes font moindres-que celles de-la compagnie.
Or , c’eftucé qui arrivera infeiüiblement.
Car en-ajoutant au prix payé dans l’Inde , tout ce
qu’il fàut.qidune compagnie exclufive dépende pbui
y-exécater Mes achats,-, on trouvera quelle achètera
plus chèrement que-les ^particuliers,
Lorfquon prétend que les compagnies exelu-
fives achètent moins chèrement dans i’inde, parce
que dans l’achat par [compagnies, privilégiées, il y
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a moins1 de concurrence entre les acheteurs qui
font en. moindre nombre. : que dans l'état préf
e t , il n’y a que quatre acheteurs -, les An-
glois, les François , les Hollandois , les Danois ;
que le commerce particulier en établiroit vingt,-
quarante, q u i, renchériffant tous a F envi , porte-
roienc le prix dans l’Inde infiniment plus haut ;
jdorfqu’on fait , dis-je ce raifonnement ,. on fup-
pofe que le prix des marchandifes- d’Europe & celui
des marchandiies de Fin de feront .affeétés très,-
.fortement dans FInde, par la feule caufe.de l’aug*
mentation du nombre des. négocians d’Europe qui,
•s-y rendront. ..
Ceux qui argumentent ainfi , n’ont probablement
pas imaginé que la fuppofition fut conteftable. Elle:
1 eft cependant , & c’eft ici une preuve , entre:
baucoup; d’autres que les parafo.gifmes fe gliffent-
avec la plus grande facilité dans les difcufllons
economiques , fi on n’apporte pas la plus grande
attention à les éviter.
Le premier, le vrai principe.de la valeur, .vénale
d une marchandife , c’eft-à-dire de fonprix au maiv
çké, n’eft point la proportion numérique du nom-
bre des vendeurs &:du nombre des acheteurs en tant
que diftin&e de la quantité plus ou moins grande
de marchandifes offertes ou demandées. Le rapport-
• de la quantité de marchandifes ,en vente , ou qui
peuvent être mifes a la; quantité qu’on en demande
, ou qu’on peut- en demander. eft la véritable caufo
qui déterminé là valeur vénale.
' Suppofons cent, vendeurs ayant chacun pour dix
; mfile francs à. vendre;, & cent acheteurs ayant befoin
chacun d’une valeur de ^dix- mille francs en marcham
difes î fi l’année faivanté; le nombre • des, vendeurs
ayant chacun la même quantité de marchandifes a
vendre, eft augmenté fans que celui des acheteurs
foit diminué, la valeur vénale pourra diminuer, &
réciproquement file nombre des acheteurs augmente,;,
chacun d’eux ayant les mèmès befpins, & formanu
les mêmes demandes , le nombre des .vendeurs .-de?
nieurant le 'même. Mais pour cela , il faut, que
dans l’un ou l’autre cas , icha.que acheteur n’ait be--
'foin que de,1a même quantité de marchandifes, &
que chaque vendeur-n’ait pas plus de marchandifes
à vendre. Çâr fi Ton fuppofe qu’au lieu de cent
acheteurs il n’y- en. à, que cinquante ayant chacun
befoin de vingt mille francs - de marchandifes., la
valeur vénale,demeurera- à peu près la même, quoique
la proportion .du nombre'des: acheteurs à celui
des vendeurs diffère beaucoup dé ce qu’elle étoit
auparavant.
Il faut dire la même chofe, fi'ati lieu de cenc
acheteurs de dix mille francs de marchandifes chaeun>
nous en fuppofons deux cent qui n’ont befoin chacun
que dé cinq mille francs de marchandifes. ; la proportion
numérique des vendeurs aux acheteurs , fera
«encore plus alcérée. Si la valeur vénale haufle, ne
:voit-on pas que ce ne peut être que très-foiblement.
Mais fi , fans changer le rapport du nombre des
acheteurs & des vendeurs, nous fuppofons la de.a
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mande totale des a-cheteurs, augmentée du double ou
diminuée de moitié , fi nous imaginons deux millions
ou cinq cent mille francs d’achats à faire fur la place,
au lieu d’un million, certainement la valeur hàuflêra
fortement dans le premier.cas , & baillera beaucoup
dans le fécond , quand on fuppoferoit; les acheteurs
& les vendeurs en même nombre qu’auparavant.
La valeur vénale de toute marchandife, dépend
donc du rapport de la quantité mife- en vente ,&
de la quantité demandée , infiniment plus que' du
rapport du nombre des vendeurs à celui des
acheteurs.
• La proportion du nombre des vendeurs à celui
des acheteurs., influe cependant un peu fur le prix
au marché, toutes les autres circonftances étant,
égales 5 mais ce n’eft que tuès-foiblement. S’il n’y
a qu’un vendeur , ayant une i valeur d’un million à
vendre, & vingt? acheteurs ayant befoin entr’eux de
ce million de marchandifes, le vendeur pourra gagner
quelque chofe de plus ; que fi au lieu de vingt
acheteurs on n’en fuppofe que.dix, ayant befoin de,
la même valeur en marchandifes„ parce qu’il pourra
plus facilement fans fe- faire valoir", ufer d e ; petites
ftnefles marchandes pour, foutehir le' prix de' fa
denrée m &c.‘ mais cette circonftaneé ne lui fera pas I
d’un ' grand -avantage la :qtrantité. de marchandifes
étant la même , parce que 1 eftimation de cette quan-,
tité fera la même;, & par coufequent l’offre des!
acheteurs & la demande du vendeur, feront à-peu-,
près les mêmes dans l’un 8c dans l’autre cas.
