
vous ne pouvez le violer qu’à votre, préjudice.
On ne fînirbit point fi on youloif parcourir tous
les inconvéniens inféparables de la prétendue fortune
que voiis venez d’acquérir par votre commerce
extérieur, ou plutôt dont on vient de vous faire un
préfent funefte ; il fufiît de vous faire obferver qu’à
peine eft-elle faite , qu’elle fe change en appauvrif-
fement ; que votre ruine eft une fuite néceffaire de
vos fuccès : ils font donc des défordres, puifqu’ils
portent avec eux"leur punition.
Pour combattre d’une manière plus viCtorieufe
encore, lés idées bizarres qu’on s’efb formées de
la balance, du commerce, & des avantages qu’on a
cru trouver à rendre aux étrangers moins d’argent
qu’on n’en reçoit d’eux ; perdons de -vue la brillante
& chimérique hypothèfe que l’on vient de préfenter ;
fuivons pas à pas les fyftemes de la politique à cet
égard, & voyons s’ils neferoiènt point impoflibles
dans leur exéeutibn.
Le commerce extérieur ne peut faire entrer chez
une nation, plus d’argent qu’il n’en fait refifortir,
qu’autànt qu’elle, porte aux etrangers plus de marchandifes
que d’argent, & qu'en retour elle en
reçoit plus d’argent que de marchandifes. Mais fi
chaque nation policée ou foi-difant, adopte la
même politique , il n’eft plus poflible qu’il fe fàfié
entr’elles aucun commerce- ; toutes n’auront que des
marchandifes à vendre pour de l’argent, & aucune
ne voudra donner fou argent en échange des mar-
chandifës des autres. Comme une telle politique eft
contre nature, comme elle fait violence au penchant
naturel qui porte les hommes à vendre pour acheter
& jouir , qu’ainfi elle ne peut s’établir qu’en détrui-
fant toute liberté; chaque gouvernement fera valoir
fa politique par les prohibitions'& la force qu’il emploiera
pour les faire obferver : dans cette pofition
refpeCtive, la fociété des nations'' n’exifte plus f ies
voilà rivales , jaloufes, ennemies les unes des autres
; bientôt des guerre? cruelles & deftruCtives viendront
les punir de leurs contraventions à l’ordre
efîentiel de cette fociéte.
Plus nous analyferons cette politique , & plus fes
contradictions fe multiplieront à nos yeux; nous
venons de la voir anéantiffant tout commerce , quoique
fon but foit de faire de grands profits en argent
par le commerce ; examinons préfentement dans le
détail, quels moyens elle emploie "pour fe ménager
ces mêmes profits.
Le commerçant, agent intermédiaire du commerce
extérieur , eft un homme qui doit être indemnifé
de tous fes frais ; il lui eft du en outre , des falaires ,
& des intérêts pour toutes les fommes qu’il eft dans
le cas d’avancer : lorfqu’en retour des productions
exportées , il rapporte des marchandifes étrangères,
toutes les reprifes de ce commerçant lui font payées
en commun, par la nation dont il exporte les produirions
, & par les étrangers dont il fait confommer
auflï les marchandifes. Mais lorfqu’en échange des
produiions exportées, il ne rapporte que de l’argent,
ces produirions deviennent le feul objet fur
lequel fes reprifes piaffent s’exercer : quoique fes
voitures ou fes vaiffeaux reviennent à vuide, il n en
fait pas moins les mêmes frais pour leur retour, fi
vous en exceptez ceux qui font particulièrement
bccafionnés par les chargemens & les déchargemens,
& ce font des articles peu impbrtans. Ce n’eft donc
qîie fur le prix de ces produiions exportées, qu’il
peut prendre tout ce que fes opérations lui donnent
le droit d’exiger. Cela pofé, il eft de toute nécèflité
qu’il achette d’autant moins cher les produiions
qu’il exporte ; car il ne peut les revendre chez les
étrangers qu’au prix courant du marché général :
ainfi, le propre de cette façon de commercer, eft
de faire baifïèr néceffairement le prix de ces produiions
dans l’intérieur de la nation cultivatrice,
qui en eft propriétaire.
