
des grains à bon marché des Echelles, malgré la
guerre des Rufles donc ils écoient favorifés.
Une décifîon du i f juillet 1771, défendit fintroduction
des bleds du Levant & de Barbarie dans
le port de Marfeille, par des vaiffeaux Anglois.
Les officiers municipaux de cette ville , un peu
moins inftruits du fonds de l'affaire, s’étoient coh- i
tentés de demander, par une lettre du 17 avril 1771,
qu'on y mît un petit impôt de 3 liv. 10 fols par
tonneau.
Mais la chambre du commerce confultée ( comme
de raifon ) par M. l’intendant, « avoit demandé
» / exclusion abfolue y atttendu que le droit de 3 liv.
» 1 o fols ne feroit pas exclufîf, par l'avantage que
» procure aux Anglois, le bas prix de leur navi-
» gation ». Ce qui fignifîe probablement en d’autres
termes, que la compagnie d'Afrique vend nécef-
fairement fes bleds, quatre francs par tonneau plus
cher que les Anglois.
Le parti de l'exclufion abfolue fut donc adopté,
d'après l'avis très-défintérejfé de la chambre, & fans
doute en vue du plus grand bien de la ville & de
la province.
On mit pourtant l'année d’enfuite une modification
â cette défenfe rigoureufe & abfolue ; elle eft
trop fîngulière pour n’en pas faire la remarque.
On permit aux- vaiffeaux Anglois, qui feroient
chargés de bleds du Levant & d’Afrique, de fe pré-
fencer dans le port de Marfeille, & d'y faire quarantaine.
Pendant qu'ils y auroient pris ce petit amufè-
ment ; on auroit écrit a la perfonne chargée pour
lors du détail de cetteadminiftration ; cette perfonne,
apres avoir pris fans doute les informations convenables
, auroit accordé ou refufé la permiffion
de vendre les.grains ; en cas de refus, le vaiflèau
s’en feroit retourné, n’ayant perdu que fon temps,
les frais -de quarantaine, & peut-être quelque partie
. fes grains échauffés , ou avariés de toute autre
manière.
On fera tenté de croire que ceci eft un trait de
plaifànterie ; c'eft du férieux , & un fait que l'on ne
doit pas révoquer en doute.
Les Anglois ne s'étant pas montrés fort curieux
de cette quarantaine provifoire, en attendant une
permiffion problématique ; leur concurrence fut
écartée 5 on voit que c’étoit la plus redoutable,
puifqu'un impôt de 3 liv, 10 fols n'étoit pas capable
de la dompter.
Mais les négociants de Marfeille pouvoient faire
venir des grains étrangers 5 ils en pouvoient tirer
du Levant, malgré les chicanes que les Ruffes fai-
foient à notre pavillon, & des ports de Barbarie ,
qui ne font pas compris dans le privilège exclufîf
de la compagnie d'Afrique.
G'eft ici qu'il falloit un coup de génie de la part
des dire&eurs ; ce coup fut f a i t , & réuffit.
Sous le fpécieux prétexte de faire le bien public
& d entrer dans les vues du gouvernement, qui ven- j
• doit alors des grains à perte dans tout le royaume
par les mains de fes commijfionnaires, ( ils n*y
perdoient pas eux ) , les directeurs annoncèrent
qu’ils donneroient leurs grains à vingt fols meilleur
marché que les autres y le mémoire en fait
foi.
Les négociants particuliers auroient été bien fous
de lutter avec une compagnie puiflante & protégée
, qui pouvoit facrifïer quelques millions pour
les obliger à perdre. Ecoutons encore la perfonne
refpeCbable que nous avons citée ci-defîus.
«L a compagnie d'Afrique a conçu depuis dix-
y> huit mois » (ceci fut écrit en feptembre 1773 )
« le projet de faire tout le commerce deS bleds
»étrangers. Marfeille, en 1764, avoit eu l’avan-
» tage d'enlever aux villes de Gênes & de Livour-
» ne le commerce des grains ; elle étoit devenue
» Ventrepôt de la Méditerranée y tous les négo-
» ciants faifoient venir à l'envi, des bleds de toutes
» parts ; c'étoit un flux & un reflux annuel d envi-
» ron fix cents mille charges de bled., & une cir-
» culation de dix-huit a vingt millions, pendant fepe
» a huit ans. Ce commerce avoit toujours reçu de
» nouveaux accroiflèments, & n'étoit point encore
» à fon dernier degré de profpérité ».
