
fert des atteintes, ils la reprennent- où' ils la trou-
vent j ils la reconduifent , par la même voie ,
au point de perfection qu'elle avoit acquis auparavant
; iis arrêtent les débordemens du pouvoir,
& ils le ramènent toujours dans fon ancien lit.
Toutes les barrières qui défendoient le peuple
avoient été renverfées fous Henri V III ; le parlement
effrayé avoit été jufqu'à donner force de
loi aux proclamations du roi ( i) j j a conftitution
fembloit anéantie. Cette renonciation approchoit
de celle que les Danois firent un fiècle après
cette époque : mais dès que Henri VIII fut mort,
on vit reparoître la liberté (2). La chambre des
communes réforma tous les abus qui s'étoient accumulés
durant cinq règnes fucceffifs , & les anciennes
loix furent rétablies.
Enfin c'eft fur-tout par l'opinion que fubfiftent
les divers gouvernemens , & il n’y a jamais eu
de pays où l'opinion fût plus défavorable au def-
potifme , & où l'on ait employé des moyens auffi
fûrs de maintenir l'efprit public.
Je le répète donc , prédire la ruine de là conftitution
à*Angleterre par celle des autres gouvernemens
, c'eft en ignorer la ftrudture ; conclure cette
ruine de quelques inconvéniens préfens , c'eft en
ignorer les reffources, & prendrè des défauts
d'adminiftration pour des vices de gouvernement ;
c'eft ne pas voir les caufes puiflantes qui ramènent
& rétabliffent la liberté des anglois.
La conftitution angloife produit même des effets
qu'on n'a jamais efpéré : ces haines de famille,
ces divifions durables, ces animofîtés de parti,
ces victoires alternatives & les violences qui en
font la fuite ; en un mot, ces malheurs que tous
les auteurs jugent inféparables de la liberté , font
en Angleterre des chofes inconnues. Un critique
fuperficiel ne manquera pas de dire qu'il eft abfurde
de foutenir qu'il n'y a point dfanimofité de parti
chez les anglois. Je me contenterai de répondre
qu'on parle ici des animofîtés de parti, telles qu'on
en vit à Rome & à Carthage ; & affurément on
n'en voit point de femblables en Angleterre. Les
membres des communes qui outragent le plus les
miniftres , ne haïffent point la perfonne des mi-
niftres : les réconciliations , d'ailleurs très-fcanda-
leufes, qui fe font entr'eux, le prouvent. Ils veulent
des places ou de l'argent ; & les Whigs & les
Torys ne forment pas, à proprement parler, des
factions.
Si l'on a vu quelquefois de la méfintelligence
entre les deux chambres, elle a été très-rare,
& elle n'a pas duré long-temps. Pour prévenir
tout fujet de-querelle, c'eft l'ufage que, fi une
des chambres refufe de confentir à un bill pré-
fenté par l'autre, il ne fe fait point de déclaration
de ce refus ; & la chambre dont le bill eft rejetté ,
ne l'apprend que parce qu'on ne le lui renvoie
pas, ou parce que fes membres l'apprennent
comme particuliers ($).
La conftitution Ü Angleterre produit d'ailleurs
une bienveillance générale. L'anglois, qui fe voit
en fureté & indépendant, eft bien convaincu que
ce n'eft pas à fes propres forces qu'il doit de tels
avantages; il ne hait pas le pouvoir du roi ni des
magiftrats , qui le fait jouir de tant de bienfaits.
Sans s'aigrir contre les abus inévitables dans tous
les gouvernemens, il defire qu'ils foient réformés;
il s’occupe de cette réforme, mais par les
moyens que lui indique la loi. Jettant les yeux
autour de lui, il voit dans fes concitoyens autant
de défenfeurs. Une confédération douce s'établit
entre toutes les parties de l'é ta t, & on y
remarque des traits de bienfaifance plus fréquens
que par-tout ailleurs (4). N
On ne peut pas dire que XAngleterre n'a que
des loix parfaites, mais la conftitution tend fortement
à n’en avoir que de telles; & cette conftitution
eft d'autant plus affurée de fes effets, qu'elle
a pris les hommes comme ils font, & n'a point
cherché à tout prévenir * mais à tout régler ; elle
étoit d'autant plus difficile à trouver, que fi fon
principe eft fimple, fa forme eft très-compliquée.
