
30 A C C
» c'étoit U voie pour aller aux honneurs Bç a, la
» fortune , chofe que nous ne voyons pas parmi
» nous.
» Nous avons aujourd'hui une loi admirable ;
» c'eft celle qui veut que le prince établi pour
*> faire exécuter les loix , prépofe un officier
» dans chaque tribunal pour pourfuivre en fon
» nom tous les crimes, de forte que la fonc-
« tion des délateurs eft inconnue parmi nous i &
» fi ce vengeur public étoit foupçonpé d'abufer de
» fon miniftère , on l'obligeroit de nommer fon
» dénonciateur.
» Dans les loix de Platon ( liv- IX ) ceux qui
» négligent d'avertir les magiftrats ou de leur don-
» ner du fecours , doivent être punis : cela ne
» conviendroit point aujourd'hui.^ La partie pu-
» blique veille pour les citoyens ; elle agit & ils
» font tranquilles ». De ÏEfprit des Loix , liv. VI.
chap.
Lorfque , dans les états populaires , les accufa-
tions font publiques, & qu'il eft permis à tout
homme d'accufer qui il v eut, on ne manque guè-
res d’ établir des loix propres à défendre l innocence
des citoyens. A Athènes, l'accufateur qui
n’avoit pas pour lui la cinquième partie des fuf-
frages, payoit une amende de mille dragmes. Efchi-
nes qui avoit accufé Créfiphon, y fut condamné
( i ) . A Rom e , l'injufte accusateur étoit noté
d'infamie (2) j on lui imprimoit la lettre K fur le
front. On donnoit des gardes à l’accufateur , pour
qu'il fut hors d'état de corrompre les juges ou les
témoins (3).
Combien la liberté de former des accufations eji
nécejfaire dans une république pour y maintenir la
liberté.
Le droit d'accufer tous ceux qui font quelques
démarches contre les intérêts de l ’é ta t, produit
deux effets très-utiles dans une république : i° . les
citoyens craignant d’ être accufés, troublent moins
le repos public ; ou , s'ils ofent former quelque
trame , leurs projets font bientôt découverts &
réprimés : 20. on donne par là une ififue aux humeurs
, qui tourmentent toujours les corps politiques
dans les démocraties, & lorfque ces humeurs
n'ont pas le moyen de s'exhaler, elles jettent
ordinairement les peuples dans des troubles
des féditions qui perdent fouvent les états.
Ceux qui étudient l'hiftoire , favent tous les
maux qu'eftuya la république de Florence , parce
qu'elle n'avoit point de loi qui permît au peuple de
fatisfaire fon reftentiment, ou d'éclaircir fes foup-
çons contre les particuliers par les voies de la
juftice ; elle reconnut fur-tout le vice de fa conf-
tixution lorfque François Valo ri, qui étoit comme
le prince de la ville, effaya de fe rendre maître
A c c
du gouvernement. L'état n’ayant d'autre moyen
de le contenir que de lui oppofer une faélion plus
puiflante, Valori fentit qu'il n'avoit rien à craindre
que les voies de fait & les émotions populaires
, & il augmenta le nombre de fes partifans.
Le peuple & les magiftrats furent obligés de recourir
aux armes 5 s’il y avoit eu un réglement
établi pour ces fortes d'affaires, fon pouvoir ufur-
pé auroit pu être détruit au défavantage de lui
feul ; mais fa mort coûta la vie à plufieurs citoyens
d'urj mérite diftingué.
Le fondateur d'une république doit donc faire des
réglemens quiautorifent toutes les accufations ; mais
il eft nécelfaire aufli de punir rigoureufemént les
calomniateurs > car on voit de grands défordres
par-tout où il n'y a pas de bons réglemens fur
ce point : fi des calomnies reconnues demeurent
impunies , ceux qui en font la vi&ime fe livrent
à l'indignation, & le reffentiment les porte à des
attentats auxquels ils n’avoient pas fongé jufqu’a-
lors. Il pâroît que la république de Florence ne
fentit jamais la jufteffe de ce principe , & qu’elle
fut punie de n’avoir pas profité de l'exemple de
la république romaine. On peut voir dans les hif-
toriens quelles calomnies on répandit, en tout
temps , fur ceux d’entre les citoyens qui eurent
à Florence quelque part à l'adminiftration. D e
l’un on difoit » i l a volé l'argent du public ,* de l'autre
, U na pas remporté une telle victoire , parce
qu'il a été corrompu par les ennemis j & enfin d'un
troijiéme, i l a fait une telle ou une telle faute par
un motif d’ambition. Il en réfulta des haines & des
divifions , puis des faétions , qui produifirent enfin
la ruine de l'état. Machiavel traite cette matière
fort au long dans fes Difcours politiques fur
Tite L iv e , & nous y renvoyons les le&eurs.