Voilà donc le mal que faifoit l'édit de 1764 ,
a la ville de Marfeille & à la Provence : mal qu'on
voulut guérir en 1771.
« L'annonce que fît, l’an paffé , la compagnie
: d*Afrique » , (c’eft le mémoire qui continue),
« de fes commiffions multipliées, & le nombre des
»navires qu'elle mit en mer, ont déconcerté les
» négociants : quelques-uns ont fait des pertes con-
» fîdérables, parce que la compagnie a pratiqué le
» moyen de bailler fès ventes au-deffous du prix de
» leurs àchats ; fervice funefie qui donnoit à la
» province un avantage d'un moment, pour la
» priver dans la fuite des re ffources durables de ta
» concurrence. Les négociants n'ont pas ofé fe
« pourvoir en Sardaigne, dans le Nord, & même
» a Tunis, des quantités nécefïàires pour empêcher
» la cherté.
! » C'eft par cette conduite que la compagnie
» d'Afrique s'empare de tout le commerce des bleds
» étrangers » , ( les nationaux étoient exclus ) , « &
» que la province perd tous les avantages qui pou-
» voient rcfulter de toute efpèce de concurrence,
» foit des Anglois , foit des négociants François , à
»Marfeille».
Voyons quel fut le réfultat. La compagnie vendu
en 1773 une beaucoup plus grande quantité de
grains que jamais j c’eft pendant cette époque in-
téreflante que les directeurs « prétendent qiCon a
» dû à leur {lie la fubfiftance des provinces mé-
» ridionales ».
Pour fçavoir fî ce zèle étoit bien pur & bien
défîntérefle , il faut connoître la manière dont ils .
usèrent alors du privilège exclufîf qu'ils s'étoienç
procuré avec tant d’habileté. Nous continuons de
copier mot à mot.
a On fait quel eft le prix d’achat, quels font les
» frais
» frais' d’équipage'& de tranfport. On peut aflurer
» que la charge de bled ne coûte pas plus de douze
.» livres a la compagnie | qu’on la mette à dix-huit
» livres, & qu'on vende la charge trente-huit, on
» verra que, fur cent mille charges, la compagnie
» doit gagner douze cents mille francs ; & il n’eft
'».pas raifonnable,qu'elle ait encore de p lu s , en
» purs gains , un excédent de huit cent mille livres , !
» e n portant le prix a .trente-huit livres. T e l ejl
» cependant le p r i x actuel » .
Nous n’ajodterons rien à ce témoignage très-authentique
d’un témoin oculaire irréprochable. Après avoir
habilem en t écarté toute concurrence des étrangers
& des nacionnaux , on vendroit tren te -h u it fr a n c s
la charge de bled qui en coutoit dou^e.
La fou rce de cette profpérité momentannée delà
compagnie d 'A fr iq u e étant ainfï connue, il eft douteux
qu on puifle tirer avantage d'une pareille exception
; la règle générale qui paroît condamner
les compagnies excfufîves à une ruine inévitable ,
n en eft peut-être que mieux confirmée.
C o m p a g n i e d u S é n é g a l . La première compagnie
qui fe forma en France, pour le commerce du
S é n é g a l, 11e fut d'abord qu'une fimple âftbciàtion
de quelques marchands de Dieppe, qui fans lettres
patentes:, & fans concefîîon du ro i, entreprirent le
négoce des.'côtes d'Afrique, où ils s’établirent dans i
une petite ifle du Niger, ou rivière de S én é g a ly ,
qu'ils appellerait Fillette ' Saint-Louis.
Quelque temps après, des marchands de Rouen'
acquirent d’eux l’habitation de l’iflette Saint-Louis i J
& fes. dépendances , & y contin lèrent le commerce
j ifqu’en 1664 , qu’ils cédèrent leurs établiflements à
la nouvelle compagnie des Ind es o cc id en ta le s , qui
avoit obtenu parmi fes. conceffions , le privilège
exclufîf de faire tout le commerce d’Afrique, depuis
le Cap Blanc jufqu’au Cap de Bonne-Efpérance ;
ce qui comprend plus de 1500 lieuës de côtes.
Le contrat de ceffion fut pafte entre cette compagnie
& les marchands de Rouen, le 2,8 novembre
de la même année 1664.