Les politiques de l'antiquité , frappés des
inconvéniens des gouvernemens qu'ils avoient fous
les yeux, l'avoient entrevu fy ) , mais ils n'efpé-
roient pas la voir jamais s'établir. T a c ite , après
( 1 ) Statut 31, Henry 8 , ch. 8.
(2 ) Les loix de trahifon & les ftatuts que je viens de citer, furent abolis au,commencement du règne d’Edouard VI,
jfucceflèur .d’Henri VIII.
( 3 ) On dit alors qu’un bill a été perdu ou a mal réujji, dant la chambre des pairs ou dans celle des communes.
(4) On peut citer la douceur de la juftice criminelle en Angleterre , & l’efprit qui régné dans les tribunaux. Là
principale fonfrion que les jurifconfultes aflîgnent aux juges , eft d’être les confeils de l’accufê , & ils la rempliflent d’au--
tant mieux que, par un nouvel avantage des jurés, la forme des interrogatoires n’inréreflè point leur amour-propre . &
ne les excite pas à trouver l’accufé coupable ; fouvent ils lui impofent lïlence, s’ils s’apperçoivenc qu’il dit des chofes
qui préviendront les jurés contre lui. Quand ils voient que l’inftru&ion prend un- tour défavorable à l’accufé , ils iuf-
pendent la délibération des jurés, & s’adrefîent au public, en difant : ne fe trouve-t-il perfonne qui puijje dépofer encore
en faveur de cet infortuné?
Le pouvoir de faite grâce eft une prérogative, fur laquelle les jurifconfultes s’étendent avec cpmplaifance. Ce qui montre
fur-tout l’efprit general dés anglois, c’eft que la légiflacion a obligé le prince d’en ufer fouvent. Le parlement a inféré
, dans la plus folemnelle de fes loix, que le roi exécuteroit la juftice avec merci, comme on peut le voir dans le
ferment du couronnement que j’ai rapporté plus haut. La moitié des criminels condamnés à mort obtiennent en effet
du roi leur grâce, ou une commutation de peine ; il eft ordinairement inflexible aux follicitations des hbmmes puiflansj
il n’accorde jamais de pardon aux aflaflïns ou à ceux qui ont commis des crimes qui intéreflent le crédit public. J
($) Statuo elfe optime conftituçam rempuhiicam quæ ex tribus geaeribus illis , regali, optimp } ôc populari modicç
£Çafvfa, Çiç,fragmt
avoir bien examiné fon fujet, la regardoit comme
une chofe chimérique (1).
Arrington, dans fon Océana, a auffi examiné
quel étoit le plus haut point de liberté où la
conftitution d'un état peut être portée ; mais
©n peut dire de lui qu'il n'a cherche cette liberté
qu'après l'avoir méconnue , & qu'il a bâti Chal-
cédoine, ayant le rivage de Bifance devant les
yeux.
Au refte, tous les efprits raifonnables feront
de l’avis de Montefquieu. « Je ne prétends point
?» par là ravaler les autres gouvernemens , ni dire
?» que cette liberté politique extrême doive morti-
?» fier ceux qui n'en ont qu'une modérée. Com-
?» ment dirois-je cela , moi qui crois que l'excès
?» même de la raifon n'eft pas toujours défira-
?» ble , & que les hommes s'accommodent pref-
?» que toujours mieux des milieux que des extré-
« mités»».
La conftitution angloife n'eft pas propre aux
autres contrées, par une raifon qu'il n'a pas indiquée.
Si l'Angleterre faifoit partie du continent,
fa conftitution ne fubfifteroit plus , & peut-être
ne fe fèroit-elle jamais établie. Il fesoit à defirer
qu'elle s'établît parmi les autres nations de l'Europe;
mais, dans l'état aCtuel des ch.ofes, ce
projet fe trouve impoffible. Les Etats-unis viennent
de Létablir avec bien des modifications : on verra
un jour fi elle peut fe maintenir ailleurs que dans
une ifle.
>» La liberté invoquée de toutes parts, dit
?» M. de Lolme , mais peu faite , ce me femble ,
?, pour les fociétés compofées d'êtres auffi impar-
?» faits que l'homme, fe montra autrefois aux peu-
»» pies ingénieux qui habitoient le midi dê l'Europe.
