
feront les premiers à le continuer ; & ils le feront
comme le faifoitla compagnie elle-même»
J'entends bien que' ce projet de fubftituer infen-
fibleraent le commerce particulier-& national à celui
de la com p a g n ie , peut déplaire à beaucoup de
personnes : on pourra même voir une elpèce d’in-
juftice à faire ainfi fervir la compagnie , ou au
moins fon nom, à l’établilfement de la liberté. Des
aérionnaires diront, puifque nous ne continuons
plus le commerce exclufif, nous, voulons diiïoudre
tout-à-l’heure toute foeiété entre nous ; nous partagerons
nos fonds, tous nos effets, nous les emploierons
tout de fuite de quelqu’autre manière ;
mais nous ne voulons pas contribuer nous-mêmes à
FécablifTement- de la liberté qui s’élève fur- nos rui-
«es ; nous ne voulons plus entendre parler de cette
compagnie ni de commerce deTIadé , fous quelque
forme qu’on nous le préfente. Voila des fendmens
que peut diéfcer l’iiumçqrr d’un moment, mais qui
ne peuvent tenir contre la voix de la juftice &* de
la raifon. C’eft ce que nous- allons faire voir à
3.’aide de quelques réflexions.
Les actionnaires, : renonçant- à toute elpèce de
Commerce, retirant-tout ce qu’ils ont dé fonds réel
& en leur pofTéflicKi aétuelle, vendant leurs établifle-
mens, leurs effets, meubles & immeubles dans l’Inde
& en Europe , fe retrouvent créanciers: de l’état,
pour la rente de: 9 millions, au principal de 180
millions. Au premier alpeét, leur fort peut paroître
alluré & tranquille ; mais un examen plus attentif
peut leur donner quelqu inquiétude.
Il faut parler nettement-. Je fuppofe un citoyen
dont l’état & la fortune font intéreües à la fituation
des finances du royaume, ou qui craint l’accroiflè-
ment des impofitions, ou qui, membre de la foeiété,
ne peut voir fans inquiétude, la dépenfe publique
excéder le revenu. Ün tel homme a fans doute
quelque droit à examiner les titres qu’un actionnaire
de la compagnie produit- en faveur de fa- créance ;
or, voici les réflexions auxquelles cet examen pourra
le conduire.
La compagnie des Indes a été favorifée par nos
fouverains, d’une infinité de privilèges & de fecours
très-puiflans pendant une longue ' fuite d’années ,
comme exerçant un commerce utile ; on trouvé
que l’état lui a payé une fomme de 3 76 millions,
dans l’efpace de quarante-quatre ans ; ces dépenfes
ont été fournies par des citoyens de tous les ordres ,
fous le prétexte de je ne fais quels avantages d’un
commerce dans l’Inde. Peut-être que feulement, à
raifon de ces grâces accordées à la com p a g n ie ,
même en luppofant le commerce de l’Inde aujourd’hui
désavantageux ; peut-être, dis-je, le gouvernement
pourroit-il forcer les actionnaires à le continuer.
31 pourroit leur dire : vous avez été fàvorifés des
plus puiffans fecours , dans des temps plus heureux,
parce que vous avez perfaadé que votre commerce
étoit utile a la nation ; vous avez mis a profit ces
fecours du gouvernement , pour votre fortune particulière
5 vous avez joui long-temps de dividendes
beaucoup plus confidérables que ne le compoftoîenf
les profits de votre commerce,.& le prix commun
de vos aérions. ^ On en trouvera la preuve dans-un
état du prix commun des aérions fur la place, depuis
jufqu’aupremier janvier 176<?, ) Aujourd’hui,
que les circonftances vous font moins favorables, vous
voulez quitter le commerce; c’eft ce que l’adminiftra-
tion ne peut pas vous permettre ; vous avez gagné dans
des temps plus favorables, il faut que vous fçachiez
perdre aujourd’hui.
