
ramaflerent dans la citadelle plus de dix mille taiens,
quils diffipèrent après a Te ruiner par des entreprifes
imprudentes & téméraires ; mais lorfque cet argent
rentra dans le commerce, & que le fluide commença
à fe mêler avec l’élément qui l’environnoit, quelle
en fut la conféquence? Reftera-t-il dans l’Etat? Non,
car nous trouvons par le cens mémorable dont Dé-
mofihène & Polybe font mention, qu’environ cinquante
ans après, toute la valeur de la république ,.
y compris les terres , les maifons, les matchandifés,
les efclaves & l’argent, étoit au-deflbus de fix mille
taiens.
Quelle étoit l’élévation d’efprit & l’ambition de ce
peuple, d’amaffer & de garder dans leur tréfor, pour
lèrvir à leurs conquêtes , une fomme qu’il étoit chaque
jour dans le pouvoir des'citoyens, par une Ample
délibération, de le diftnbuerparmi eux, & qui auroit
prefque triplé les richefTes de chaque particulier !
Car nous devons obferver que félon les anciens hifto-
riens, les richefles publiques & particulières des
Athéniens , n’étoient pas plus grandes au commencement
de la guerre du Péloponèfe, qu’au conimen-
çement de celle de Macédoine.
L’argent n’étoit guère plus abondant dans la
Grèce, dans le temps de Philippe & de Perfee,
qu’en Angleterre durant le régne d’Henri VII. Cependant
ces deux monarques, en trente ans, amafsè-
rent dans le petit royaume de Macédoine, Un tréfor
beaucoup plus grand que . celui du monarque Anglois.
Paul Emile apporta à Rome environ un million fept
cens mille livres fterling; Pline dit deux millions
quatre cent mille , & cette fomme. n’étoit qu’une
partie du tréfor de Macédoine , le refte fut diflipé
par la réfiftance & la fuite de Perfé'e.
Nous apprenons de Saniam, que le canton de
Berne a prêté trois cens mille livres à intérêt, & qu’il
y en avoit plus de fix fois autant dans le tréfor public.
Voici donc une fomme amàflee d’un million
huit cens mille livres fterling , qui eft au moins le
uadruple de ce qui devroit circuler naturellement
. ans un fi petit état. Cependant en voyageant dans
le pays de Vaux, ou en toute autre partie de ce
canton , on ne remarque pas qu’il y ait moins d’argent
qu’on n’en doit naturellement fuppofer dans un
pays ae cette étendue, & qui auroit à-peu-près le
même fol & la même fituation : au contraire , il y
a peu de provinces intérieures dans le continent de
France ou d’Allemagne , où les habitans foient aujourd’hui
auffi opulens 5 quoique ce canton ait pro-
digieufement augmenté ion tréfor depuis 1714, le
temps où Stanian a écrit le compte judicieux qu’il
a rendu de la Suîfle-
Ce qui eft rapporté par Appién du tréfor des
Ptolomées, eft fi prodigieux, qu’on ne peut l’admettre
, d’autant plus que l’hiftorien dit que malgré la
frugalité des autres fuccefleurs d’Alexandre, plufieure
d’entr’eux avoient des tréfors qui n’étoient pas de
beaucoup inférieurs. Cet efprit d’économie des
princes voifins, doit, fuivant la théorie précédente,
avoir arrêté la frugalité des monarques d’Egypte. La
fomme dont il fait mention eft de fept cens quarante
mille taiens, ou de cent quatre-vingt-onze millions
cent foixante-fix mille fix cens foixante-fix livres
fterling treize fchelings & quatre fols, fuivant le
calcul du doCteur Arbuthnot ; cependant Appien die
qu’il a extrait le compte, qu’il en rend des regiftres
publics , & il étoit lui-même natif d’Alexandrie.
De ces principes , réfulte le jugement que nous
devons former de ces empêchemens fans nombre,
de ces obftru étions, & ces impofitions que toutes
les nations de l’Europe, & l’Angleterre plus que
toutes les autres , ont mifes fur le commerce , par
un defîr exorbitant d’amafler de l’argent, qii’on ne
peut jamais entafler au-defîus de fon niveau, tandis
qu’il circule , ou par une crainte mal fondée de
perdre l’efpèce qui ne fauroit tomber au-deflous.