Cet inconvénient ne frappe pas fur les feules
produiions exportées ; il affeCte encore toutes celles
qui fe confomment chez cette nation ; i°. parce
qu’une même efpèce & qualité de marchandife, n a
qu’un même prix courant pour tous les acheteurs ;
z°. parce qu’il régne habituellement un équilibre
néceffaire entre les valeurs vénales de toutes les
produiions d’une nation : ainfi, par la feule raifou
que les produiions exportées perdent une partie
du prix qu’elles devroient avoir dans les mains des
premiers vendeurs , /toutes les autres produiions ,
quoique confommées dans l’intérieur de la nation,
font contraintes de fubir le même fort. Jugez maintenant
quelle doit être la diminution des revenus
communs du fouvérain, & des propriétaires fonciers :
heureux encore fi cette perte étoit la feùlç que cette
faufïè politique leur fait éprouver, mais nous en
découvrirons d’autres dans un moment.
Voici donc que , déduiion faite des reprifes des
commetçans, la valeur des produiions exportées
revient en argent : il s’agit de- fçavoir ce qu’il va
devenir.
Quelque foit cette fomme d’argent, elle n’eft que
le" repréfentant d’une valeur femblabîe en productions
cueillies fur le territoire de la nation qui les
vend,. & confommées par l’étranger qui les achette.
cet argent fe diftrihue donc à tous les premiers propriétaires
de ces produiions : ainfi, par le moyen
de cet échange, s’il pouvoit fe renouveller tous les
ans , il fe trouveroit que l’étranger feroit afliiré d’un
revenu annuel en produiions, quoiqu’il n’en cueillît
point, & que la nation fuppofée.ne fe verroic
qu’un revenu annuel en argent, quoiqu’elle cueillit
ces mêmes produiions. Qu’on me dife donc de
quelle utilité lui fera ce revenu en argent, fi elle
ne le convertit pas en chofes ufuelles, en chofes
propres à procurer des jouiffances. Mais fi elle veut
faire cette cpnverfion, comment pourra-t-elle y
parvenir, puifque les chofes ufuelles ne fe trouvent
plus chez elle , & qu’elle ne veut point acheter de
celles qui font chez l’étranger?
Peut-être demandera-t-on pourquoi il ne fe trouve
plus dans cette nation une quantité de chofes
ufuelles, daus l’achat defquelles elle puiffe dépéri*
fer fon revenu en argent ? Mais la raifon en eft
bien fimple : puifqu’elle. a vendu aux étrangers
une portion de marchandifes pour de 1 argent,
cela fait qu’il fe trouve chez elle plus d’argent &
moins de marchandifes ; qu’ainfi la fomme d argent
qu’elle a reçue de l’étranger, ne peut plus trouver
à s’employer.‘Développons Cette vérité , car
elle eft d’une grande importance.
DiftraÜon faite de la portion des denrées que
le fouvérain, les propriétaires fonciers & les cultivateurs
confomment en nature, divifons les produirions
en deux parties , dont l’une eft vendue
tîon dans la maffe des productions; diminution q u i,
comme nous l’avons déjà fait v o ir, doit être entièrement
aux étrangers , & l’autre à la claffe induftrieufe.
Sur la partie que cette claffe acheté , elle doit
prendre toutes fes confommatiohs , & le furplus
doit être revendu par elle en argent , aufîl cher
qu’elle l’a payé. Si elle le revend moins , elle fe j
ruine , & ce commerce ne pourra bientôt plus
avoir lieu ; fi elle le revend plus , elle s’enrichit
aux dépens du fouvérain & des propriétaires fonciers
: elle diminue la maffe du produit net , &
altère un des principes de la reproduction. Ainfi
pour que perfonne ne foit léfé, l’ordre veut que
l’argent débourfé par la claffe induftrieufe lui revienne
, mais auflï qu’il ne vienne que la même
fomme , & que par ce moyen il fe fafle une circulation
qui ne puiffe jamais être interrompue.
Les premiers propriétaires des productions vendues
à la claffe induftrieufe, doivent donc avoir
dans leurs mains , l’argent qui fufiît à payer les ouvrages
que cette claffe fe trouve à fon tour avoir
à leur vendre ; par conféquent celui que ces propriétaires
reçoivent de l’étranger , ne peut plus
trouver à s’employer dans la nation. Dans une telle
pofition , il eft moralement impoflîble qu’ils- n’a-
chetent pas à l’envi les ouvrages de la clafïe induftrieufe
, & qu’ils ne les faffent pas renchérir fort
au-defîus du prix que ces ouvrages devroient naturellement
avoir ; car dans le cas fuppofé toute
autre jouifïhnce leur eft interdite , & la concurrence
des vendeurs étrangers ne vient point donner des
loix à la cupidité des vendeurs nationaux de ces
mêmes ouvrages.