L’état n’exigera pourtant pas de vous un pareil
facrifice ; mais comme il craint, avec raifon , que
vous ne foyez dans l’impoffibilité de foutenir votre
commerce , en continuant d’exercer votre privilège
exclufif, & qu’il ne veut plus faire pour vous les
dépenfes exceffives auxquelles il s’eft laiffé aller, il
vous engagea renoncer à votre privilège, à ouvrir
le commerce de l’Inde à- tous les citoyens, & a
préparer les voies à l’établifièment du commerce particulier
, fans aucun rifque pour votre fortune ; fi
vous refufez de vous prêter à cet arrangement; fi
vous ne voulez renoncer à votre privilège, qu’en
renonçant en même-temps à toute aflociation; à la
bonne-heure : mais le gouvernement qui vous laifle
le choir entre les deux partis , ne peut pas vous
laiiTer ignorer ce qu’il doit faire , fi vous embraflez
celui qui eft le moins favorable à la nation , le moins
utile à la confervation d’un commerce dans l’Inde ;
il celîèra de faire pour vous , aux dépens de l’état &
des citoyens , des-dépenfes qui font â la charge de
lécat & des citoyens, auxquels vous celiez d’être-
utiles.
Quelle eft en effet l’origine & la nature des enga-
gémens que l’état a contractés avec vous? Il étoit
votre débiteur de trois millions de rente au principal
de cent millions. Il ne vous a accordé le privilège
de la vente du tabac, que pour vous tenir lieu de
cette rente. Tout ce qui vous a été accordé par-»
delà, ne vous a été donné qu’à raifon de l’utilité
vraie ou prétendue de votre privilège pour l’état.
Si donc vous celiez d’être commerçans , votre
droit à l a s continuation de cette grâce s’évanouit.
Pourquoi l’état, c’eft à-dire en dernière analyfe , les
citoyens, pourquoi les hommes induftriéux qui exercent.
le commerce & les arts, pourquoi les agriculteurs
, pourquoi les claffes les plus pauvres de
la foeiété, pourquoi les riches mêmes, pourquoi
tous les ordres des.,citoyens feront-ils forcés de fournir
une partie de leurs fubfiftances, ou fi l’on veut
de leur ailance, à un petit nombre d’hommes qui
ont reçu d’eux ce tribut à un titre au moins équivoque,
c’eft-à-dire, comme exerçant le commerce
de l’Inde , & qui refufçroient de le prêter au maintien
du commerce de l’Inde ?
En un mot, fi, en renonçant à toute elpèce d’aflb-
ciation , vous vous réduiféz vous-même à la fimple
qualité de créanciers de l ’état, il ne vous eft plus
du qu’une rente de trois millions, & vous n’avez
plus aucun droit à tout ce que vous ayez obtenu du
gouvernement, à titre de grâce & d’encouragement
d e :votre commerce.
Cette réflexion mérite d’être pefée avec attention
par ceux d’entre les actionnaires qui ferment*tentés
de s’oppofer au projet de faciliter récabliffèmem du
commerce particulier dans l’Inde, & qui voudroient
détruire tout de fuite toute la partie du fyftême de la
c om p a g n ie , q u i, fans être liée avec le privilège
exclufif, pourra ouvrir la route du commerce à la
liberté!
Cela pofé , les comptoirs de la compagnie elle-
nûême pourroient être le berceau du commerce libre..
Il y pourroit croître à l’ombre de la protection du
r6i & de l’état, & payer Bientôt lès foins qu’on au-
roit pris de fon enfance.
Voilà le point de vue fous lequel il faut voir le
nouveau commerce de l’Inde , & on ne fera plus fi -
effrayé des monftres qui doivent, dit-on, le dévorer
à fa naiffance.
C’eft par ces précautions, & de femblables, que
le commerce particulier pourra s’établir. Je ne puis
pas détailler ici avec plus d’étendue , le plan d’après
lequel on pourroit le conduire. On fent qu’il ne
peut être que très-fimple & très-facile à former & à
fuivre. Je le fuppoferai mis à exécution , & c’eft
dans cette fuppofttion qu’on ne doit pas perdre de
vue que je prouverai la poflïbilicé du commerce
particulier dans l’Inde en parcourant fucceflivement
les diverfos branches du privilège de la compagnie.
Les différentes efpèces de commerce exercées juf-
qu’à préfent par la com p a g n ie , font le commerce
de Moka,-celui de Surate , celui de la côte de Malabar,
celui du Bengale & de la côte de Coromandel,
enfin celui de Chine.
