
Les unes font naturelles & les autres font
faâices. Nous allons donner un exemple
de chaque efpèce qui ne laiflèra probablement
aucun doute. ■
Suppofez d’abord deux grandes nations
agricoles & commerçantes dont les deux
territoires produifent du vin , des grains,
des bêtes à laine. Tant que les récoltes de
ces trois genres profpéreront dans l’une &
l’autre contrée , les opérations du négoce
extérieur quoiqu’abfolument libres, feront
peu nombreufes, prefque tout le Commerce
re fiera dans l’intérieur.
Mais qu’il arrive un double malheur, que
l’intempérie des faifons falfe périr pendant
quelques années toutes les vignes de l’un,
tous - les grains & tous les moutons de
l’autre. Ce feront certainement deux pertes
réelles. & défaftrueufes. Il en réfultera cependant
le plus grand accroilfement polïible
d’importations & d’exportations, car il faudra
quel’une prenne de l’autre tout le vin quelle
Voudra boire , qu’en échange elle envoie
toute la farine eu-toute la laine que celle-
ci voudra confommer.
II fe fera donc cent fois plus de négoce
étranger , par mer & par terre, quoiqu’on
ait moitié moins de productions & de con-
fommations ,. moins de richeflès & de jouit
tances : les deux États pris enfemblé ayant
perdu la moitié du vin qu’ils commerçôient
& buvoient", fa moitié dés grains dont ils
fenourriffoient, la moitié des matières pré-
mi ères qu'employ oient leurs manufactures:
: L’effet des caufes faCticesne fera pas moins
démonftratif, creft celui de quelques, colonies
modernes dans les ifles de 1 Amérique ,
dbnt tes Anglois ont donné l’exemple , en
rerichériflànt beaucoup for la politique mercantile
des Efpagnoîs & des Portugais.
Les-eofcns Anglois produ&eursdu fucre ,
font obligés d’aller chercher un fol à la
Jfmâique, à la Bsrbade i d acheter des
ouvriers agricoles , en Afrique; de tirer les
outils , les vivres, les' vêtements d’Europe
& des Indes Afiatiqtæs.
II eft certain que ce fyftême entraîne
beaucoup de voyages .former ^beaucoup de
négoce extérieur , d autant mieux qu après
avoir produit le fucre ea Amérique il faut.
l’importer en Angleterre avant de le répan*-
dre dans le relie du monde.
Eh bien ! dès le premier voyage , dès le
premier trafic, les marchands d’hommes qui-
vont à la traite des nègres, n’auroient qu’à
demander des cannes de fucre au lieu de
créatures humaines, on les donneroit grades,
fucculentes, délicieufes, car toute l’Afrique
en eft pleine. Les habitans & leur bétail
s’en nourilfent, fuivant le rapport unanime
des voyageurs & des géographes. Les Portugais
naturalifés fur les côtes de cette par •
tie du inonde en fabriquent tant qu’ils
veulent.
Si l’Anglois eût pris comme eux le
parti fi fimple & fi naturel de lailfer les pauvres
noirs dans leur pays natal, de les engager
à cultiver leurs cannes paifiblement ;
s’il leur eût donné l’ëau-de-vie, le fer &
les autres marchandifes de l’Europe en
échange, non pas de leurs enfants oudeleurs-
voifins, mais de leur fucre brut, cette denrée
couteroit infiniment moins de frais , elle
feroit moins chère & plus abondante ; .les
confommateurs y profiteroient , & le vrai
Commercegénéral feroit en effet plus étendu.
L’accroiffement du négoce extérieur n’eft
donc pas , quoiqu’on dife , la même chofe
que la profpérité du Commerce & la félicité
publique. Il peut en être une fuite naturelle ;
mais il peut marcher fans elles , il peut même
avoir pour caufe leur dépériflèment.
Ce. malheur arrive toutes les fois que fes
profits, bien loin d’être précédés ou fuivis
par ceux des producteurs-& des confommateurs
, fe fondent au contraire fur leurs pertes-
& préjudices caufés ou par les fléaux paflà-
gers de la nature , ou par les fléaux mal-
heureufement plus durables des erreurs-
humaines.
Nous ne, diffimulerons pas le prétexte
fpécieux qui concilie tant de fuffragas à
Cette doâtrine mercantile , mais nous allons
tâcher de F expo-fer & de le difcuter en peu
de mots.