Si quelque chofe pouvoit difliper nos richefles ,
ce feroient des melures fi contraires à la bonne
politique. Il en réfulte encore ce mauvais effet ,
qu’elles privent les nations voifines de cette liberté
de communication & d’échange que l’auteur de la
nature a eu en vue en leur donnant des fols, des
climats & des génies fi différens les uns des autres.
Nos politiques modernes, par ce grand ufage du
papier du-crédit, embraflènt l’unique méthode de
bannir l’argent, rejettent en. même-temps le feuî
moyen de l’augmenter, c’eft-à-dire , la pratique de
l’e mafle r ; e’eft ce qui les oblige d’avoir recours à
cent manoeuvresqui ne fervent -qu’à, arrêter l’induf-
trie, & à nous priver , nous & nos voifins, des
bénéfices communs de l’art & de la nature.
Cependant toutes les taxes fur les commodités
étrangères , ne font pas regardées comme inutiles,
ou comme préjudiciables , mais uniquement celles
qui font fondées fur la jaloufie dont je viens de
parler. Une taxe fur les toiles d’Allemagne encourage
nos propres manufactures, & augmente par-là
notre peuple & notre induftrie. Comme il eft nécef-
faire d’établir des impofitions pour le foutien d i
gouvernement, il doit paroître plus convenable d;
les mettre fur les commodités étrangères, qu’il eft
plus aifé d’arrêter au port & de foumettre à ce droi:.
Nous devons pourtant toujours nous fouvehir de
cette maxime du doCteür Swift, que dans l’arithmétique
des douanes, deux & deux ne font pas quatre,
mais fouvent ne font qu’un, il eft prefque certain
que fi les droits fur le vin étbient réduits à un troi-
fiéme, ils rapporteroient .beaucoup plus au gouvernement
qu’à préfent. Notre peuple feroit par-là à
portée de boire une liqueur meilleure & plus faine.
La balance, du. commerce, dont nous fommes fi
jaloux, n’en fouffrirbît pas. La manufacture de
l’aile, au-delà de l’agriculture, eft peu confidérable,
& n’emploie que peu de mains. Le tranfport du
vin & du bled n’en occuperoit guère moins.
Mais n’y a-t-il pas , me direz-vous , des exemples
fréquens d’états & de royaumes qui étoient ancienne-
: ment riches, & qui font à préfent pauvres? L’argent
qui y abondent autrefois, ne les a-t-il pas quittés
? Je réponds que fi ces états perdent leur commerce,
leur induftrie & leur peuple , il leur eft îm-
poffible de garder leur or & leur argent; car ces
précieux métaux ne peuvent tenir qu’en proportion
de ces premiers avantages. Lorfque Lifbonne &
Amfterdam ont enlevé le commerce des Indes orientales
aux Vénitiens & aux Génois; ces villes leur
ont auffi enlevé les profits & l’argent qui en pro-
venoient. Où le fiége du gouvernement eft tranf-
porté , où l’on entretient ae nombreufes. armées à
de grandes diftances, où des fonds considérables font
pofledés par des étrangers, il doitréfulter naturellement
de toutes ces caufes , une diminution de l’eT
pèce. Mais nous pouvons obferver que ces manières
de faire fortir l’argent, font violentes & forcées, &
qu’elles font fuivies communément du tranfport du
peuple & de l’induftrie : mais où le peuple & l’in-
duftrie demeurent les mêmes ;:où la caufe d’un trop
grand écoulement ceflè, l’argent trouve toujours le
moyen de retourner par cent canaux, dont nous
n’avons ni notion ni foupçon. Quels immenfes tréfors
n’ont pas été répandus par tant de nations, en
Flandres depuis la révolution, dans le cours de trois
longues guerres ? Plus d’argent peut-être que la moitié
de ce qui eft à préfent dans toute l’Europe. Mais
qu’eft-il devenu ? Eft—il dans le cercle refîerré des
provinces autrichiennes? Non certainement. Il eft
pour la plus grande partie retourné aux pays dont
il venoit, & a fuivi l’induftrie & les arts par lefquels
il avoit été acquis dans fon principe.
Enfin un gouvernement araifon de conferver avec
grand foin fon peuple & fes manufactures : à l’égard
de l’argent, il peut en toute fureté s’en fier au cours |
des affaires humaines; ou s’il fait attention à cette !
dernière circonftance, ce ne doit être qu’autant qu’elle
peut intérefîèr la première.
N umé r o I I I .
Opiniondes économises expoféepar M. Mercier
d e l a R i v i e r r e -, confeilhr au parlement, ci- \
devant intendant de la Martinique.