»» Ils fe trompèrent toujours dans la forme de leur
»» culte ; cherchant à porter par-tout leur domi-
?» nation, ils ne fe trompèrent pas moins dans
?» l'efprit de ce même culte : & quoiqu'ils lui
?» aient long-temps adreffé leurs voeux , elle ne
?» fut guères pour eux que la déeffe inconnue.
■ » Exclue de ces lieux qu'elle avdit femblé pré-
?» férer , pouffée jufqu'aux extrémités de notre
?» monde occidental, chaffée même du conti-
»» nent , elle s'eft réfugiée dans la mer atlan-
?» tique : c'éft-là qu'à l'abri des commotions étran-
?» gères, elle a développé la forme du gouver-
*> nement qui lui convenoit, & il lui a fallu fix
?» fiècles pour achever fon ouvrage.
. » Elle y règne fur un peuple d'autant plus digne
»» de la pofféder, qu'il cherche à étendre fon
?» empire, & porte par-tout l'égalité & l'induftrie.
»» Environnée, pour me fervir des expreflîons de
?» Chamberlayne ( 1 ) , d’un foffé profond qui eft
?» l'océan j entourée d'ouvrages extérieurs, qui
»» font fes vaifleaux, & défendue par le courage
»» -de fes matelots , elle eo'nferve ce fecret im-
»» portant au genre humain, ce feu facré qu’il
»» eft fi difficile -d’allumer , & qu’on ne retrou-
»» veroit peut-être plus, s’il s’éteignoit. Du haut
»» de cette citadelle, flottante au milieu des eaux ,
»» elle montre aux hommes Je principe qui doit
»» les unir ; & , ce qui n’eft pas moins effentiel,
>» la forme d’ affociation qui paroît offrir le plus
»» d’avantages & le moins d’inconvéniens. Lorf-
>» que le 'philofophe réfléchit aux caufes puiflantes
>» qui mènent prefque tous les peuples au defpo-
» tifme ; lorfqu’il confidère que les hommes,
>» en fe réunifiant pour leur bonheur, ne trou-
»» vent ordinairement que l’efclavage & la mifére
»» dans cette réunion , le fpeétacle de VAngleterre
lui caule du moins un inftant de plaifir ».
S e c t i o n X I I e.
Des abus du gouvernement anglois. _
Les hommes abufent de tout ; & fans m'arrêter
ici fur cette vérité,, je renvoie à l'article A b u s .
Parmi les abus que je vais indiquer, il en eft
quelques-uns qui paroiffent aux hommes, les plu?
verfés dans les matières politiques, inféparables
de la conftitution d‘Angleterre ; il y en a d'autres
qui font inhérens à la nature humaine ; & enfin ,
il y en a qu’il eft facile de réformer.
Des abus qui paroiffent inhérens a la conftitution
^'Angleterre. i° . La corruption d'une partie de la
chambre des communes fe trouve dans ce cas.
« La portion de puiffance, dit M. Hume, dont
»» la chambre des communes fe trouve revêtue ,
»» eft fi grande, que cette chambre eft maitreffe
»» abfolue de toutes les autres parties du gouver-
»» nement. Le pouvoir légiflatif du prince n'eft pas
»» une barrière fuffifante pour la contenir ; car ,
»» quoique le roi ait la négative pour la fan&ion
»» de toutes les loix, ce privilège eft en effet recon-
>» nu pour être fi peu important, que tout ce qui
»» eft arrêté par les deux chambres eft toujours fur
»» de paffer comme une loi. Le confentement du
»» roi n'eft prefqüe autre chofe qu'une pure for-
»» malité. Le principal poids de la couronne ell
>» dans le pouvoir exécutif : mais outre que le pou-
»» voir executif dans tout gouvernement eft tou-
?» jours fubordopné au pouvoir légiflatif, l'exer-
>» cice de cette puiffance demande une dépenfe
»» imnienfe, & les communes fe font attribué, a
»» elles-mêmes , le feul pouvoir de difpofer de
»»l'argent. Combien donc ne feroit - il pas facile
»» à cette chambre de dépouiller la couronne dje
»* tous fes privilèges l'un après l'autre , en rendant
( 1 ) Cun&as nationes & urbes , populüs aut prîores, aut fîngulî, régime,. Dele£fca ex lus & conftituta reippblicæ ferm*
laudari facilius quant evenirè; vel, fi evenic, haod diumrna elfe potelL
(2 ) State of great Brkaiiu