
Ces moyens ne fuftîrenc pourtant pas, & on vit
commencer alors les emprunts à de gros intérêts
qui ont ruiné toutes les compagnies ; il y eut
des emprunts à la grofle de 5 0 , de 75 pour cent.
Enfin la compagnie ne fubfifta plus que par
expédiens qui achevèrent de la conduire à fa
perte.
Le commerce particulier faifoit cependant des
efforts pour s°ouvrit la route des Indes. La com-
pagnie> preflee par le befoin d’argent , avoit accordé
, dès i68z , à des négocians particuliers la
permiflion d’envoyer des fonds dans l’Inde , en
payant un fret de. dix pour cent ; mais elle refufa
bientôt ces permiflions , parce qu’elles ne l’indem-
nifoient pas, difoit-elle , de fes frais,
N ons ne fçavons pas allez comment les négocians
particuliers qui les. obtenoient, conduifoient
leur commerce dans l’Inde j comment .& par qui
les fonds envoyés étoient employés , &c. Mais ce
qu il y a de fu r, c’eft que les particuliers y trou-
voient leur compte ; que- les envois ne celférent
que parce que la compagnie ceflà d’accorder des
permiflions. Enfin , c’étoit une tentative du commerce,
particulier que la compagnie étouffa dans fa
naiflance. Peut-être pourroit-on tirer quelque induction
de ce fait , en faveur de la poflibilité du
commerce particulier dans l’Inde ; mais nous ne
nous arrêterons pas a cette idée.
De 1686 a 1697 la guerre fut prefque toujours
allumée.
La ruine de la colonie de Madagalcar , la prifè
de Pondichéry , la néceflité où la compagnie fè
vit d’armer en guerre , fes vaiffeaux pris , fes
voyages manqués , malgré quelques efcortes que
le roi lui donna , lui firent effnyer des pertes qui
anéantirent prefque fon capital & fon crédit.
Ces faits nous fourniroient la matière d’une infinité
de réflexions, toutes décifives contre les compagnies
L impoffibilité d’allier le commerce avec
la guerre, plus grande encore pour les compagnies
que pour de Amples particuliers 5 les frais immen-
fes auxquels toute compagnie commercante fera
forcée par la guerre 5 la feule néceflité de continuer
une grande partie de fes' dépenfes de commerce
fans pouvoir s’en dédommager par le commerce
, &c. font des vérités d’une évidence frapr
pante , que tout le monde faifît, & que l’intérêt particulier
ouïes préventions peuvent feules obfcurcir.
Continuons l’hiftoire de la compagnie.
En 169S , on voit s’ouvrir le commerce de la
Chine? Le fieur Jourdan obtient de la compagnie,
avec beaucoup de peine , la permiffion d’y envoyer
un vaifleau , a condition qu’il paieroit cinq
pour cent du produit des retours. Il expédia un
vaifleau qui partit en janvier i6p8 , & qui revint
en juillet 1700 avec une riche cargaifon.
On retrouve ici d’une manière bien marquée , &
h langueur où les compagnies , à privilège exclusif
» tiennent le commerce , & les obftaçles qu’elles
mettent aux efforts que l’induflxie particulière fait
pour l’étendre. Depuis fon établiffèment , c’eft-à-
dire, en trente quatre ans de temps, la compagnie
n’avoic fait aucun envoi en Chine j un Négociant
particulier fait l’emreprife que la compagnie
néglige de faire il y met fes fonds, fes talens ÿ
il faut qu’il paye a la compagnie un impôt pour
employer les uns & les autres; c’eft ce qu’on doit
attendre dç tout privilège exciufîf.
Ce fuccès ayant encouragé le fieur Jourdan,
il forma une compagnie pour le commerce de
Chine , à laquelle la compagnie des Indes céda
cette partie de fon privilège exclufif pour 1 5,000 1.
& a condition que la nouvelle compagnie ne pour-
roit commercer dans aucune autre partie de l’Inde,
ni même relâcher dans fes comptoirs.
Cette dernière claufe éçoit bien dure , puifqu’elle
impofoit aux vaiffeaux de la compagnie de C h in e ,
la néceflité de faire un voyage de huit â neuf mois
fans aucun relâche dans aucun établiffèment national.
Ce n’étoit là un aôte ni d’humanité , ni de patrio-
tifme ; mais cette morale eft- toute naturelle à une
compagnie exclufive.
