
à fou commerce , comme tenant à des câufes invariables
, & ce qui fe fait aujourd’hui , comme la
borne du poflïble.
■Lz compagnie a un certain rioriibre de marchands
Indiens pour ainfi dire a fa fôlde , pour faire
des achats dans lès terres fur les fonds' qu elle-
même leur fournit ; cès- marchands n’ont point de
fonds , donc les marchands Indiens n’en auront
jamais. Mauvaife manière de raifonner. Lès achats
faits pour la compagnie font demeurés concentrés
entre les mains de dix à douze marchands qui doivent
être regardés p lu t ô t comme des employés de
la compagnie q u e comme des négocians. En cette
•qualité ils n’ont point de capitaux ; eft-ce une raifon
•de croire qu’aucun'Indién n’en a & ne voudra les
employer?
-'On n’imagine uné fi grande difficulté d’avoir-des
-marchands qui emploient dés capitaux à ce commerce,
que parce qu’on fuppofé fauflement que les achats
dans les terres doivent fe faire par un petit nombre
dé - marchands , à chacun defquels il faut un
gros capital : mais cela n’eft nullement néceftàire ,
•il y aura un grand nombre dé marchands qui auront
•chacun un petit capital , mais dont les capitaux'
réunis feront atffli confidérables, qu’il fera nécef-'
faire pour l’approvifionnement des vaifïeaux d’europe.
Quant à ce qu’on dit du génie des Indiens , qui
ne leur, permet que d’être ’ c om m i f l io n n a i r e s & employés
de la compagnie, cette allégation ne mérite
pas de réponfe f é r i e u f e .
J ’avoue que je me défie beaucoup de tous ces
raifonnemens qu’on fait fur le "génie , le c a r a c t è r e ,
le s - m oe u r s des nations poiir établir des opinions
d’ailleurs contraires à tous les principes. Du temps
des privilèges exclufifs de la compagnie elle-même,
au commerce de la côte d’Afrique , aux Ifles &
dans le nord de l’Amérique , on prétendort auffi
que le caradère & les moeurs des Afriquains & des
Sauvages du ' Canada s’oppofoient à F étàbliffement
du commerce libre. Le caradère & les moeurs des
Turcs ne permettent pas n o n plus , difent lescon-
-tradïdéurs de; la liberté du comméfce du Levant,
d e porter librement des draps de Languedoc à
Smyrne & à Conftantinople. Il faut des arrange—
mens , des maifôns privilégiées , des envois bornés
& toutes les contraintes , fous lequel ce commerce
a gémi longtemps, dont il commençoit à fe .dè-,
livrérj & d o n t on projette aujourdhui dé l ’accabler
de nouveau. La vérité eft qu’en matière de commerce
, les h om m e s de toutes les nations & de toûs
les c lim a ts à g ifîe n t de la même manière, parce qu’ils
font tous guidés par le même principe, c’eft-à-dire,
pair l’intéreti
Lés Indiens comme toute autre nation feront le
commerce, fi le-Commerce leu r apporte de grands
profits , & c’eft précifément les avantages du commerce
qu’ils apprendront des Européens faifant le
commerce , & qu’ils n’ont jamais appris de la compagnie.
•111. La troifiéme objection que nous ayons à
refoudre eft celle qu’on tire delà néceflite de faite
vifiter , aulner , blanchir & emballer- les toiles qui
font l’objet pricipal des retours de l’Inde-j; tant d,u
Bengale que dé la côte de Coromandel. Voici fur gela
l’extrait des mémoires qu’on nous a communiqués.
» Dans l’Inde plus que par-tout’ailleurs , les' cilpf
» rands avides & fripons , cherchent tant qu’ils peu-:
1 » vent a- diminuer les qualités-, à gagner quel-
» que chofe fur l’aunage ; aufli la compagnie y
« apporte-t-elle la plus grande attention. Elle a
» dans le Bengale , comme dans les autres parties
» de l’Inde , des agens qui traitent pour elle & ën fon
» nom ; ils forment un confeil d’adminiftration dans
».lequel toutes les. affairés font difeutées & dé-
» cidé'es.
» .Ce confeil a fous fès ordres un corps de;mar-
» chauds Indiens , à qui il s’adrefle pour la vente
» & pour Fâchât des marchandifes.
» C’eft avec ce corps de marchands que le confeil
» fait dès le mois de février ou de mars de chaque
» année ,1e contrat pour le chargement dés vaifïeaux
» de la. compagnie qui doivènt arriver dans l’Indê
» depuis Juin jufqu’en feptembre.
