
d'argent que fait entrer le commerce étranger.
Tant que l'Angleterre prohiba la fortie des
grains , ou n'envifagea point l'agriculture du côté
du commerce , elle fut expofée à des difettes
très-fréquentes : la fubliftance des ouvriers étant
ch è re , les falaires y furent chers dans la même
proportion. D'un autre côté > ayant peu de con-
currens dans fon travail d'induftrie, elle ne lai (Ta
pas de faire en peu d'années de très-grands profits
dans fon commerce étranger : l'argent qu'il
produifoit fe répartiflant entre les ouvriers occupes
par le travail d'induftrie 3 augmenta encore
leurs falares , en raifon de la demande des étrangers
& de la concurrence des ouvriers. Lorfque,
plus éclairée fur fes véritables intérêts , cette
nation envifagea l'agriculture comme objet de
commerce , elle fencit qu'il étoit impoflible 3 en
ramenant l'abondance des grains , de 'diminuer
fur les falaires ce que la cherté de la fubfiftance
T avoit ajouté. Pour ranimer la culture , il falloir
aufli que cette profeflion. fe reflentît comme
les autres de l’augmentation de la malfe de l'argent
: car , fans cet équilibre 3 aüfli jufte que né^i
ceflaire 3 le légiflateur perd ou des hommes 3 ou
un genre d'occupation. Ainfi l'état laifîa jouir
les tefres du haut prix des grains , que les falaires
des autres clafles du peuple pouvoient
porter.
En France au contraire la fortie des grains n'a
jamais été aufli libre , que dans le temps où l'Angleterre
fuivoit les principes contraires : les falaires
y étoient moins chers 3 & réciproquement
les frais de culture à meilleur marché.Depuis 1660
environ, les guerres fréquentes que la France a eu
à foutenir & fes nombreufes armées, ont paru
exiger que les permiflions de fortir les grains fuf-
fent reftreintes : cependant ce n'a jamais été pendant
de longs intervalles ; cette incertitude &
l'alternative de quelques chertés ont un peu entretenu
lefpérance du laboureur. Le labourage
n'a pas lame de diminuer, puifqu'une bonne récolte
ne rend aujourd'hui que la fubfiftance d'une
année & demie ; au lieu qu'autrefois elle fuffifoit
à la nourriture de plus de deux années, quoique
Je peuple ftlt plus.nombreux. Mais l'attention
continuelle que le gouvernement a toujours eu
de forcer par diverfes opérations , le pain de ref-
cer à bas prix, jointe à la bonté de nos terres ,
aux alternatives de chertés & de permiflions d’exporter
les grains, ont empêché les falaires d'augmenter
à un certain point à raifon de la fubliftance.
D'un autre c o té , nos augmentations fur
les monnôies ont beaucoup diminué la mafiè d'argent
que la balance du commerce faifoit entrer
annuellement : ainfi les • ouvriers occupés par le
travail d'induftrie, n'ont pas eu à partager en-
tr'eux annuellement une malfe d'argent proportionnée
à celle qu'ils avoient commencé à recevoir,
lors de la première époque de nôtre commerce,
ni dans la même proportion que les ouvriers de
l'Angleterre , depuis I’établifTement de fon commerce
jufqu'en 1689. D'où il s'enfuit que le prix
des grains doit être plus cher dans ce pays qu'en
France; qu'il le feroit encore davantage , li la
culture n'y avoit augmenté à la faveur de fon excellente
police & de la diminution des intérêts
de l'argent ; enfin que lorfque toutes les terres de
l'Angleterre feront en valeur, fi la balance du
commerce lui eft annuellement avantageufe , il
faudra néceffairement, non-feulement que l'intérêt
de l'argent y diminue encore, mais que le prix
des grains y remonte à la longue , fans quoi rééquilibre
fi néceflaire entre les diverfes occupations
' du peuple n'exillera plus. S'il ceffoit d'exifter ,
Y agriculture retrograderoit inferifiblement ; & fi
l'on ne confervait pas de bons mémoires du
temps, on pourroit penfer dans quelques fiècles
que c'eft la fortie des grains qui eft la caufe des
difettes.
De tout ce que nous venons de dire , on doit
conclure , en examinant la pofition & les intérêts
de la France, que la méthode employée par les
Anglois pourroit lui être très-avantageufe, mais
que la manière d'opérer doit être fort diffé-
! rente.