C’eft vers ce même temps que la compagnie des
In d e s , qui depuis fon origine n’avoit fait aucun
ufage de fon privilège exclufif au commerce de la
mer dq. fu d , le céda à une compagnie qui s’en?-
gagea à ne faire aucun commerce dans les mers
Orientales , ni à la Chine, ni au Japon.
Voilà encore un commerce immenfe qui avoit
été nul pour la Nation , parce qu’il étoit réfèrvé
à une compagnie. On peut remarquer auflï dans
cet exemple, que les trois parties de la terre ne font
rien aux yeux des commerçans à privilèges exclusifs.
Mais on ne fauroit trop s’étonner de voir le
gouvernement fe prêter à ces vues étroites & in-*
téreffees, livrer à une petite compagnie le com->
merce & la navigation de me£s inconnues qui em~
braffèntla moitié du Globe, où peuvent fè trouver
de nouvelles terres, de nouvelles productions, de
nouveaux objets de défirs & de befoin pour les hommes
; & , en étouffant toutes les tentatives de l’in-
duftrie particulière , reftreindre les progrès du commerce
lui-même , de la navigation, de l’aftrono-
mie , de l’hiftoire naturelle, de toutes les fciences
& de tous les arts qui embeffiflent la vie.
Les efforts que la compagnie avoit faits pour
remonter fon commerce , l’eurent bientôt épiiifée?
La guerre de 1701 acheva fa ruine. Elle n’envoya
que deux vaiffeaux en 1703 Sautant en 1704. Elle
fut même obligée , pour fournir aux frais de ces
deux expéditions, de fufpendre le paiement de fes
billets & d'emprunter encore à la groflè à 7 <? pour
cent. Le roi lui prêta auffi 8f 0,000 livres qui de-*
voient lui être rendues à la fin de l’année. En
1704 , on ordonna de plus que les directeurs &
actionnaires feraient un nouveau fonds de la moitié
de leur capital. Peu d’aCtionnaires fe conformé-»
rent à cette difoofition ; on cefla de payer même
les lettres de change ; les billets du caiffier ftirene
renouvelles fans pouvoir être acquittés. Enfin, c*
Î708 les directeurs fupplièrent le roi 'd’agréer que1
la compagnie lui remît fon privilège.
Les créanciers de la compagnie furent autorifés •
à élire des fyndics. Les chirographaires , c’eft-à-dire,
les créanciers non actionnaires , non incéreffés dans
le commerce, répécoient 1^35,518 livres , dont ils
n’ont été rembourfés qu’en partie, & à des termes
très-éloignés.
Quoique la compagnie ne fît plus aucune „expédition
dans l’Inde , elle jouiffoit toujours de fes
droits & les faifoit valoir. Elle vendit à des négocians
de Saint-Malo, des permiflions d’envoyer des
vaiffeaux dans l’Inde , moyennant 1 5 pour cent fur
la valeur des retours , & à différentes autres conditions.
Voilà un fécond exemple avec • celui que nous
éVons cité plus haut , d’un commerce de l’Inde par
des négocians particuliers, & en payant à la compagnie
fur les profits , un droit exhorbita-m. Ce
fait peut encore embaraflèr ceux qui foutiennent
l’impoflibilité de faire le commerce dans l’Inde,
fans compagnie à privilège exclufif.
Le terme fixé à la durée du privilège de la compagnie
devant expirer au premier avril 1715 , il
fut prorogé de dix ans , pour la mettre en état
d’achever de payer fes créanciers par la vente qu’elle
en pourroit faire. Elle le vendit en effet en 1716 ,
à une compagnie de Saint-Malo , moyennant un
droit de dix pour cent fur le produit des ventes, &
de cinq pour cent fur les prifes ; mais cet arrangement
ne fubfifta que jufqu’en 17x9 , quelle fut
réunie à la compagnie à3 Occident. Qu’on nous permette
ici une réflexion.
S’il eft raifonnable de juger de l’avenir par le
paffe , cette deftruétion fucceflüve de plusieurs compagnies
des Indes forme la préfomption la plus forte
& la plus défavorable à la compagnie a&uelle, &
donne droit de croire que fi fa durée a été un peuplus
longue, & fi elle fubfifte encore aujourd’h u i, on ne
peutguères fe difpenfer de prévoir qu’elle aura plutôt
ou plus tard le fort de toutes les compagnies qui l’ont
précédée; parce que les mêmes eaufes produifent tou- j
jours les mêmes effets.