» Comme chaque efpèce de marchandife eft difc
» tinguée par fortes , que toutès ont une marque 'pàr1
» ticuliere, & que chaque forte eft diftingùée par
» des échantillons foigneufement confervés , le con-
» feil met fous les yeux des marchands l’état diftind
» &- détaillé de toutes les marchandifes qui doivènt
» former les càrgaifons de retour proportion-
» némerit au nombre & à la grandeur dës' vaif-
» féaux.
» Les quantités Convenues , on fixe les prix pour
» chaque forte qui fera fournie conforme autant qu’il
» éft poflïble à l’échantillon revêtu du cachet du con-
»^féil , & qui refte entre fes mains.
» Quand le montant du prix des contrats eft arrêté
» & figné : les confeillers donnent à ces marchands
» qui font^ reconnus fur s & folvables, & d’ailleurs
» .folidaires;, des avances en argent ; c’eft avec; ces
» avances que ces marchands vont fur les lieux où
» l’on fabrique , ordonner aux tifïérànds la quantité
» des marchandifes demandées.
» Quand le tems eft venu de livrer les marcharf-
» difes contrariées , la vifîte s’en fait dans un endroit
» publié, où les marchands & les tifïérànds font
» admis.-
» Il y a quatre perfonnès à chaque table dè vifîte ,
» lavoir un ou deux confeillers & deux autres em-
» ployés, les échantillons de chaque forte de
» marchandifes contrariées font toujours fous leufs
» yeux.
» Lorfqu’à chaque table on a décidé'de la qualité
» d’une pièce vifîree &.de la forte dans laquelle elle
» doit entrer , on l’ouvre pouf voir s’il n’y a pas de
» trous , ou d’autres défauts ; on la mefure & fi elle
» n’eft pas conforme én tout à l’échantillon, on la
» rebute ; fi elle s’y trouve conforme , on la range
» dans.laclaf[è de fes p a re ille so n forme enfuite des
» balles de toutes les pièces qui font de la même
» claffe à proportion du nombre qu’il s’en trouve.
» Comme ces marchands rendent leurs toiles • en
». ecru ; on les, donne à laver à un -gros corps de blan-
» chifieurs agages pendant toute l’année : les toiles
» font remifes. immédiatement après à un nombre
» d’autres gens pareillement gagés!pour les battre &
» leur donner le dernier aprêt. Les employés de la
» compagnie les vifitent une fécondé „fois pour les >:
» aftortir & fixer leurs qualités j & enfin , ces toiles
» font emballées par des emballeurs payés & entre-
» tenus annuellement uniquement à cet- effet.
” z va^heaux de la compagnie qui n’ont rien à
» demeler avec lçs. gens du pays reçoivent leurs car-
» gaifons des mains du confeil, & il partent dans
» la faifon convenable pour faire leur retour en
» France.
» Telle eft la manutention qu’ôn eft obligé d’ob-
» ferver pourcompofer les càrgaifons.qui forment
» les ventes de l’Orient , fans laquelle elles ne- fe-
» roient ni dans leurs qualités > ni dans leurs auna-
» ges, ni préparées , ni blanchies convenablemsnt ; v en un mot, elles neferoient pas-ce qu’on appelle
» marchandes,
» Voilà par quels moyens une compagnie puif-
» fante & «exclufive foutient & fait fleurir labran-
» che de commerce dont l’exploitation lui eft
» confiée. •
» Mais ces moyens feront-ils également entre les
v>. mains des particuliers? croit-on qn’ilspuifïéntem-
.» brafier ce fyfteme fuivi, ces précautions de détail ,
» ces rapports fi étendus ,Ce concert & cette corref-
» pondance d’opérations , au moyen defquels. tons
» les comptoirs , toutes les forces & toutes les ref-
»_ fburces çje la nation dans l’Inde ne font qu’un , &
» font conftament dirigés vers un feul & même
» put ?c eft le contraire qui doit arriver dans l’état de
» liberté »,
. Voilà fans doute un beau plan , de belles mefures
& une entreprife de commerce bien conduite ; c’eft
a ©minage, que tout cela ne prouve rien en faveur
du Privilège exclufif j j’en vais donner plus d’une
preuye.
