
qu’il n’eft plus un moyen de jouir ; il eft au contraire
la caulè d’un appauvriflement très-réel ; car
être ^pauvre, c’eft être privé des moyens de jouir.
L’avare, cet eftlave d’une paflîon qui le laiffe
manquer^ de tout pour enfouir fon argent , eft
très - véritablement pauvre : nous plaignons fon
aveuglement, & cependant le fyftême de ce malheureux
n’efl en p e tit, que ce que votre fyftême
politique eft en grand 3 car s’il eft bien que les
co-propriétaires du produit net fe privent du quart
ou du tiers de leurs jouiflànces pour s’enrichir en
argent, il fera mieux encore qu’ils fe privent de
la^ totalité pour augmenter chez eux.ce même argent.
D ’après les impulfîons des mobiles qui font en nous,
les hommes ne font avides des richeflès en.argent
que parce qu’ils font avides des jouiffances qu’on
obtient par le moyen de ces richefles : tous défirent
ainfi de s’enrichir pour jouir 3 mais dans le
fyftême faétiçe de notre politique , il faut renoncer
pour s’enrichir ; cette feule contradiction
-fùffit pour caradérifer fon abfurdité.
Votre fécondé reflource eft de fuppofer que
l ’augmentation du prix des productions fuivra celle
du prix . de là main-d oeuvre : ne vous égarez pas
ici dans de vains raifonnemens 3 cette, fuppofition
eft phyfiquement impoflible : vous avez befoin des
étrangers pour opérer la confommation totale de
vos productions , puifque vous leur en vendez tous'
les ans une partie ; mais vous ne pouvez les leur
vendre au-deflus du prix courant du marché géné-
ral#, ^ & fur ce prix , il faut que les commerçans
prélèvent toutes les reprifes qu’ils, ont à faire : car
les étrangers, qui ne vous vendent rien, ne payent
pour vos productions , que le prix courant du
marché général, & rien de plus. O r , il eft confiant
que le confommateur national n’achetera pas, dans
fon propre pays, plus cher que le confommateur
étranger 3 ^que fi ce dernier ceflè d’acheter, vous
manquez d un débit fuffifant pour vos productions 3
& que toutes les fois que la reproduction exçéde
la confommation , le prix de la marchandife fura-
fcondante doit diminuer au lieu d’augmenter. Cette
flippofition renferme ainfi deux choses abfolument
contradictoires y le renchériflèment de vps produc-
ti - ns, & neanmoins la continuation de leur vente
aux étrangers^
Si on vouloir analyfer plus particulièrement cette
même, fuppofition, on y trouveroit encore d’autres
contradictions ; mais celle-ci fuffit. Revenons donc
à votre première hypotèfe , & fiippofons, contre
toute vraifèmblance , que le produit en argent des
ventes faites à l’étranger refie oifif dans le^ mains
du fouverain & des propriétaires fonciers, & qu’au
moyen de fon oifîvèté , les ouvrages de l’induftrie
ne foieùt 'vendus quà leur prix naturel & nécef-
faire : dans ce cas même , le moins défavorable de
t(?us ^ vos prétendus avanfagés ne feront pas de
^ 5 „P^r la raifon que les étrangers ne
vous vendent rien , leur richeflè en argent diminue
■•néceflairement y bientôt ils font forcés d’acheter unie
nîoindre quantité de vos productions, ou de vous
en donner un moindre prix , ou plutôt même de
faire les deux à la fois : de toute façon, la diminution
du produit de vos ventes eft un malheur
inévitable pour vous 3 & ce malheur eft d’autant
plus grand , qu’il entraîne après lui une autre perte
bien plus grande encore ; il enlève à toutes les
productions qui fe confomment dans l’intérieur de
la nation , une partie du prix courant qu’eliés
avoient 3 car encore une fois , le prix courant eft
un prix commun pour tous les acheteurs , & toutes
les valeurs vénales ont entr’elles un équilibre habi-
tuel & nccefîàire 3 le prix des unes décidé du prix
:: des autres.
Il eft donc évident que cette diminution de la
, valeur vénale , & du débit de toutes vos productions
doit être progreflive j ainfi pour peu qu’un
tel défordre continuât, tout le territoire de votre
nation fè trouveroit en non-valeur 3 alors il ne vous
faudroit’que des yeux pour voir évidemment que
la manière dont vous comptez vous enrichir aux
dépens des autres nations , n’eft qu’un fecret pour
ruiner le fouverain & l’état.
