
facilité du lieu de leur origine à celui de |
leur confommation : les travaux des négo- j
cians en gros & des marchands en détail,
qui les raflemblent, les enmagafinent, les
débitent journellement fuivantla commodité [
des acheteurs particuliers : les. travaux des
ouvriers, qui les emploient pour en former
ou décorer les édifices, les habits, les meubles
& les bijoux : ceux de tous les hommes,
enfin, qui nous en font jouir.
C’eft par la correfpondance de ces fonctions,
par leur enchaînement, par la continuité
des feCours qu’elles fe prêtent l’une
à l’autre & des échanges qu’ils néceffitent,
que les fociétés policées fe forment , fe
maintiennent, fe perfedionnent de plus en
plus. Ce n’eft point par des volontés délibérées
& prononcées, ni par un prétendu
contrat focial, qui ne fut jamais dreffé, qui
ne le fera jamais.
Car enfin cette phrafè bannale fi fouvent
répétée par la tourbe de nos écrivains,
=> quand les hommes fe réunirent en fociété «
n’exprime qu’une chimère abfurde, tout
mortel de notre efpèce étant né dans une
fociété dont il étoit l’effet &. non la caufe
c’eft une idée fauffe & ridicule d’imaginer
plufieurs milliers de créatures humaines
parvenues à l’âge viril , pleines d’intelligence,
de fagelïè & d’induftrie, qui naquirent,
vécurent & s’élevèrent ainfi toutes feules,
comme par enchantement, qui fe réunifient
tout à coup par hafard , qui difcutent ,
pérorent, balancent les opinions, recueillent
les voix & conviennent à la pluralité
des fuffrages de former un corps politique.
Vous tous qui méditez profondément,
pour découvrir ce que les hommes ont dû
p.enfer, dire & ftatuer dans cette première
diette, que vous regardez comme l’origine
de la fociété civile, ou qui répétez à cet
égard les rêves des autres ; réfiéehiffez auparavant
de quels membres vous la com-
pofez , alors la plus petite attention fur
l’ordre de la nature, vous fera voir qu’elle
ne fe tînt jamais & qu’il étoit impoffible de
la raffembler.
C’eft fans réunion fortuite , fans diette
préparée , fans dilcuflion , fans pade, que
des époux, des enfants, des fils, des .petitsfils
, des arrières-petïts-fits fages Juft’es ,
honnêtes , bienfaifans & cultivateurs par
inftind naturel , forment un fociété nom-
breufe, puiflànte & profpère, jufqu’aumo-
ment où l’excqffive multiplication de la
famille & la trop vafte étendue de fes pof-
feflîons obligent à la partager en tribus, que
les progrès des mêmes arts & l’accroiffement
de la population feront encore fubdivifer.
Voilà probablement la vraie marche de la
nature. Les fciffions & les réunions pofté—
rieures font les effets de l’art ou de la politique
, de l’adrelfe , du bonheur , des
erreurs , des paffions Si des crimes.
C’eft dans la grande famille originelle
que vous verrez la nature elle-même, indiquer
& néeeffiter le partage des fondions y
des devoirs St des travaux qui fonde ,. qui
maintient Si qui perfectionne par lui-même
la fociété.
N’eft-cê pas évidemment la nature qui
met une inégalité fenfible, inévitable , uni-
verfelle, entre les fexes, les âges St les individus,
inégalité de force, d’adreffe , de
fanté, d’intelligence & d’énergie morale ï
St c’eft-là ce qui. force les premiers, chefs
de la famille,, iLdiftinguer les fondions,, à
diftribuer les travaux entre leurs enfants à
mefure qu’ils voyent croître 8t multiplier
autour d’eux leur nombreufe poftérité.
N’eft-ce pas encore la nature elle - mémo
qui détermine l’ordre Si l’enchaînement de
ces travaux 1 des efprits fuperficiels one
voulu méconnaître cet ordre eflentiel' Sc
mânifefte ; les uns ont cru faire des merveilles
en eflàyant de le tourner en ridicule
, les autres fe. font offenfés qu’on eût
dit qu’il étoit évident par lui - même :, prétendant
que ce privilège n’eft réfervé qu’aux
vérités mathématiques. .
