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par dés confifcatîons , de détruire par desl
iupplices les mortels audacieux qui bravent
les commandemens de la police mercantile.
Troifiéme préjugé. Dans l’indifpenfable
nécelïïté d’entretenir & d’améliorer fans
ceffe les grandes avances de la fouveraineté
qui font les premières fources de la prof-
périté générale ; les dépenfes continuelles
de l’inftruction., de la protedion , de l’ad-
miniftration publiques ; il faut un patrimoine
à l’autorité tutelaire & bienfaifante. D’où il
réfulte , comme on dit ordinairement, que
les propriétés particulières font obligées de
contribuer à la perfeétion des grandes propriétés
communes.
Mais la plus raifomjable, la plus utile des
régies en cette matière eft fans doute, fuivant
l’accord univerfel, d’éviter les frais , les faux
frais, les bénéfices intermédiaires , les pertes
& les non-Vâleurs, qui font payer aux fujets
des fommes prodigieufes dont il n’entre pas
une obole dans le tréfor public.-
A mefure que vous multipliez ces charges
fur-ajoutées „vous appauvriffèz d’autant
le citoyen , non-feulement fans que vous
enrichifiïez la fouveraineté qui n’en profite
point, mais encore en l’appativriflant elle-
même , car les taxes impofées au Commerce
affedent les dépenfes de l’état, comme celles
des particuliers, & le prince qui les paye
direâement fur fes confommations, eft encore
obligé de les rembourfer à cette foule
immenfe d’agens de toute efpèce , qu’il entretient
par des falaires. ’
Le produit net au tréfor public provenant
des perceptions fifcales far le commerce,
eft donc en grande partie totalement
illufoire pour le fouverain , puifqu’il eft
obligé de furpayer d’une main en accroiflè-
ment de marchandiles une forte portion de
ce qu’il a reçii.
Mais ce produit net , prefque fiéb’f &
chimérique , eft lui-même énormément inférieur
aux débourfés & aux pertes de la nation
entière. Il eft évident qu’elle paye en
outre , i ° les bénéfices intermédiaires des
fermiers ou régiffeurs ; 2 ° les falaires , appointements
& gratifications, même, les fraudes
& pillages fecrets de leurs agens fubal -
ternes ; 3 9 les dépenfes inévitables des
O U R S
barrières , des bureaux , des efpionnages & f
des écritures ; 4.0 les frais des procédures,
failles , amendes , confifcatîons, emprifon-
nemens & fupplices ; y° les bénéfices mêmes
de la contrebande , car le fraudeur fait
toujours payer au-delà du prix naturel,
pour s’indemnifer de fes dangers & de fes
pertes.
De ces caufes réunies , toutes réelles &
néceffaires ,. il ne peut manquer de réfulter
cette difparité prodigieufe entre le total des
paiemens' faits par la totalité des citoyens
& les verfemens opérés au tréfor public.
Mais ce n’eft pas tout encore, outre ce
que la nation paye ou débourfe en deniers
effedifs , il faut compter ce qu’elle perd,
& ce font encore des articles de la plus
grande importance. Pertes de temps , pertes
de marchandiles & denrées ; pertes d’induf-
trie & de talents ; fur-tout pertes, d’hommes
utiles transformés par les loix prohibitives
d’une part en contrebandiers qu’on
extermine & de l’autre en agens de la follici-
tude réglementaire qui les pourfuivent.
Des calculateurs ont alluré que les fujets
étoient obligés de payer & de perdre fous
cette forme dix fois plus que ne reçoivent
effèdivement les fouverains. Les apologiftes
des fyftêmes modernes, défiés de répondre,
n’ont pas ofé les contredire comme ils
l’avoient annoncé , par l’expolîtion fimp!e&
naïve des faits dont ils ont néanmoins la con-
noilîànce exade & journalière.
On ne commet point ailleurs fans répugnance
des erreurs de cette efpèce. Quel
particulier honnête. & fenfible , quel propriétaire
fage & bienfaifant trouveroit bon
en tout autre cas , que leur débiteur pour
s’acquiter d’une piftole , fût obligé d’en
facrifier dix?-
Quatrième préjugé. L’expérience eft fans
doute le meilleur de tous les maîtres, & c'eft
par les effets qu’il faut juger du mérite des
caufes. Voyez donc fi depuis cette époque
fi vantée du fameux ade de navigation chez
les Anglois & de lafcience politique du commerce
en France par Colbert , qui donnèrent
l’extenfion la plus complette à ce
fyftême réglementaire & qui foutinrqnt leurs
prétendus avantages par tant de guerres«
P R É L I M
purement mercantiles dans leur principe ,
les fouverains & les états jouilfent dune
plus grande richelTe , d’une plus douce
profpérité, fi les uns ont moins de dettes
& les autres moins d impôts a payer. ^
Voyez fi dans ce moment nos voifins,
qui fe'firent fi long-temps un devoir &_ une
gloire de porter le fyftême réglementaire à
fa plus fublime perfedion, ne font pas forcés
de l’abandonner pour éviter le péril pref-
fant d’une ruine infaillible, eux qu’on avoit
fi fouvent propofés pour modèles.