De certaines accufations qui ont particuliérement
befoin de modération & de prudence.
Il faut être très-circonfoeét dans la pourfuite
de la magie & de l’héréne. L ’dccufition <îe ces
deux crimes peut extrêmement choquer la liberté
& être la fource d'une infinité de tyrannies , fi le
légiflateur ne fait la borner ; car , comme elle ne
porte pas dire&ement fur les actions d'un citoyen ,
mais plutôt fur l’idée que l’on s'eft faite de fon
caractère , elle devient dangereufe à proportion
de l'ignorance du peuple ; & pour lors un citoyen
eft toujours en danger, parce que la meilleure
conduite du monde, la morale la plus pure ,
la pratique de tous les devoirs ne font pas des
garants contre les foupçons de ces crimes.
Sous Manuel Comnene, le Proteftator fut accufé
d’avoir confpiré contre l'empereur , & de
s’être fervi pour cela de certains fecrets qui rendent
les hommes invifibles. Il eft dit , dans la vie
< 1 ) Voye\ PhilqsTrate , liv. 1. vie des Sophiftes, vie d’Efchines. Voye\ aujji PiUTARQC’E & PHoCIUS»
.( a ) Par la loi Remnicu
l j ) Plutarque, au traité, comment on pourrait recevoir de l'mlké de fes ennemi/**
A c C
de cet empereur, que l’on furprit Aaron lifantun
livre de Salomon, dont la leéture faifoit paroitre
des légions de démons. Or , en^fuppofaut-dans la
magie une puiffance qui arme 1 enfer, & en partant
de là , on regarde celui que l'on appelle un
magicien, comme 1 homme du monde le plus propre
à troubler & à renverfer la focieté » & 1011
eft porté à’le punir fans mefure.^
L'indignation c ro ît, lorfque 1 on met dans la
magie le pouvoir de détruire la religion. L hiftoire
de Conftantinople nous apprend que 3 fur une
révélation.qu’avoit eue un évêque, qu un miracle
avoit celle à caufe de la magie d'un particulier,
lui 8* fon fils furent condamnés à mort. De combien
de thofes prodigieufes ce crime ne depen-
doit-il pas ? Qu'il ne.foit pas- rare qu'il y ait des
révélations } que l'évêque en ait eu une j qu elle
fût véritable ; qu’il y eût eu un miracle j que ce
miracle eût ceffé > qu’il y eut eu de la magie j que
la magie pût renverfer la religion ; que ce particulier
fut magicien 5 qu’il eût fait enfin ce.t a été de
magie. ■
L'empereur Théodore Lafcaris attribuoit fa maladie
à la magie 5 ceux qui en étoient accufés ,
n'avoient d'autre reffource que de manier un fer
chaud fans fe brûler. Il auroit été bon , chez les
grecs, d’ être magicien pour fe juftifier de la magie.
T e l étoit l'excès de leur doétrine , qu au
crime du monde le plus incertain , ils joignoient
les preuves les plus incertaines.
Sous le règne de Philippe le long , les juifs furent
chaffés de France, accufés d'avoir empoi-
fonné les fontaines par le moyen des lépreux.
Cette abfurde accufation doit bien faire douter de
toutes celles qui . font fondées fur la haine publique.
Un troifième crime , dans la pourfuite duquel il
importe encore d'être très-circonfpeét, c eft le
crime contre nature.
A Dieu ne plaife que je veuille diminuer l'horreur
que l'on a pour un crime que la religion, la
morale &c la politique condamnent tour-à-tour !