î tout cet appareil & toutes ces précautions
coût oient plus a la compagnie'qu’elles ne lui rapportent
, elles fe roi eut mauvaifes , & on ne pourrait.rien
faire de mieux que de s’en abftenir , puifqiie toute
depenfe faite , poiir le fuccès du commerce ,..doit être
payée par le fucces, même du commerce. Il ne;fuffit
donc p^s demous dire , que la compagnie fait ceci
& ceva_?il faudrolt ajouter encore. & prouver, que les
depenfes dans lefqueljes la jette ce fyfteme d’adnli-
mftration dans 1 Inde, font payées par un excédent de
profit qui en eft la fuite , & que la compagnie ne prenant
par toutes ces précautions .,' les nvarchândifès lui
revenant moins cher , & étant fi Fon veut moins par-
iaites ƒ elle' ne gagneroit pas' davantage j. or , c'eft
ce qu on ne prouvé point & ce qu'on ne prouvera
jamais. , . ■
2,0 Lorfqu’ori voit tout cet attirail de précautions
pour le fuccès du commercé., employé par une com-
C Q M 6 2 Y
pagnie qui fe ruine dans fon commerce, n’eft-on pas;
fonde a croire, ou que les précautions font inutiles,
ou qu elles .coûtent trop cher ? • ■
; 3° Ce beau tableau de l’adminiftration ;de l’Inde
reïïemble parfaitement à ce que j’ai oui dire & lu
plus d’une fois de Fadmiftration de certaines manufactures
privilégiées , de certains commerces exclufifs,*
pourlefquels l’exclufion & le Privilège font pourtant ■
manifeftement .inutiles & contraires au bien eé*>
néral.
On connoît la manufacture d’abbéville des fieurs
v^nrobais; on a entendu parler de l’ordre qui y régné,,
de la difeipline à laquelle les ouvriers font fournis
des précautions prifes pour le choix des matières ,
P our la filature, pour la perfection de fabrication ;
,|en lifant ces détails dans lès mémoires faits par ces
ïabriquans pour foûtenir leur privilège , beaucoup
de gens en concjuoient , qu’ori ne pouvoit fabriquer'
de bon drap fans privilège exclufif; comme on prétend
ici que tant de foins font néceftaires dans l’Inde pour
avoir de bonnes toiles. On difoit anfli ; » telle eft la
» manutention qu’on eft obligé d’obferver pour faire
» fabriquer de beaux draps. Voilà par quels moyens
» les négocians pofîefleurs d’un privilège exclufif,
»•_ foutiennent & font fleurir la branche, dé1 commerce
» qui leur eft confiée ».
Cependant, il eft reconnu ( depuis environ un an ) ,
qu’il eft poflïble de fabriquer de beaux draps à abbe-
ville,fans privilège. On fait que les Anglois & les
Hollandois en font d’aufli beaux , on fait même que
les draps de louviérs,ceux de fedan, ceux de carcaïlon-
ne , &c. le difputent aux draps dabbeville.Ne décou-;
vrira-t’onpas aufli quelque jour, que fans confeil à
pondichery & .à Chandernagor , fans ÿifités de fi -
grand appareil, fans blanchifteurs & fans emballeurs ^
d gages, on peut tirer de-l’Inde les mêmes toiles que
la compagnie nous'fournit aujourd’hui. " *
4° Que la compagnie n’a-t-elle obtenu du Nabab de
Bengale ou d’Arcatte, des ftatuts pour ïes'fifefands
Indiens , & dès réglemens pour le nombre des fils , la
largeur & la longueur des toiles, elle nous les auroit
fait traduire de l’Indoii & elle nous auroit aflïirés que
fans ces réglemens , il lui feiroit impoftible d’avoir de
bonnes marchandifes. Elle eût eu dès raifôns aufli
fo rtes pour, nous le faire croire', que celles qu’elle
allègue aujourd’h u i, pour nous prouver la néceflîté
d un corps d’adminiftration" pour ' examiner ‘ dès*'
toiles,, d’un corpsfde blanchiffeurs .pour les blanchir
. & d’un corps) d’embaileurè pour . les emballer.'
f
5°. Parlons plus« férieufe ment.f Ne .voit-on pas/
encore ici que les défenfeurs du privilège exclufif, /
donnent les pratiques«.que fuit* hccompdgnie, dâns-
Fadminiftration de fon commerce , comme les feules
qu’on puîné employer p o u r. arriver aii /but, e’ell- .
à-dire , pour faire le «commerce. Outre. que ; cette-f
prétention ne' peut avoir aucun fondement folide ,<
on peut.la combattre par des aflertions bien plus«
vraifemblables. Les toiles/feront bi.en vifitéesr, ;bien..
emballées par les négocians particuliers, parce qu’il