N’eft-ce pas affez d’une expérience de plus
d’un fiècle pour faire foupçonner enfin que
cette dodrine,qui promet à toutes les nations
de les'enrichir feules, par l’appauvriffement
de toutes les autres ; en femant partout
l’injuftice oppreffive, ne recueille que
l’envie, la haine & les défaftres? Elle eft
certainement plus douce & plus efficace, la
doârine, antique fimple & naturelle de nos
premiers ayeux , qui croyoient que la vraie
profpérité du Commerce confiftoit pour les
états, pour les provinces, pour les familles,
premièrement à ce que chacun s’enrichît
foi-même par la perfedion de fon gouvernement,
de fes avrnces foncières, de fon
agriculture , de fes manufadures , de fon
négoce & des( autres arts ; fecondement que
tous fuffent d’accord pour fe communiquer
la furabondance de leurs biens , par des
échanges réciproques avec pleine fïanchife,
liberté parfaite , immunité générale.
Aces quatre préjugés faut-il ajouter des
raifons plus diredes? eh bien ! nous allons
difcuter les idées foi-difant profondes , qui
fervent de bafe au fyftême que nous combattons
, peut-être réuffirons-nous à démaf-
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nous qui n’avons ceflé de l’annoncer comme
quer les équivoques dont il eft compofé,
les erreurs qui réfultent de fes premiers
fophifmes.
Nous ofons croire qu’il nous eft permis
d’entrer dans cet examen jj fans qu’on puiffe
nous accufer comme on faifoit autrefois
d’être les ennemis du Commerce, des arts
qui l’alimentent & de ceux qu’il fait naître,
nous avons fait fi fouvent notre profeffion
de foi fur leur utilité, que le public attentif
nous a vengés de ce reproche.
Nous ferions les ennemis du Commerce,
le lien & la vie des états policés , nous
qui réclamons depuis vingt ans pour lu i,
toute liberté, toute immunité, toute facilité !
Ses amis feroient donc ceux qui veulent
qu’on le charge d’exclufions, de prohibitions
, de perceptions, qu’on l’arrête à chacun
de fes pas', en leur oppofant des barrières
& des armées, en le menaçant d’efi-
pionages, de procédures, de prifons & de
iupplices?
A Dieu ne plaife que nous nous hafardions
à récriminer , en imputant par repréfailles
aux partifans du Colbertifme , cette inimitié
dont ils voulurent jadis nous faire encourir
le blâme peu mérité. C’eft à regret fans
doute qu’ils fe croyent obligés de foutenir
ces efpèces d’hoftilités rendues néceffaires
parles réfultats d'unedodrine , qui s’annon-
çoit avec appareil comme la fource de la
:richeffe & de la force pour les empires.
C’eft dans foute notre Europe & dans le
cours entier du dernier fiècle que les agens
de l’adminiftration fe font vus forcés de la
pratiquer fans pouvoir l’approfondir , tandis
que les beaux efprits foi-difant philofophes ,
l’exaltoient à qui mieux mieux, fans fe douter
qu’elle étoit parfaitement contradidoire à
toutes leurs autres opinions, malgré l’évidence
de cette oppofition.
La première des équivoques , la plus
féconde-en erreurs, confifte à reftreindre les
intérêts du Commerce aux prétentions fouvent
injuftes & déraifonnables d’une feule
claffe de fes agens & même de fes agens
accidentels, à l’exclufion des vrais & légitimes
droits de fes premiers co-opérateurs
néceffaires & indifpenfables, en faifant une
confufion tacite du fimple négoce ou trafic
mercantil avec le vrai commerce dont il
n’eft qu’un acceffoire.
Il ne faut que peu de mots pour fentir la
jufteffe & l’utilité de cette explication.
Deux cultivateurs voifins échangent en-
tr’eux les produdions de la nature qu’ils
viennent de récolter. Le premier donne fes
fruits, il reçoit les légumes du fécond. Tous
les deux confomment les alimens qu’ils fe
font procurés par un fervice mutuel.
Voilà certainement le Commerce primitif