
peut plus payer l'intérêt , par la vente de fa
denrée avilie : accablé fous le poids de l’ufure ,
il abandonne fa terre qu'il ne cultiveroit que pour
Ion créancier , & ce créancier s'en empare a vil
prix , après que les formalités l'ont dégradée &
laifiee en friche pendant plufieurs années. Or
toute la malle d’argent dans fa valeur ordinaire ,
ne vaut pas la dixiéme partie des terres : les terres
font des richefles réelles, qui ne peuvent être- fup-
pléées qu’en partie , & qu’avec peine par un commerce
laborieux. Les valeurs de l’argent fe fup-‘
pléent aifément, & dans fa cherté il n'y en a qu’une
petite partie en circulation. Soutenir la cherté de
l'argent aux dépens de celle des terres , c’eft préférer
un à mille, c’eft préférer l’ùfurier au citoyen , au
laboureur, a l’ouvrier. C’eft l’enrichir aux dépens
dek autres parties de l’état, qui' ne font en valeur
qu’autant que l’abondance des circulations les animent
; enfin e’eft détruire le commerce intérieur,
abandonner le commerce étranger.
Les afliirances maritimes doivent entrer pour
beaucoup dans la balance, du commerce , & il
n’eft pas difficile d’en calculer les profits ; car par
une note de la quantité de vaifleaux naufragés &
de ceux qui font venus à. bon port de la même
navigation , la perte du commerce dans cette partie
fera connue. Il n’y a qu’à fouftraire l’un de l’autre ,
mais en attendant ces vérifications , nous pouvons
afîurer hardiment que les aftiirances font lucratives
: les Hollandois les ont établies à la naiftance
de leur république. Les Anglois les étendent fur
toutes fortes de rifques ; & l’une & l’âutre nation
aftiirent fur les vaifleaux de toutes les autres
nations.
La raifon eft d’accord avec l’expérience fur les
profits des aftiirances. Un négociant ne charge un
. vaifleau qu’avec des probabilités d’un heureux voyage,
cependant il n’ofe pas rifquer un fi grand fonds. Il
a recours à l’âflureur qui ne v eu t, ni ne doit entrer
dans ces rifques fans ayoir àufli quelque probabilité
pour lui. L’afliirance eft un jeu favorable
a l’afliireur , à l’afliiré & au commerce. Lorfque
ce jeu eft porté fur les négociations des effets publics
, il peut être avantageux ou pernicieux au
crédit, luivant les cirçonftances.
Les Anglois ont une compagnie d’aflureurs fur
l ’incendie des maifons ; ils obfervent là-deffiis l’art.
np de l’ordonnance de la marine de France , par
lequel le propriétaire du vaifleau doit toujours fe
réferver l’intérêt d’un dixiéme, afin que cet intérêt
le rende plus attentif à fa confervation. Les Anglois
aflurent aufll fur la vie des voyageurs , ce qui eft
défendu par notre ordonnance , & par celle des
Hollandois j cette contradi&ion n’eft pas aflez importante
pour mériter un examen.
Il fut établi en la ville de Paris , par édit du mois
de mai i 6 3 6 , une compagnie générale d’affurances
& grofles aventures. L’afte de fociété fut fait en
conféquence & autorifé par arrêt du confeil du 6
juin fujvant. Cet édit n a point eu d’exécution, ou
en a eu pendant fi peu de temps, qu’il n’en refte
aucune trace. Il eft à croire que notre commerce
n’étoit pas alors aflez confidéràble pour foutenir
les frais de cet établiiïement ; l’oit qu’il y eut aftez
d’aflureurs dans nos ports ou que les Hollandois
afluraflent à meilleur marché ; ces raifons ne fub-
fîftent plus par l’augmentation continuelle de notre
commerce maritime , & par fes richefles qui four-
nifîent de quoi afliirer à aufii bas prix que les autres
nations. Nous pouvons donc retenir ces profits par
le renouvellement de cette compagnie.