C’eft parce qu’on a pris l’argenf pour le principe
& la mefure de la profpérité d’une nation , que les
politiques ont adopté comme une maxime d’état, que
le commerce extérieur n’étoit avantageux qu’autant
qu’il'faifoit entrer beaucoup d’argent chez une nation
, fans l’en faire reiïbrtir ; de-là, le fyftème de
toujours vendre & de ne jamais acheter : du moins de
vendre beaucoup & d’aCheter peu des étrangers ;
de-là g cette idée chimérique de commercer avec les
autres nations pour gagner fur elles, pour s’approprier
une partie de leur argent. Mais que dis-je ?
Une partie ? C’eft la totalité que cette faufle politique
doit fe propofer de dévorer ; car un tel lyftême n’a
point de bornes ; perfonne ne peut marqüer le point
fixe auquel les fpéculations doivent s5arrêter : dès qu’on
admet qu’il eft utile de gagner fur les autres nations,
cette utilité doit néceiïairement être toujours la même;
il faut donc étendre néceflairement auffi cette fpécula-
tio n , jufqu a faire pafler chez vous tout l’argent
qu’elles ont chèz elles ; il faut en un m o t, qüe dans
votre fyftême , elles ne ceffent de perdre, jufqu’à ce
que vous les ayez réduites à une impuiflance abfo-
lue d’alimenter vos profits en argent.
Eh bien , aveugle & cupide politique, je vais
combler vos voeux : je vous donne toute la quantité
d’argent qui circuloit chez les nations avec qui vous
commerciez : la voilà raflemblée chez vôus ; que
voulez-vous en faire;? Je vois déjà que vous avez
perdu autant de confommateurs étrangers que vous
en avez ruiné : vous en aviez befoin cependant ; 8c
faute de ces confommateurs, qui ne peuvent fe remplacer
pour vous, il va fe faire un vuide dans la
confommation de vos productions ; une partie doit
refter invendue, & dégénérer en fuperflu ; dès-lors
vos cultivateurs vendent, non-feulement en moindre
quantité , mais encore à moindre prix ; car l’effet
ae la fur-abondance eft de faire diminuer les prix ;
elles- ne- renaîtront plus pour nous ces productions
qui font réduites à manquer de débit.
Voilà donc le défordre dans la clafle qui chez
vous reproduit les valeurs difponibles ; voila qu’une
portion de vos terres va refter en ^friche j que la
diminution de la mafle de vos productions va en oc-
cafionner une proportionnelle dans votre population ;
avec une plus grofle mafle d’argent, vous allez voir
moins de valeurs renaifîantes , moins de travaux ,
moins d’hommes entretenus , moins de revenus réels,
moins de moyens de jouir pour le louverain & pour'
les propriétaires fonciers ; quel avantage l’accroiffè-%
ment de cette mafle d’argent vous aura-t-il donc
procuré ? Celui d’être obligé d’employer cent écus
pour payer ce qui ne fe vendoit que dix ; mais en
cela je ne vois qu’un fardeau de plus, qu’un embarras
de plus dans votre commerce intérieur.
Il eft pourtant encore d’autres inconvéniens attachés
à cette révolution : 1 °. votre nouvelle opulence
invite toutes les nations à venir reprendre fur vous
par la force, ce que vous leur avez enlevé par
votre politique fpoliatrice. En fécond lieu , la cherté
exceflîve de tout ce qui fe vend dans votre intérieur,
eft garante, que malgré toutes les précautions que
vous pourrez prendre , il entrera .chez vous une
grande quantité de marchandifes étrangères qui ne
feront point échangées contre les vôtres, parce que
lés vôtres font trop chères, mais bien contre votre
argent, parce qu’il eft à bas prix. Par cette voie ,
votre argent, tel qu’une rivière, qui ne pouvant
plus être contenue dans fon lit, s'élève au-deflus des
digues qu’on lui oppofe, fe déborde, & répand fes
eaux de tous, côtés ; votre argent, dis-je, refluera
chez tous les étrangers qui ne cefleront d’introduire
clandeftinement chez vous des mardhandifes ; ce
même argent alors ne reviendra plus à votre clafle
productive ; célle-ci verra fes ventes diminuer d’autant
; nouvel échec dans les revenus du fouverain
& des propriétaires fonciers ; nouvelle caufe de
dépérifiement de votre agriculture ; nouvelle diminution
dans la mafle de vos productions & dans
votre population : tel eft l’ordre de la nature , que