
C a n a l d e P i c a r d i e.
Le deflèin d’établir une navigation en Picardie
par la jonction des rivières de Somme & d’Oife,
qui font les feules propres pour cette opération ,
n’eft pas nouveau. 11 a été formé fous les minif-
tères des cardinaux de Richelieu & de Mazarin ,
& du tems de M. Colbert. Ces habiles miniftres en
ont connu l’utilité $ & cet objet n’a pas été perdu
de vue pendant tout le régne de Louis XIV. Mais
les longues guerres, dont le régne de ce Prince a
été rempli, en ont arrêté 1 execution.
Après fa mort , monfeigneur le duc d’Orléans
.régent du royaume , en fit faire le projet en 1717
& 1718 , par le célébré père Sébaftien. Mais il
■*l’eut pas fon exécution , parce que le gouvernement
fut occupé du fyftême, qui empêcha de fon-
ger à aucun autre établiffement de commerce.
En 1710 , le fîeur de Marcy , doyen de^con-
feillers du Bailliage de S. Quentin , fit unwautre
projet différent de celui du père Sébaftien. Il fut
propofé au confeil de la majefté , qui* ordonna à
meilleurs les Intendans d’Amiens & de Soilïbns, &
aux commifîàires nommés pour en faire les nivellemens
, d’en faire leur rapport & en donner leur
avis 5 ce qui a été exécuté.
En 1744 j M. le Peletier Desforts ayant rédigé
l’avis & fait fon rapport, le roi par édit du mois
de feptembre '1724 , regiftré en parlement le 7 Septembre
1725 , a accordé à M. de Marcy le privilège
d’exécuter le projet, & de faire un canal en
Picardie , par la jônétion des rivières de Somme
& d’Oife , & de rendre ces deux rivières navigables
aux endroits qui feront jugés néceflaires. Les
ingénieurs nommés pour l’exécution des ouvrages
de cg canal, ont eftimé qu’il convenoit d’ouvrir la
navigation parChaulny, où la rivière d’Oife commence
à êtrjç mirigable, pour remonter à Tugny,
fitué entre rfàm & S. Quentin, où eft la rivière de
Somme , y faire un bras de canal qui conduira à
S . Quentin, & depuis Tugny füivre la navigation
en paflant par Ham, Perrone, B r a y , Corbie &
Amiens , où la rivière de Somme fe trouve navigable
jufqu’à S. Vallery qu’elle fe perd dans la
mer.
Les provinces à portée de cette rivière font le
Ponthieu, le Vimeux , le Boulonnois, le pays conquis,
la Flandre, l’Artois, le Cambrefis , le Hai-
nault & la Picardie. Tout, le commerce de- ces
provinces fe fait pair différens canaux qui répondent
aux rivières de la Marque, de la Scarpe, la
L is, la Deule & l’Ëfcaut, qui pâlie à Cambray difi
tant feulement de fept lieues de S. Quentin.
La rivière d’Oife , dont la fouree eft en Thiera-
che , pafle par Guife, la Ferre , Chauny, Noyon ,
Compïègne, où elle reçoit la rivière d’Anne, Creil,
Beaumont, Pontoifè , 8c fe décharge dans la Seine
au-delfus de Conflans Sainte-Honorine. Ces rivières
arrofènt la Picardie, la Thierache * le Soiflonnois,
une partie de la Champagne 8c de l’Ifle de France.
La rivière de Seine, en la prenant a Pertdtoic
où l’Oife fe joint à elle , ( c’eft-à-dire-, à Conflans
Sainte - Honorine , â cinq lieues de Paris ) pafle
au travers de Paris, & reçoit au-deflous de Cha-
renton la' rivière de Marne, & en la remontant
toujours , on trouve a Moret le canal de Loinp- qui
fait fa communication avec la rivière de Loire ,
par les canaux de Briare & d’Orléans , & â Mon-
treau elle reçoit aufïi la rivière d’Yonne.
Ce font ces rivières & ces canaux qui abbreuvent
le Soiflonnois^ l’Ifle de France , le Parifîs-, la Champagne
, la Brie, la Bourgogne , l’Orléanois , l’Anjou
, la Bretagne , le Berry , le Nivernois , le Bour-
bonnois , l’Auvergne , le Lionnais , le Forez , la
Provence , 1eDauphiné, & généralement toutes les
provinces qui font à portée de la Seine , de l’Ailier
& du Rhône, n’y ayant que douze lieues de Lyon à
Rouanne , où fe font les embarquemens fur la rivière
de Loire des marchandifes q u i. viennent des pro-
vinces' ci - deflus & de la Méditerranée , pour être
tranfportées à Paris, & de-là par le canal de Picardie
conduites dans toute la Picardie & dans le pays
du Nord par S. Valéry.