■ ' A examiner'-même cette crrconftance du'.péritj
nombre - d’aéhêteur.s ou de vendeurs, on voit que*
lérfqu’elle contribue à enchérir-;ou avilir la. mai-'
chandiie, 'ce n’eft que parce qu’elle rentre dans!
-celles auxquelles nous attribuons uniquement l’influence
fur les prix , c’eft-à-dire , les circonftances
-de la petite quantité de marchandife offerte ou pré-
fumée offerte. Lorfque le nombre des1 acheteurs eft
petit j iis né tirent avantage de leur petit membre-,
que parce que le vendeur a lieu de penfer que par*
cela même,. il y aune moindre q uantité; de m aadé e ,j
& que forfqu’il y. a beaucoup d'acheteurs, on en,
demande davantage. La preuve de cela eft que fi le|
vendeur fait que le petit nombre demande -beaucoup ,j
& que le grand nombre demande peu , il augmen-j
téra fa marchandife dans le premier cas--y. & la di->
minuera dans le deuxième* J.ei ne poufferai pas plus)
loin cette difeuffion qui m’écarteroit, Crop de mon
fujet. Cè que j’en ai dit- doitffuffire pour faire enten-
dre une propofition qui peut nous raffurer contre la:
crainte des mauvais effets de la concurrence des
négocians dans lln.de., , -;s
Le rapport abfirait du nombre des acheteurs b
de celui des vendeurs i n'influe que très-foiblement
Jiir la valeur vénale• Donc <, de ^augmentation dii
nombre des vendeurs ffes denrées d’Èurope, àch.eq
teurs des marchandifes de l’Inde., augmentation qui
aura lieu , fr le 'commerce eft. rendu lib re, il ne
réfultera pis un aviîi’ffement^dés premières, & un
cnchériffement des dernières àufïi cpnfidérables qu’on
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le prétend. Il faudra afftgner d’autres .caufes de ces
.deux: effets, fi l’onfoutient qu’ils feront la fuite de
la liberté , ou qu’ils pourront être un obftacle invincible
au fbutien du commerce de l’Inde, abandonné
aux particuliers;
Je trouvé.cette crainte des .effets dé la concurrence,’.
: appuyee dans les mémoires cités fur un raifonnemenc
qui n’eft qu’un .parâlogifme. ,Oû prétend que des
Indiens vendront leurs marchandifes , tout.ce-qu-ils?
voudront aux négocians particuliers, -parce que le
commerce de l’Inde eft d’une nature bien diftérente-
de tous les autres, cc Les peuples de l’Inde n’o n t,
»• dit-on, aucun befoin des productions de l’Europe,
» &i peuvent s’èn paffer 'abfolumênt. Nous allons
» chercher -avec .empeeffèment tout oe que fournit
leur belle ' contrée ; il en ' doit réfeiter cet ' effet
» naturel, que ce qu’on leitr demande augmente,
& que: les fignes avec lefquels on les payé ( a
» 1 exception de l’or & de l’argent ) doivent s’avilir,
» ce qui arrive progreffivement depuis quarante ans-ç
» & j ce qui rend infenfiblement le commerce des
» Indes: moins avantageux ». i
; Ge- raifonnement pèche par plus d ’un endroit :
i9. il attaque aufli fortement lê commerce': de la
compagnie que le. commerce particulier. Le befoin
que .les.Européens..ont des marchandifes de l'Inde,,
& le peu. , de befoin que les Indiens ont de-celles
que nous leur portons, doivent enchérir celles-là*,.
& avilir celles-ci pour des privilégiés, aufli-bien
que pour le commerce libre. -
i» .T o u t commerce eft fondé fur un befoin réciproque
& .égal-.. Les Indiens ont autant, de befoin de
noçre, argent. & de notre or -, que nous avons"befoin
de leurs toiles. Car, ils ne fabriqueroient pas dre
toiles pour cte l’argent s ’ils navoientpas befoin de
nptre argent.
3°* 'ff’eft une grande erreur que de prétendre que
les chofes, que-n eus leur portons S’àvilflTent, à l'exception
de J'or de l'argent ; car ;c’eft füppofer
que 1 or & l’tèrgent éprouvent moinslés variations
dé' valeur vénale que les autres marchandifes.; mais
1 or & l’argent font eux-mêmes màrchandifes, exaéle-
ment & uniquement de la même manière que toutes
les autres: chofes vénales contre lefquêlées: on; les
échangé.. Ces ^métaux en'chériflént quand ils s’échangent
en moindre quantité(xontre les mêmes quantités
des autres .ç ils s’aviliflènr quand les autres mar-
■ chandifesine font données dans d’échange que pour
une plus grande quantité d’orv& d’argent. Si donc
les chofes que nous portons aux Indes s’y avilifîent
tous les jours:, l’or & l’argent ne font pas exempts
de,.ce, malheur.
4°* LJne autre faute encore , eft d’appeller signes
les çkofos. avec lefquèlles On.paie;l’or & l’argent ç car
on ne paie point avec ün signe , & l ’or & Fargent
rie. font pas- plus; signes qüè le vin & le bi'eff. j e
relève ces erreurs pour infpirer- quelque défiance
de la lpgiquefies ennemis de la liberté du commerce
de Flnde.-Car comme il faut autant de fagacité &
dç fuite dans l’efprit pour bien voir un fait même
J .i i i i;