Comme la compagi.e dyOccident eft la bafe fur
laquelle s’eft élévée la compagnie des Indes, nous 1
fommes obligés de mettre ici fous les yeux des lec-
teurs l’origine de cette compagnie dyOccident & les '!
principales circonftances de fon établiffement : c’eft i
une introduction néceflaire à l’Hiftoire de la compa- j
gtiie aètuelle jufqu’au moment préfent.
La compagnie d*Occident créée en 1717 , avoit
été établie lur les ruines de la compagnie des
Indes Occidentales ( laquelle avoit été créée en
en même temps que la compagnie des Indes.}
Elle n’avoit pu fe foutenir que jufqu’en 1673 > quelle
fut réunie au domaine d’Occident.
De 1673 à 1717 il s’étoit formé pour le commerce
des Indes Occidentales trois compagnies ;
fçavoir , celle du Sénégal en 16751 } de Guinée
en 1685 & de la Louifiane en 16518,
La compagnie d? Occident abforbaen 1717 ces
trois érabliffèmens.
Les principales claufes de fon privilège furent le
commerce^ exclufif de la Loufiane pendaùt vingt-
cinq ans , & celui du caftor depuis le premier janvier
1718 , jufqu’au dernier décembre 1741 Le commerce
exclufif de la côte d’Afrique aux termes auxquels
en avoient joui les diverfes compagnies qui en avoierit
été en poffèfiion , & en dernier lieu la compagnie
des négocians de rouen.
Le fonds de la compagnie d* O c cid en t fut fixe
par-édit du mois de décembre 1717 à cent millions
payables en billets d’é tat, pour lefquéls lé toi devoir
conftituer quatre millions de rente. Ge fonds fût
divifé en deux cent mille agirions de- 500 liv. chacune
Ce font ces cent millions q u i, par la réunion qui
fe fît en 1715? de la compagnie d ’Occid en t & de la
compagnie des In d es , devinrent- le premier capital
des actions qui fübfifteat encore aujourd’hui.
En 1718 la compagnie d 'O c c id e n t fut reçue adjudicataire
de la ferme du tabac pour 4,oh,0,00/0
liv. Elle en rendit Tillage libre en Taffujettiffant à un
droit, & cette opération contribua fans doute à en
augmenter la confommation; mais pretendrè, comnie
Ta fait depuis la compagnie des Indes actuelle ,
que cette opération lui donnoit des droits fur cette
partie des revenus publics, c’étoit àbüfer de l’indulgence
du miniftère. La compagnie en rendant libre
i’ufage du tabac, s’y détermina par f avantage qu’elle
croyoit pouvoir retirer de la colonie de la Louifiane.
C’étoit voir très - raifonnablement, mais après tout
c’étoit agir toujours conformément à fon propre
intérêt, & ce n’eft pas là un titre de propriété fur
l’impôt du tabac.
Au mois de mai 1715» s’opéra la réunion des
compagnies d 'O c c id e n t, de celle des In d es & de
celle de la Chine fous le nom de Compagnie des
In d e s . C’eft celle .qui fubfifte encore aujourd’hui &
qui eft l’objet des difcuiîions qui vont nous occuper
dans le refte de ce mémoire.
Les motifs de la réunion des deux compagnies 9
& de la création de la nouvelle , expofés dans le
préambule dç l’édit , font que la compagnie des
In d es , établie en 1664 avoit été formée avec un
fonds qui n’étoit pas fuififant; qu’une partie avoir
été confommée par des répartitions prématurées
dans un temps où il n’y avoit pas de bénéfices ce
qui avoit obligé de recourir à des emprunts à la
grofle ou à des intérêts exceflîfs ; que par fa mau-
vaife régie elle avoit contrafré des dettes immenfès
tant en France que dans l’Inde , ce qui l’avoic
'obligée d’abandonner totalement fa navigation, &
de ceder l’exercice de fon privilège à des particuliers
qui ne pouvoient eux - mêmes faire ce commerce
en concurrence-avec Tétrànger, étant chargés
de payer à la compagnie un droit de dix
pour cent ; que d’ailleurs ces particuliers n’ofoient
j envoyer leur vaiffeaux à Suratte dans la crainte
I d’y être arrêtés pour les dettes de la compagnie.