Un auteur Anglois en parlant de la balance du
commerce, dit fagement, qu’il vaut mieux chercher
les moyens de la rendre favorable que ceux de la
connoître, & la plupart des moyens qu’il propofe,
regardent la police au commerce. Nous en rapporterons
quelques-uns des plus applicables à notre
deflein , mais nous devons obferver auparavant
qu’il y en a deux qui manquent aux Anglois , &
que nous avons d’une manière parfaite ; le premier ,
qu’il appelle A transport des dettes , eft nos billets
payables à ordre , dont les négociations faciles
multiplient tant la circulation. L’autre, qu’il appelle
une co u r de m archands , eft notre jurifdi&ion con-
fulaire , dont les fages loix devroient fervir de modèle
à toutes les légiflations.
La banque des Anglois p eu t, en quelque façon ,
fuppléer au défaut des billets tranfportables, mais
il eft difficile d’imaginer ce qui fupplée au manque
de la jurifdiétion marchande. Le commerce ne
peut fans un grand dommage, efluyer les formalités
des juxifdicUons-ordinaires ; plus la nation devient
commerçante , & plus la jurifdi&ion confu-
laire devient néceflaire.
Voici les quatre moyens principaux d’où l’auteur
déduit tous les autres.
i°. L’augmentation des mains de commerce.
' z°. L’augmentation des fonds de commerce.
3°. De réndre le commerce facile & néceflaire.
4°. Qu’il foit de l’intérêt des nations de commercer
avec nous.
Sous le premier, font compris les feCours aux
pauvres, enforte qu’ils ne puiflent point être oififs,
& que la misère ne leur faflè point quitter leur
pays ; une plus facile & libre admiflion d’habitans.
Sous le fécond , eft la loi pour le tranlport
des dettes, & pour diminuer le nombre des fêtes,
parce que les fonds augmentent de la quantité de
marchàndifes fabriquées ces jours-là.
Sous le troifiéme , font encore le tranfport des
dettes, la jurifdi&ion des marchands , & les frais de
vifîte pour les douanes.
Sous le quatrième, de bien concerner les traités
de commerce avec les nations, de fournir abondamment
& loyalement à l’étranger.
Le bas prix de l’intérêt, eft la bafe de tous les
articles , & le plus grand objet de fon livre fur lequel
nous ne nous étendrons pas davantage, nous
propofant de dire là-defîus , dans les occafions , tout
ce qui a rapport à notre deflein.
L ’objet
L’objet de la b a la n c e , eft d’augmenter la raafle
d’or & d-argent ,\ comme gage des échanges. De
cette augmentation du gage , luit la facilité de toutes
les entreprifes de commerce , fi fouveut arrêtées,
ou ruineufes par l’ufure ; il fuit par conféquent
un commerce plus étendu , qui foutient toujours la
faveur de la balance ; & il fuit enfin que les ha-
bitans ont été pourvus , dans le temps, de ce. qui
leur étoit néceflaire , puifque la demande des mar-
chandifes étrangères a été moins grande que celle
de nos marchandifes à l’étranger, - •:
Il eft une balance intérieure. Balance de la
plus grande importance , qui doit toujour-s fubfifter
entre la capitale & les provinces. Nous allons entrer
là-deffixs dans quelques détails , qui , quoique très-
connus, n’attirent pas l’attention qu’ils méritent.
La capitale eft le centre , oùaboutiflent toutes
les richefles ; outre la dépenfe de la maifon du r o i,
les feigneurs & les penfionnaires y confomment les
revenus de leurs terres, leurs penfions & les appoin-
temens de leurs gouvernemens. Les habitans y reçoivent
quarante millions de rentes fur la ville, fix
ou fept millions de dividendes d’aétions , les gages
des jurifdiétions, & les frais des plaideurs ; les fermiers
du ro i, les receveurs, les traitans, y font
venir tous leurs produits : ce font les provinces qui
fourniflent à tant de dépenfes annuelles.
Les impofitions font toujours évaluées & payées
en argent, comme mefure commune, mais elles font
toujours réductibles en denrées ; fans cela, les pro-
yinces épuifées d’argent dès la première année,
feroient dans l’impuiflance de payer l’année fuivante.
Ainfi, lorfque le légiflateur. régie l’impofirion , il
doit déterminer la fomme de chaque province fur
l ’abondance de ces denrées, & fur fes reflourçes
pour les vendre; reflourçes qui, de proche en proche
, dépendent de la capitale & des opérations du
gouvernement.