La jonétion de la Somme & de l’Oifè qui fe décharge
dans la Seine , fait la communication de
toutes ces rivières & prefque des deux mers, &
facilite le commerce de toutes les villes & provinces
au-defîus & au-defïous , qui fera plus abondant
& à moins de frais, au moyen du paiïe-de-bout par
la ville de Paris , fans payer aucuns droits pour les
vins & eaux-de-vie , qu’il a plu au roi d’accorder par
ledit éd it.^ .
Les avantages qu’on attend de cette entreprife ne
font pas peu confidérables , puifque par l’immenfité
de fon étendue, elle fera commercer par les rivières
& les canaux qui la compofent & qui fe communiqueront
, la partie du nord avec la méridionale , la .
Manche avec la Méditerranée , & qui aura pour
centre de fon commerce la ville de Paris.
On avoit travaillé depuis l’année 1718 à ce canal
dont la dépenfe montoit à plus de fix millions. Les
droits qui y font attribués , font fixés par un tarif
arrêté au confeil.
Le fieur de Marcy avoit cédé fon privilège a
meilleurs Crozat , commandeur des ordres du r o i,
Couvay , fecrétaire du ro i, Durant de Belguife auffi
fecrétaire du roi & autres. Depuis quelques années
le canal abandonné par les héritiers du millionaire
Crozat avoit été repris par M. Laurent. Mais il eft
encore fufpendu.
C a n a l d e P a r i s .
Le projet de ce canal a été inventé en 1722 ,
par melfire Nicolas le Roi de Jumelle , chevalier
comte de Jumelle , ancien officier de la marine du
; ro i, dont la famille eft originairement de Picardie,
! & d’une noblefle très-diftinguée tant par fon anti-
| quité, que par les grands emplois qu’elle a remplis.
| Le fieur de Jumelle ayant penfé que les eaux de ,
la rivière de Croue qui arrofènt la ville de S. Denis,.
font fupèrieures à celles de la rivière de Seine ,
qui pane au-delfus de i’arfènâl à Paris , a fait faire
•à les frais plusieurs nivellemens, & particulièrement
par M. de Seyne de l’académie des fciences , en
vertu d’un ordre du r o i, pour reconnoitre la pofli-
bilité d’un can a l, en palîant dans les foliés de 1 ar-
fenal & de la porte S. Antoine, jufqu’au delà du
Pont-au-choux, & enfuite entre l’hôpital S. Louis &
les Récollets, à travers la plaine S. Denis ,. jufques
à ladite rivière de Croue, au-delfus du moulin
Balfet, & defeendre par derrière S. Denis , à la
rivière de Seine 5 enforte que les eaux de la riviere
de Croue & celle qu’on y peut joindre , puiflent
fervir de point de partage & pour le fervice des
éclufes des deux extrémités , dans la vue d’abréger
le cours de la navigation & de faciliter l’arrivée
desprovifions de Paris &le commerce des provinces
étant au-delfus 8c au-delfous de cette capitale.
Après les nivellemens & autres opérations qui ont
jetté le fieur de Jumelle dans des dépenfes confidérables
, il a propofé l’exécution de ce projet au confeil
de fa majefté , & demandé le privilège nécèf-
faire à cet effet. L’examen de fa proportion a été
d’abord renvoyé au confeil de commerce, où l’on
a pris l’avis de toutes les perfonnes capables de
juger de l’utilité de cette entreprife : il y a même
un tarif arrêté par M. Lambert lors prévôt des marchands
de la ville de Paris, en préfence de tous les
corps des marchands intérefles en ladite navigation ;
en forte que les lettres-patentes demandées par ledit
fieur de Jumelle lui auroient été félon les apparences
accordées, fi les changemens des miniftres j
n’avoient retardé la décifion de cette grande affaire.
L’ugUité de ce canal pour celui de Picardie
entre les rivières d’Oife & de Somme , avoit porté
M. le Duc de Chaulnes à faire vérifier le projet
du fieur de Jumelle par le fieur Oudart, ingénieur
employé au canal de Picardie. Voici l’extrait de
l’inftru.étion que le fieur Oudart adreffée en 172.9,
pour la pofition „dudit cana l, après avoir fait le nivellement
& le profil des terres des lieux par où
ledit canal doit palfer.