Une objeClion à laquelle on s’attend , c’eft que
la maflè de 1 argent croiflant d’année en année dans
notre continent, le fyftême en queftion p eu t, fans
nul inconvénient , fe réduire à s’approprier cet
accroiflèment , du moins ■ pour la majeure partie :
a la bonne heure, mais à condition que ce fera pour
en jouir ; car enfin , jouir eft le motif & l’objet
ultérieur de tous nos travaux , de toutes nos fpé-
culations : auffi voyons-nous qu’en général, fi quelqu’un
fufpend fes jouiffances , ce n eft que dans la
vue d’augmenter fes- jouiffances à venir.
Cependant fi vous prétendez jouir de cet accroiffe-
ment d’argent, fans le faire repaffer aux étrangers y
fi vous comptez toujours qu’ils achèteront de vous
beaucoup plus qu’ils ne vous vendront 5 fi vous
parvenez , en un mot , à augmenter la maflè de
votre argent bien au-delà de ce qu’elle augmente
chez les autres nations, toutes proportions gardées,
il en réfultera que cet argent diminuera chez vous
de valeur vénale , tandis qu’il confervera toujours
fa même valeur vénale dans les autres pays 5 c’eft-
a-dire, qu’à mefure que vos richefles en argent fe
multiplieront, il en faudra donner une plus grande
quantité en échange des chofes ufuelles 3 mais fitôt
qu il faudra deux écus pour acheter de vous ce qui
ne fe vend qu’un écu chez les autres , ils vendront
& vous ne vendrez plus j ainfi vos marchandifes qui
fè confommoient an dehors , relieront invendues :
les fuites funefles de cet engorgement vous feront
bientôt connoître que, ce que vous avez regardé
comme un bien , eft pour vous le principe de
beaucoup de maux y qu’il eft une proportion naturelle
, fuivant laquelle chaque nation commerçante
doit participer à Faccroiflèment annuel de l’argent
•en Europe 3 que prétendre excéder cette proportion,
eft une fpéculation dont le fuccès ne peut être ni
durable ni avantageux.
Obfervez cependant qu’une nation qui n’auroit
que de l’argent à vendre , formeroit une exception
à la loi commune , qui régie entre les nations
commerçantes, le partage à faire dans l’accroiffe-
ment de l ’argent. Plus l’argent fe multiplie , & ;
plus il perd de fa valeur venale , tandis que les
autres marchandifes augmentent de valeur par rapport
à lui : cette contrariété de progreffion, dans
les révolutions des valeurs , feroit évidemment au
détriment de la richeflè d’une nation qui ne cueii-
leroit chez elle que de l’argent : obligée de le cultiver
par l’entremife des productions étrangères,
d’année en année, les frais de cette culture aug-
mentefoient pour elle , tandis que la valeur vénale
de l'argent qu'elle récolreroit diminueroit 3 elle s’appauvri
roit cfe jour en jour.
Je n’ai jamais conçu comment la politique pou-
•voit s’occuper férieufement des moyens d’augmenter
chez une nation la rnaflè de l'argent. Je conçois
biens moins encore , qu’elle puifîè fe propofer
d’obrénir cette augmentation par l’enchaînement de
la liberté de fon commerce : l’accroiflèment annuel
de cette maflè d’argent dans chaque nation commerçante
, eft un effet naturel & néceflaire de cette
liberté j & ce n’eft que par cette liberté qu’il peut
^’opérer.
Les nations qui exploitent les mines d’or &
d’argent , multiplient ces matières dans notre continent.
Cette exploitation les met dans le cas de
faire une grande ' confommation de productions
étrangères 3 & quand elles ne feroient pas obligées
d’envoyer ces productions dans les lieux d’où elles
rirent l’or & l’argent , il eft évident que pour convertir
ces matières en jouiffances , elles feroient
encore dans la néceffité de recourir aux autres n a -,
rions , & d’en acheter les marchandifes ufuelles.
Les nations d’Europe commerçantes fe divifent
donc naturellement en deux claflès j les unes mettent
dans le commerce plus de productions que
d’argent, & les autres plus d’argent que de productions
: ainfi, ce que vous appeliez la balance, du
commerce-, doit être néceflairement chaque année
au profit des premières, à quelques variations près,
qui ne peuvent être que momentanées.