Il faudroit le profcrire , quand il ne feroit que
donner à un fexe/les foibleiïes d'è l’ autre , & préparer
à une vieillelTe infâme , par une jeunefle
honteufe ; ce- que j’en dirai lui l'aillera toutes fes
flétriffures , & ne portera que contre la tyrannie
qui peut abulèr de l'horreur même que r on en
doit avoir. Comme lia nature de ce crime eft d'être
caché x il eft fouvent arrivé que dès légiflateurs
l'ont puni fur la dépofition d'un enfant : c’étoit
ouvrir une porte bien large à la calomnie. « Juf*
» tinien , dit Procope , publia une loi contre ce
H crime.il fit rechercher ceux qui en étoient cou-
H pables, non-feulement depuis la lo i, mais avant,
p La dépofition d'un témoin , quelquefois d'un
M enfant, quelquefois d’un,efclave fuffifoit, fur-
>» tout contre les riches, & contre ceux qui étoient
|| de la. faétion des verds ».
Il eft fingulier que, parmi nous , trois crimes ,
A C E 31
la magie , l'héréfie & le crime contre nature, dont
on pourroit prouver du premier qu’ il n’exifte pas j
du fécond, qu’il eft fufceptible d'une infinité de
diftinétions , interprétations, limitations j du troifième
, qu'il eft très-fouvent obfcur, aient été tous
trois punis de la peine du feu.
Je dirai bien que le crime contre nature ne fera
jamais dans une focieté de grands progrès , fi le
peuple ne s’y trouve porté d’ailleurs par quelques
coutumes, comme chez les grecs où les jeunes
gens faifoient tous leurs exercices nuds ; comme
chez nous où l'éducation doffieftique eft hors d’u-
fage ; comme chez les afiatiques où les particuliers
ont un grand nombre de femmes qu'ils méprirent
, tandis que les autres n'en peuvent avoir.
Que l'on ne prépare point ce crime ; qu’on le
profcrive par une police exaéte, comme toutes
les violations des moeurs , & l'on verra foudain
la nature, ou défendre fes droits, ou les reprendre.
Douce , aimable, charmante, elle a répandu
les plaifirs d’une main libérale ; & y en nous com*
blant de délices > elle nous prépare-, par des en-
fans qui nous font pour ainfi dire renaître , à des
fatisfa&ions plus grandes que ces délices mêmes.
D e l 'E s p r i t des l o ix , liv. XII > chap. y
& 6.
A C E N S E M E N T , f. m. a&ion de donner à
cens y à rente ; a&e par lequel le propriétaire d’un
fonds d'un territoire le cède à perpétuité à un ou
plufieurs particuliers, fous la redevance annuelle
de certaines rétributions en grains , en argent ,
en fervices , & c . impofée aux cenfiraires qui, en
acceptant ces conditions r reconnailTent le bailleur
de fonds pour feigneur dheâ: ou foncier de
la' terre acenfée.
Uacenfement provient de plufieurs caufes,- dont
la première & la principale fut toujours une grande
inégalité des fortunes. T ou t d’un côté1 & rien
de l’autre, étoit un partage également défavan-
tageux aux deux partis , aux grands propriétaires
terriens, & à ceux qui n'avoient aucune propriété
foncière. Les premiers ne vouloient & ne favoienc
pas cultiver la terre ; ils n'aurcrient pu d’ailleurs
mettre en rapport un terrein d'une grande étendue
, ni le forcer à produire j ils demeuroient pauvres
au milieu de leurs vaites pofleffions qui ref-
toient en friche i les féconds, fans emploi de leurs
facultés & de leurs biens mobiliers,. ne menoient
qu’une vie précaire & fentoient vivement l’aiguillon
de la néceffité ; les befoins réciproques les
rapprochèrent. Les uns cédèrent des fonds , pour
avoir fur ces fonds une portion de revenus fixes ;
les autres s’engagèrent à leur fournir cette quotité
de fruits réfervés, flattés de devenir propriétaires
à ces conditions.
On voit par là que la coutume de Vacenfement
doit dater de bien loin. Si l’on confulte Ies-anna*-
les des peuples de l’Europe , on trouve trés-fiaut
dans leur hiftoire des traces de cet ufage ; mais
on ne peut affigner l’époque de fon origine. II eft