' Environ dix ans après, la révocation des lettres
patentes de là grande compagnie des Ind es d'acc
id e n t, ayant été jugée convenable au bien du comr
mer ce dé France ; & cette compagnie ayant eu
permiffion du roi, de revendre fes habitations fur
lés. çôtes d’Afrique ; ce fut alors que fe forma une
com p a g n ie , fous le nom de compagnie de Sénég
a l , qui entreprit d’établir & de foutenir le négoce
dans toute l’immenfe concefîîon qui avoit appartenu
a la. compagnie d'occident , qu’elle acquit d’elle
pour le prix de 78,000 liv ., & en outre à la charge
d un marc d or par an , ou la valeur en ambre gris ,
au domaine d’occident.
Le traite eft du 8 du- mois*de novembre 167.3 ,
fait en faveur des fleurs Egrot, François & Rague-
net , avec privilège d’un commerce exclufîf pendant
trente années , aux mêmes exemptions & privilèges
dont avoit joui la compagnie d 'o c c id en t, & dans
toute l’étendue de fa concefîîon.
Commerce• Tome I, Part. II .
Il paroît par ce traité, que l’habitation confiftoit
alors en plufieurs bâtimens, tourelles forts & enclos
, tant en l’iflette de Saint-Louis -, &■ ailleurs’,
qui furent cédés auxdits fleurs, Egrot, François &
Raguenet, avec tous les meubles , uftenciles, barques
, canots, armes, vivres 8c munitions , Nègres
& beftiaux fervans à ladite habitation ; comme aufil
tous les effets & marchandifes qui étoient dans les
magafîns. Ce contrat fut : homologué par arrêt du
confeil du 11 dudit mois de novembre.
La nouvelle compagnie voulant augmenter fon
commerce, fît deux principaux établiflêmens, l’un
dans 1’iflette Saint-Louis , première habitation des
François, & l’autre dans l’ifle de Corée , à 15 ou
30 lieues de l’ifle Saint-Louis. Cette dernière , auffi-
bien qu’Arguin, avoient appartenu aux Hollandois :
mais l’uné ayant été prife par le maréchal d’Eftrées,
alors comtç d’Eftrées , & l’autre par la compagnie,
elles étoient toutes deux reftées à la France, par
le fepeième article;; du traité de Nimégue.
Le fleur Raguenet étant mort, fa veuve & le fleur
‘Egrot cédèrent leurs intérêts aux fleurs Bains & le
Brun , qui continuèrent le commerce de la compagnie
avec le fleur François; ils y firent même plufieurs
augmentations, & deux traités avec le roi,
pour la fourniture des Nègres aux ifles Françôifesr
de l’Amérique.
Le premier de ces traités eft du 16 octobre 167 5",
& le fécond du z 1 mars 1679 , en exécution défi-
quels leur privilège leur fut confirmé.
Par le dernier de ces traités’, la compagnie du
Sénégal fe chargea de porter pendant huit années
z 000 Nègres par chacun an , aux ifles de la Martinique
, Guadeloupe, Saint-Chriftophe , la Grenade,
Marie-Galante,Sainte-Croix, Saint-Martin , Cayenne
, la Tortue, Saint-Domingue, & autres ifles,
& Terre-ferme de l’Amérique, & d’en fournir de
plus à fa majefté , rendus à Marfeille, tel nombre
qu’il lui plairoit pour le fervice de fes galères, au
prix & âgé dont il conviendroit à fa majefté.
Ce traité fut homologué par arrêt du confeil du
15. mars de la même année, & conformément à ce
qui étoit porté par icelui ; un autre traité fait en
167$ avec le nommé Oudiette, pour la fourniture
de-800 Nègres aux ifles Françoifès , fut cafte, &
les 13 liv. de gratification paç. chaque Nègre , pièce
d’Inde, qui lui avoit été accordée, transférées au
profit de ladite compagnie : fa majefté permettant
de plus à ladite compagnie , de vendre aux habitans
des ifles, les Nègres de gré agré,- avec défenfes à
tous officiers dès ifles , d’en régler le prix ; & à
toutes perfonhes ,' de quelque qualité & condition
qu’elles fuftènt, d’aller ou envoyer "dans les côtes
de Guinée-, -depuis la rivière de Gambie , jufqu’au
Cap de Bonne-Efpérance, faire aucunes traites de
; marchandifes & de Nègres , ni d’en tranfporter dans
lefdites ifles de ^Amérique , à peine de confifca^
tion au profit de la compagnie , & de 3000 liv. d’amende
, appîiquablè moitié à fa majefté, & moitié
à la dite compagnie. '