Il ne faut donc point regarder comme le fruit
d’une politique profonde , 1 avantage d’augmenter
chez une Nation la maflè de l’argent : cet accrorf-
fement s’opère de lu i-mêm e, quand on ne fait
rien pour l’empêcher 3 il eft l’effet néceflaire de la
liberté , puifque c’eft par la liberté que fe multiplient
les valeurs qui doivent être échangées contre
î’argent, &.que ce n’eft qu’en raifon de ces valeurs,
que la maflè de l’argent peut s’accroître chez tous
les peuples qui font commerce de leurs productions.
L’argent eft une efpèce de fleuve fur lequel on
voiture les chofes commerçables , & qui arrofe
tous les lieux où s’étend le commerce. Voulez-vous
vous en procurer une grande abondance? Multipliez,
creufez, élargiflèz les canaux qui le reçoivent 3 mais
difpofez-les auffi de manière que rien ne puiflè
ralentir fon cours : il ne doit faire qtiS pafièr j' &
la liberté de fa fortie doit être égale à la liberté
de fon entrée 3 car le volume qui entre perpétuellement
, fe mefure toujours & néceflairement fur
le volume qui fort. Si pour lé retenir chez vous ,
vous arrêtez fon écoulement n aturel, vous cefferez
bientôt d’en recevoir la meme quantité que la na--
ture vous avoit deflinée 3 en tout cas, ce que vous
en pofledez, ne pourra s’accroître que pour vous
occafionner de grands ravages ' par fes inondations ,
tandis que l’interception de fon cours , ne vous
permettant plus de vous en fervir pour l’exportation
de vos marchandifes , vous perdez ainfi 'toute l’uci-*
lité que vous deviez en retirer.
Il eft fènfîble que les canaux défignés par cette
comparaifon , poux recevoir l’argent, font toutes
les productions territbriales qu’une nation peut vendre
aux étrangers , & que l’argent qui entre par ce
moyen , doit reflortir par des achats qu’elle fait
chez eux pour des fournies égales à celles de fes
ventes. A mefure que la maflè de l’argent s’accroît,
il perd de fon prix 3 & conféquemment il entre en
plus grande abondance 3 vous en pofledez ainfi tou-
’ jours une plus grande quantité , quoique vous ert
faffiez reflortir une plus grande quantité. La même
augmentation encore a lieu, fi, pour multiplier vos
achats chez les étrangers , vous parvenez à multiplier
les ventes que vous leur faites. Mais cet avantage
alors fuppofe néceflairement la multiplication de
vos produClions , 8c outre cela une grandç- liberté
de vendre & d’acheter j car richeflè c’eft moyen de
jouir ; ainfi fans la liberté de jouir , les productions
ne peuvent plus ni devenir de véritables richefles ,
ni fe multiplier.
En confidérant l’argent dans le point de vue où.
cette comparaifon nous le préfente, oh convient
qu’on peut juger de la richeflè d’une nation agricole
par la quantité d’argent qu’on voit chez elle :
cette quantité , qui fans cefle fe renouvelle , eft
toujours proportionnée à la quantité & à la valeur
vénale de fes produClions , en un m o t, au montant
des ventes qu’elle eft en état de faire annuellement
aux autres nations. Mais ne noiis y trompons pas :
i’aigent alors n’eft que le figne de la richeflè 3 il
f annonce & ne. la fait point j : auffi eft-ce d’après
Î argent qui pafle librement chez cette' nation, &
non d’après l’argent qui y demeure engorge, que
nous pouvons nous former une idée, jufte de fa
véritable richeflè 3 de celle qui eft difponible pour
e lle, dont elle peut jouir annuellement fans s’appauvrir
3 difons plus', dont elle doit néceflairement
jouir , |i elle veut la perpétuér.- L ’Ordre naturel &
ejfentiel des fociétés politiques.
BALANÇ.ONS. Sorte àe bois de fa p in débité
en p e tit, dont on fait grand commerce en Languedoc.
Les balançons » la douzaine eftimée trois livres ,
paient les droits forains dans les bureaux de cette
province , à raifon de cinq fqls, & pour la réapré-
ciarion autant. m