- . m L’argent fait Ia; richeflè S: la puiiïïmcey
des États-; attirer l’argent des étrangers
retenir l’argent national,, voilà tout le;
A - but dé l’àdminifiration politique ; & pour
i3 y parvenir, le vrai,le feul moyen eft
p R Ê L I M
i, de régler comme on fait le Commercéi
1 extérieur, d’importer le plus qufl eft
I poffible des fubfiftances ou des matières
„ premières, d’ea vendre le moins : c eft de
„ débiter au dehors beaucoup de marchan-
„ difes façonnées & le moins polïible de
« denrées Amples ; afin de faire pencher, en
„ faveur de l’Etat la balance du Commerce,
ï | & d’introduire toujours de nouvel argent
„ qui l’enrichiflè de plus en plus.« ■
Examinons ces grandes idées que le vul-
guaire a fi long-temps révérées comme des
oracles. La première n’eft - elle pas^une
puérilité née dé l’ignorance & du préjugé
dans les grandes villes ; fomentée par l’orgueil
dans les comptoirs dés capitaliftes,
adoptée par l’aveugle cupidité, dans les fpé-
culations delà prodigalité diflipatrice ? ^
Les Citadins qui n’ont de revenus qu en
argent, qui font contraints de payer en
bonne monnoie jufqu’à l’eau qu ils boivent
-& l’air qu’ils refpirent, fe figurent aifément
que l’argent feul eft tout & que le refte
n’eft rien.
Mais expliquez-nous donc comment l’argent
eft feule richeflè, comment il eft puif-
fance? C’eft, dites-vous, qu’avec lui vous
pouvez acheter toute efpèce de denrées, de
marchandifes & de fervices..............il faut
donc pour jouir de la richeflè, pour développer
effectivement la puiflTance, faire
des emplettes, des paiemens , par confé-
quent fè dépouiller de fon argent pour fe
procurer des effets utiles; pour avoir desfu-
bordonnés à fes gages.
L’homme qui pofféderoit directement fans
être obligé de les acheter d’autrui , ces
denrées & ces marchandifes, & qui pourrait
de fon propre fonds entretenir tous
pas eu befoin de les acheter ; fi vous lui
difiez que l’argent feul eft tout & qu on ne
peut rien fans monnoie, vous le feriez rire
de pitié.
Avoir la nourriture , le vêtement, le logement
les fubalternes dont les fervices lui font né-
ceffaires, aurait donc évidemment les mêmes
jouiflànces & le même pouvoir.
Sortez de vos murailles, voyez un grand
propriétaire entouré d’une famille nom-
breulè, d’une troupe d’hôtes & de convives,
d’une foule de domeftiques ; ce repas délicat
& fomptueux , qui vous couteroit de*
fournies imm'enfes , ne l’obligera pas à dé-
bourfer un écu; le pain, le vin , la bonne
.çhpre, font les fruits de fa récolte } il n’a
pour un très-grand nombre d’hommes
difponibles , c’eft-à-dire , d’hommes
qu’on peut employer à fon gré , foit aux
fondions de l’inftrudion, de la proteâion
i civile & militaire, ou de l’admmiftration
publique dans tous les grades, foit à celles
des arts utiles & agréables pour fes jouil-
fances perfonnelles, c’eft là ce qui fait la
richeflè &la puiffance d’un fouverain.
Si ion empire couvert des grandes propriétés
communes qui vivifient le territoire ,
&de richesavances foncières, & d’une clafle .
auffi ncmbreufe que fortunée de bons agriculteurs,
produit annuellement une.abondante
récolte de fubfiftances & de matières
premièresdont la valeur fe diftribue ega-
Jement entre lui- même & les,deux autres
ordres de citoyens produdeurs , par les
conditions du partage que la nature a fondé
fur la juftice & fur l’utilité commune ; fî
nul obftacle fadice, nulles volontés arbi-
traires ne s’oppofent aux travaux fcc aux progrès
des arts Secondaires, du manufaèlurier,
du voiturier par terre & par mer, du, négociant
, de l’artifte & de l’ouvrier ; qu’importe
l’argent, qu’importe qu’il en entre ,
i qu’il en forte, ou qu il en demeure, ? on en
donnera plus ou moins en échange de telle
denrée, de telle marchandée , de tel fer-
vice , la màflè qui circule aura plus de volume
& plus de poids ; mais les jouiflànces,
! mais le pouvoir feront les memes.
Vous qui croyez que 1 argent feul eft tout
en politique, imaginez que là Providence
nous muniffe l’un & 1 autre dun plein pouvoir
, & nous charge de doubler la richeflè,
la puiffance de deux empires qui font aduel-
lement dans l’état de la plus entière^ & la
plus parfaite reffemblance ; opérons à qui
mieux mieux d’après nos principes refpeâifs.
Doublez, triplez, décuplez la maffe d’argent
que pofféde le vôtre, je me contenterai
d’élever à une double perfection, dans
le mien , i°. toutes les fondions de l’autorité
fuprême tvitelaire & bienfaifante , l’in t
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