Sans manquer de refped aux géomètres ,
nous ofans croire que pour tout homme
raifonnable, il eft d’une fuprême évidence
que le drap doit exifter avant l’habit , la
laine avant le drap , le mouton avant la
laine, le fou rage, avant le mouton , le cultivateur
avant le fourage , le premier propriétaire
fondateur du pré avant l.e cultivateur
, St qui plus eft qu’avant la création,
la culture & la récolte de la prairie, avant
ïa tonte & le façonnement de la laine, il
faut que les hommes foient formés à la
théorie 8t la pratique de tous ces arts primitifs
& fecondaires’, qui dérivent les uns
des autres par l ’inftrudion , qu’ils foient
affinés de leurs propriétés 8i de leurs jouif
fances par la protection, qu’ils ayent en-
tr’eux des relations très-intimes, facilitées
par une bonne adminiftration. Et c’eft- là
préçifément, manifeftement, uniquement la
fociété.
Remettons pour plus grand éolafrciflè-'
ment Robifon Crufoë dans foa ifle déferte,
remettons-le même fans compagne.
Il eft évident, quoiqu’on en puiffe dire,
mais.de la plus fenhble évidence, que fon
premier foin, fon premier .travail, fa première
fonction fera de réfléchir , d’exa-î
miner, de sinftruire lui-même par la méditation
; évident , que le fécond fera de
veiller à fa propre cpnfervation , de penfer
& de pourvoir afadéfenfe , que letroifiéme
fera de fe frayer une routé vers les objets
qu’il appercevra, s’ils ont l’apparence d’être
propres .à fatisfaire fes befoins. -
Avant même qu’il ufe des fruits Iponta-
nés de la nature, il remplira fur lui-même
les fonctions primitives & fondamentales de
l’inftrudion , de la proteftion , de l’adminif-
tration, fonctions très - réelles, très - importantes.,
qui précédent les autres , qui les
produifent & qui les dirigent.
Devenu cultivateur par la force de fon
Inclination naturelle & par l’étendue de fes
réflexions; autant qu’il aura de eonnoiffan-
ces, defécurité, de facilités, autant prospéreront
fes avances foncières. Ses travaux
annuels de culture & fes récoltes feront
proportionnés à ces deux caufes antérieures.
I! ne pourra confomrner de fubfiftances,
ni façonner de matières premières qu’autant
qu’il les aura recueillies & qu’il fçaura les
employer en pleine tranquillité , ni jouir
d’aucuns ouvrages de durée qu’après lesavoir
formés, avec plus ou moins de perfection ,
fuivant l’étendue de fes moyens & le développement
de fon induftrie.
Il eft donc évident que même dans l’homme
le plus ifolé, ces arts caradériftiques ,
font effentiellement diftingués èi fuboidonnés
les uns aux autres , qu’ils naiffent,
qu’ils opèrent fucceffivement par gradation
dans l’ordre des effets & des caufes.
Dans la première famille leurs fondions,
leurs devoirs, leurs droits fe partagent naturellement
, & c’eft principalement de leur
diftindion , de. leur influence mutuelle, de
leur correfpondance réciproque, de leurs
intimes & perpétuelles relations que fe forme
la vraie fociété.
Cette même diftindion , ce même enchaînement
fubfifte dans les grandes familles
fecondaires , que nous appelions des empires
& des états. Premièrement l’autorité
tutelaire & bienfaifante du père & de la
mère fur leurs enfants, des frères aînés fur
leurs cadets , s’exerce de même dans un
corps politique par les agens de la fouve-
raineté, dont les devoirs & les droits font
précifement femblables & fe réduifent à
l ’inilrudion qui nous éclaire, à la protêt
tion qui garantit nos propriétés, à l’admi-
niftration qui nous facilite les moyens d’en
acquérir & d’en faire ufage.
Quelque foit un citoyen , la follicitude
paternelle de l’autorité fuprême l’inftruït,
le protège , le dote plus ou moins de propriétés
perfonnelles, mobiliaires & foncières,
long-temps avant qu’il puiflè la concevoir,
long-temps avant qu’il fe connoiffe lui-même.
Bien loin d’en être les créateurs, nous en
fommes tous les produdions., puifque notre
exiftence, nos facultés, nos talens & nos
biens font fon ouvrage.
Il eft néceffaire d’établir cette grande
vérité fi méconnue , fi contredite, parce
qu’upe erreur trop commune, confond avec
l'autorité; la force & fon ufage purement
arbitraire, ennemi des connoiffances, des
talens & de l’inftrudion qui les procure, ufur-
pateur des propriétés , violateur de la loi
de juftice , perturbateur de l’ordre de
bienfaifanpe , deftrudeur des régies naturelles
, de l’adminiftration profpère ; c’eft-à-
dire , la lumière avec les ténèbres, le bien
avec le mal, les vices avec les vertus , la
deftrud.ion & le défaftre de l’efpèce humaine
avec fon bien être & fa propagation. Car
dans leurs procédés , ainfi que dans les
effets qu’ils produifent, cet aveugle pouvoir