Le canal propofé commencera dans le folle à
l’angle flanqué du baftion de l’arfenal de Paris ; il
fuivra ledit folfc , palfera fous le pont de la porte
S. Antoine, fous celui appellé le ¥ ont-aux-choux^
à cinquante toifes duquel il fortira des folles pour :
entrer dans les marais ou jardinages jufqu’à la rue 1
de la GourtUle qu’il traverfera dans une efpace
vuide de mailbns , à 50 toifes de diftance de la
barrière , fuivant toujours ces marais qui font au-
deflous & vis-à-vis l’hôpital de S. Louis : il formera
un coude derrière le clos des Récollets, & côtoyant
les maifons du fauxbourg qui regarde Montfaucon
& la Voirie , il coupera de biais la chauffée de la
Villette & la derniere maifon détachée de celles
du fauxbourg S. Martin : delà il pafferà à l’angle du
clos derrière fainte Perinne , & continuera en ligne
droite de 2800 toifes jufqu’au deflus du moulin
Balfet, où fe trouve la rivière de Croue, qui fervira
de nourriture au canal 8c en meme temps de point
de partage. ' J
Le canal defeendra enfuite dans la prairie, &
rentrera dans le lit de la rigole faint - Louis , au-
delfous de faint - Denis , vis-à-vis le moulin de la
Truie ; il paflera fous le pont faint - Ladre , a cent
toiles duquel il fortira du lit de la rigole faint-Louis,
pour, tomber en ligne droite dans la Seine, entre
la Briche 8c l’embouchure de la Croue.
Le canal aura huit toifes de largeur dans le
fond, fix pieds de hauteur d’eau , onze toifes de
largeur à ,1a fuperficie , les çclufes 24 pieds de
paflage entre les bajô.yers & les fas, 24 toifes entre
les portes.
Ledit canal fera divifé en deux parties par ui*
point .de partage, fitué, comme il a ete d it, au-
deffus du moulin Ballet. Ce moulin eft a 35 0 toiles
au-delfus de faint-Denis. Les eaux qui le font tourner
ferviront de nourriture audit canal. Elles font
amenées de la rivière de Croue, par une grande
rigole de 18 à 20 pieds de largeur, foutenue le
long du rideau de la rivière de Croue. Ladite rigole a
été conftruite fous le régne de S. Louis, pour arro-
fer l’abbaye & la ville de faint-Denis,, dans laquelle
elle £ait tourner trois moulins.
Cetté rigole commence au moulin de Dugny.,
à une petite lieue de diftance , au-delfus de laint-
Denis f mais cette rigole a beaucoup plus d etendue,
parce qu’il a fallu iuivre le contour de la colline ,
pour foutenir les eaux & les mener dans la ville,
qui eft beaucoup plus élevée que l’ancien lit de la
Croue. W
Ladite rivière ayant pafle entièrement fous la
roue du moulin de Dugny , fe .divile au-deflous en
deux parties : la plus grande, quantité des eaux fuit
la rigole de faint - Louis , & le refte pafle par une
ouverture ou décharge faite en pierre de taille,
pour tomber dans l’ancien lit de la Croue. Les eaux
qui paflènt par cette ouverture, font plus ou moins
abondantes, fuivant les différentes faifons-. Il s en
écouloit lors de la vifite, le 25 mars 1 7 2 ^ , 1 ^
pouces de hauteur fur ip de largeur, qui fàifoient
-tourner à 20 toifes de diftance, un moulin affez
foiblement, malgré la hauteur de fa roue & la
hauteur de fa chute.
A cinquante toifes au-deffousde ladite ouverture,
fuivant le lit de la rigole faint-Louis, on a construit
un point d'eau , félon-le terme des meunieïs ,
lequel a été fait pour fixer la quantité d’eau qui
doit entrer dans la rigole. Cet ouvrage eft de n%au ,
pavé de dalle, & les bords revêtus de pierre de taille.
Sa longueur eft de trois toifes , ainfi que fa largeur
fur ces dimenfions, & fix pouces de hauteur
d’eau , qui y paffoit. le 25 mars.
On a obfervé qu’en 17 fécondés ou environ , il
pafloit la quantité de 162 pieds cubes d eau., qui
font en une heure 34305 pieds 10 pouces cubes
d’eau, & eft douze heures, 4 11 ^7 ° pieds» Il pafle
par la-décharge, dont nous avons parle ci-deflus ,
la quantité de 110880 pieds cubes d eau en douze
. Xx ij