Le commerce du Bengale & de la côte de Coromandel
, font ici l’objet principal, foit parce que les
retours en font plus confidérables, foit parce que
c eft celui pour l’exploitation duquel le privilège
exclufif a toujoilrs paru le plus néceftàire. Nous
pourrions donc nous borner à prouver que des
négocians particuliers peuvent le faire auffi-bien,
& avec autant d’avantage pour l’état, que la comp
a g n ie elle-même.
Mais comme nous ne voulons négliger aucune
preuve, ni laifler fans réponfe aucune des objections
, nous prouverons fucceflivement la poflibilité'
de tous ces genres de commerce abandonnés à la
liberté,.
Commerce de M o ka »
Oh doit commencer par obferver que le commerce
qui procure les cafés de Mqka par l’Inde ,
n eft ni important ni néceftàire. La quantité de cafés
de Moka coilfommés en France , eft bornée à 4 ou
500 milliers. Ce retour ddnne peu de bénéfice.
Le café coûte fur les lieux 18 à z 6 fous , y compris
les frais du vaifleau, & fe vend en France 40 fous;
mais comme cette denrée eft d’un grand encombrement
, les frais de tranfoort abforbent le bénéfice de
lâchât à h vente»
On eft fonde à croire que ce commerce ne fouffrira
point d’interruption, & continuera comme il fe faifoic
fous l’ancienne adminiftration.
La compagnie y employoit un vaifleau particulier
de cinq à fix cens tonneaux ; & comme elle n’avoic
pas les fonds fufïifans pour faire l’achat de la totalité
des cafés qu’elle vouloit fe procurer, les particuliers
chargeaient dans ce vaifleau les marchandifes de
l’Inde, propres au commerce de Moka, dont le
produit fervoit à l’achat des cafés : on convenoit ,
avant le départ j de l’intérêt que la compagnie dévoie
payer aux particuliers pour leurs avances , & dir
fret pour le retour des cafés à Pondichéry , & on
payoit le tout, ou en argent avec les fonds qui
etoient arrives en France dans cet intervale, parles
vâiffeaux d’Europe, 'ou en marchandifes , ou en
lettres' de change -fur F rance.
Rien u empêchera que les particuliers de l ’Inde
ne s’àffocient pour armer & charger le vaifleau, qui,
à la même époque, partira tous les ans de Pondichéry
pour Moka. Chacun y chargera les marchandifes
de la Côte qui font propres à ce commerce
, en payant le fret convenu ; un ou deur
fubreeargues feront chargés de la vente des marchandifes
, & de l’arhat des cafés qu’ils feront toujours
fous le nom de la compagnie, pour profiter
de la modération des droits ; on donnera comme
ci-devant cinq pour cent du prix de la vente au
fubrecargue, & le vaifleau retournera à Pondichéry;
OU, Ce qui paroîtroit beaucoup plus utile aux armateurs,'
il ira à Pifle de France, y dépofera fa car-
gaifon, & y prendra les marchandifes d’Europe ,
qu’il portera à Pondichéry.
L’ifle de France pourroit aufli faire ce commerce
directement avec Moka. M. David, commandant
aux ifles de France & de Bourbon,, avoit été fur
le point de l’établir, & on a un mémoire de lui
qui en démontre les avantages. Ainfi cette branche
de commerce ne parpîc pas devoir fouffrir de la
liberté.
Enfin, le commerce du Levant pourroit feul nous
procurer tout le café de Moka nécefîàire à notre
confommation, à aufli bon marché que la
compagnie.
Les mémoires que j’ai cités ne combattent la
poflïbilicé de ce commerce , fans l’intervention de la
compagnie , que par des aflèmons entièrement gratuites.
On dit : « que les cafés coûteroient beaucoup
'.»plus çhers aux particuliers; que ce n’eft qu’au
» moyen des privilèges dont jouit la compagnie
» dans le pays qu’elle peut en obtenir ; que fes fubre-
» çargues mêmes efluient des avanies de la part des
» gouverneurs de Moka & de Bétel-Fagui, & que
» les vaiffeaux paiticuliers y feront encore plus
» expofés , &ç. »
D’abord, comme, ce ne font-là que de Amples
aliénions dont on ne donne point dejpreuve, il nouà
füffit de les nier.
Il h’eft ni probable ni poffible que des gens qui
oig une denrée à vendre, maltraitent .dav^tao-ç des
Hhhh'fi