C’eft principalement des confommations de la
capitale , que-les provinces tirent l’argent, qui doit
remplacer ce qu’elles paient annuellement détaillé,
de f e l, de dixiéme , &c. Plus l’impofition augmente ,
& plus la confommation devient néceflaire, à caufe
des profits fur les entreprifes, fur les recouvre-
rnens, &c. Et voilà comment le luxe fera toujours
avantageux, lorfqu’il y aura tant de moyens de s’enrichir
dans la capitale. Les étoffes d’or de Lyon ,
les vins de Bourgogne & de Champagne , les volailles
de Normandie & du Maine, les perdrix &les
truffes du Périgord , paient les tributs de ces provinces.
Le vulgaire ignorant s’irrite de ces folles
la vente des productions de la terre. Sur vingt par"
ties d’habitans , il y en a environ feize de cultivateurs
dépenfes , & l’hçunme d’état les regarde comme un
effet défirable d’une caufe qui en devient moins
mauvaife.
Lés accroiflemens de la capitale dépendent delà
quantité de rentes, de penfions, de gages attribués
aux habitans , des gains des fermiers & receveurs
royaux. Ce n’eft point par de telles richefles, qu’il
faut juger de celles de l’état ; leur durée fera courte,
~fi la balance manque entre la fomme des tributs &
Çommtrçe* Tome It
,. deux d’artifans, une d’églife , .de juftice &
de militaire , & une dé négocians , de financiers &
de bourgeois. C’eft ici où le légiflateur doit prendre
la balance des hommes, car il eft fait pour les
rendre tous heureux , chacun félon fa profeffioii ,
& le laboureur mérite plus d’attention que les autres,
parce qu’il eft plus nombreux , & que fon travail
eft plus eflentiel ; mais fon bonheur n’eft pas dé la
même efpèce, il doit le "mériter par un travail,
aflidu, & le légiflateur doit lui procurer la jouiflànce
tranquille du fruit pénible de fon labeur , par une
vente proportionnée à uné impofition équitable*
Négliger cette portion d’hommes , à caufe de leur
prétendue baflèfle, eft une injuftice groflière & dan-
gereufe , car alors l’équilibre de cette balance fondamentale
des hommes & du commerce, feroit rompue*
Le laboureur découragé fe refuféroit à fa profeflion :
j les vivres manqueroient peu à peu : (l’impofîtion
feroit mal payée, & le refte de la fociété fèroit entraîné
dans un malheur commun, plus affreux encore
pour l’habitant de la capitale, que pour le laboureur
accoutumé dès long-temps à la pauvreté. Quel terrible
fpeCtacle pour un citoyen , de voir tant de
millions d’hommes dans la misère ! Mais quels regrets
affligeans , s’il foupçonne-qu’il eft des moyens faciles
d’arrêter ou de prévenir leur infortune! '
Loin de nous , loin de la douceur de notre gouvernement
la maxime horrible , que plus les peuples
font dans la misère, plus ils font dans la foumiflion.
C’eft la dureté de coeur, & non la politique qui l’a
diCtée, & chez un autre peuple que le peuple François
, dont la fidélité & l’attachement pour fon
roi' font- inébranlables. Mais dans toute forte de .
gouvernement , s’il y a quelque choie à craindre ,
c’eft d’un peuple que fa pauvreté réduit au défelpoir,
& qui n’a plus rien à perdre.
L’homme riche profitant de la misère publique ,
fait travailler le mercenaire pour un falaire modique.
Si quelqu’heureufe opération rétabliflant l ’abondance,
procure à plus dé citoyens de quoi occuper
les ouvriers, & de quoi acheter les denrees du laboureur
; cet homme riche doit-il appeller infoie ne e
• ou mutinerie , le refus de travailler ou de vendre au.
même prix ? La richefl’e du travailleur, confifte dans
un travail afliiré , qui lui donne de quoi nourrir là
famille : à peine fes plus grandes rélèrves. pour**
roient-elles le nourrir huit jours fans un nouveau
travail. Peut-on leur envier une bonne nourriture
fi bien mçritée ? L’ambition de Henri IV , devenu,
roi paifible , étoit de procurer l’abondance dans
les campagnes ; je veux , difoit ce monarque bien-
faifant, que chaque payfaa de mon royaume
ait bientôt de quoi mettre une poule au pot tous les
dimanches, expreflion annoblie par la grandeur du
fentiment, Ejfai politique Jur le commerce-, par
Mf.lon,-
%