Deux effets doivent alors néceflairement réfulter
de ce renchériflement : une double diminution dans
la richefle & les jouiffances du fouvérain & des
propriétaires fonciers, & l’enrichiftement de la claffe
induftrieufe à leur préjudice. Ces conféquences pa-
roiffent peut-être un peu précipitées ; mais voici le
développement méthodique & graduel des liaîfçns
qu’elles ont avec leur principe.
Le renchériflement des travaux de la main-d’oeuvre
ne produit-il pas le même effet-qu’une diminution
réelle du revenu des propriétaires .fonciers ,& du
fouvérain ? Voilà donc déjà1 une première perte.
Mais ce renchériflement peut-il avoir üèu' fans
frappe rauffi fur les cultivateurs, & par cbntre-çoup,
fur les avances de la culture ? Voila'; abnc encore
line fécondé-perte ;' car de cette charge indireCtè
fur les avances de la culture, fëfulté unç diminu-
Commerce. Tome /•
fupportée par les co-propriétaires du produit
net.
Le réfultat d’un tel fyftême eft donc tel que je
viens de le préfenter : il doit opérer l’appauvriffe-
ment du fouvérain & des propriétaires fonciers ,
& renrichiffement de la claffe induftrieufe à leurs
dépens. Mais comme tout fe tient , & qu.il n’eft
point de défordte qui n’ait fes contre-coups , il
l nous faut encore examiner quels font ceux de ce
i dernier inconvénient. On demande donc quel üfage
: la claffe induftrieufe fera de l’argent quelle gagne
ainfi, chaque année, fur les premiers proprietaires
des productions ? certainement elle ne l’employera
point en acquifitions de terres ; car dans notre hy-
pothêfe , l’état du propriétaire foncier éft un mauvais
état , au lieu d’être le meilleur état poflible.
Il Faudra donc que les agens ffeffinduftrie, à me-
fure qu’ils auront fait fortune, aillent avec leur argent
s’établir chez l’étranger.
En dernière analyfe : que gagnez-vous donc à
vouloir toujours vendre aux étrangers , fans rien
acheter de leurs marchandifes ? Vous leur échangez .
vós confommâtïons, vos jouiffances , pour de 1 argent
que vous.ne pouvez' conferver & qui iéffor-
tira de vos mains fans qu’il ait pu vous' être utile.
Cependant pour acheter ce trifte 8C ridicule avantage
, vous commencez par enlever à vos productions
une portion de la valeur vénale qu elles d e -.
vroient avoir ; vous aggravez cette perte pour.’
leurs premiers vendeurs , en faifant renchérir le ;
prix qu’ils font obligés de mettre aux ouvrages de
la ma in-d’oeuvre; vous altérez ainfi la maffe des
reproductions en faifant fupporter aux avances de
la culture une partie du poids de ce renchériflement
; comptez bien; vous allez trouvèr le fou-
verain & les propriétaires fonciers grévés de trois
manières; ils le font par la diminution du prix des
productions ; ils le font par une autre diminution
dans-leurs récoltes; ils le font par le renchériffe-
ment d’une partie des chofes qu’ils font obligés
d’acheter. Livrez - vous à tous les jeux de votre
imagination ; choififfez entre toutes les fuppofitip.ns t
que vous pourrez inventer ; je vous défié' d’en trouver
une qui puiffe vous mettre à l’abri de tous ecs
inconvéniens à la fois.
Toutes les différentes difpofitions auxquelles l’imar
oînation puiffe fe prêter un moment , fe réduifent.
aux deux que voici Y que les 'ouvrages de l’induf-i
trie ne renchériront point, ou qfiè s’ils reiichériffent, .
les-productions renchériront à proportion.
Si les ouvrages de Tinduftrie nç renchériffent^
; point , l’argentpro venant des ventes faites i l ’ëtran-.
ger eft donc deftiné, à refter /é>|fif dans Jesr î^ajns'
des premiers propriétaires dés productions , a ne ^
leur . procurer ’ aucunes fjWiff^nçeÿ ' Mad<f d'an.s ce:
cas pourquoi vèîit-on qu’ils açhetènt, par des privations
, un argent qui doit n’être pour eux d’aucune .
utilité ? Un tel argent'n’eft plus une riclîeffe dès