Elle eft obligée d'entretenir pour fa défenfe un
grand nombre de places fortes , des armées de
terre très - nombreufes, & une multitude de
matelots. Il eft néceflaire que la denrée la plus
néceflaire à la fubfiftance des hommes foit à bon
marché , ou que l'état augmente confidérablement
fes dépenfes. L'étendue de nos terres eft fi con-
fidérable, qu'une partie des ouvrages de nos manufactures
a des trajets longs & difpendieux à
faire par terre ; il eft elfentiel que la main d'oeuvre
fe foutienne parmi nous à plus bas prix qu'ail-
leurs. Le pain eft la principale nourriture de nos
artifans : aucun peuple ne confomme autant de
bleds relativement à fa population. Tant que nos
denrées de première néceflité fe maintiendront
dans cette proportion , le commerce & les manufactures
, fi on les protège, nous procureront
annuellement une balance avantageufe, qui augmentera
notre population on la conférvera j qui
donnera à un plus grand nombre d'hommes
les moyens de confommer abondamment les
denrées de deuxième, troifième & quatrième né-
eeflité que produit la terre., & qui enfin, par
l'augmentation des falaires, augmentera la valeur
du bled même.
(j D'un autre côté , il eft jufte & indifpenfable
d'établir l'équilibre entre les diverfes clafles & les
diverfes occupations du peuple. Les grains fonjt
la plus forte partie du produit des terres comme
la plus néceflaire : ainfi la culture des grains doit
procurer au cultivateur un bénéfice capable de le
maintenir dans fa profeflion , & de le dédommager
de fes fatigues.
Ce qui paroît le plus avantageux , eft
donc d'entretenir continuellement le prix des
grains, autour de ce point jufte auquel le cultivateur
eft encouragé par fon gain, tandis que
l’artifan n'eft point forcé d'augmenter fon falaire
pour fe nourrir ou fe procurer une meilleure fubfiftance.
Ce ne peut jamais être l'effet d'une gef-
tion particulière, toujours dangereufe & fufpeCte :
mais la police générale -de l'état peut y con-»
duire. .
Le premier moyen eft , fans contredit, d établir
une communication libre au - dedans entre
toutes les provinces. Elle eft eflentielle à la fubfiftance
facile d'une partie des fujets, Nos provinces
éprouvent' entr'elles de fi grandes différences
par rapport à la nature du fol & à la variété de
la température, que quelques-unes ne recueillent
pas en grains la moitié de leur fubfiftance dans
fes meilleures années. Elles font telles, ces différences
, qu'il eft phyfiquement impoflible que
la récolte foit réputée abondante dans toutes à la
fois. Il femble que la providence ait voulu , par
ce partage heureux, nous préferver des difettes,
en même-tems qu'elle multiplioit les commodités.
C’eft donc aller contre l’ordre de la nature, que de
fufpendre ainfi la circulation intérieure des grains.
Ce font les citoyens d'un même état, ce font les
«nfans d'un même père qui fe tendent mutuellement
une main fecourable ; s'il leur eft défendu
de s'aider entr'eux, les uns feront forcés d'acheter
cher des fecours étrangers , tandis que leurs
frères vivront dans une abondance onéreufe.
Parmi tous les maux dont cet état de prohibition
entre les fujets eft la fource, ne nous arrêtons
que fur un feul. Je parle du tort qu'il fait
à la balance générale du commerce , qui intereffe
la totalité des terres & des manufactures du
royaume. Car lorfque les communications font
faciles, le montant de cette balance fe repartit
entre chaque canton, chaque ville , chaque habitant
: c'eft à quoi on ne réfléchit pas aflez.
L'inégalité des faifons & des récoltes ne produit
pas auffi fouvent l'inégalité des revenus,
que le fait celle de la balance. Dans le premier
cas, le prix fupplée aflez ordinairement à la
quantité ; & , pour le dire en paflant, cette remarque
feule nous indique qu'un moyen aflùré de
diminuer la culture des terres , le nombre des
beftiaux & la population, c'eft d'entretenir par
une police forcée les grains à très-bas prix j car
le laboureur n'aura pas plutôt apperçu qu'en fe-
mant moins il peut fe procurer le même revenu qu'il
cherchera à diminuer fes frais & fes fatigues ,
d'où réfultera toujours de plus en plus la rareté
de la denrée*
Dans le fécond cas, le cultivateur ne trouve plus
le prix ordinaire de fes grains, de fa laine , de
fes troupeaux , de fes vins ; le propriétaire eft
t)ayé difficilement de fa rente , & cette rente
baifferoit fi la balance étoit défavantâgeufe pendant
un petit nombre d'années feulement. L'ouvrier
travaille moins , ou eftfor-cépax le befoin
de diminuer fon falaire raifonnable , parce que la
quantité de la fubftance qui avoit coutume de vivifier
le-corps politique eft diminuée. Tel eft cependant
le premier effet de l'interdiCtion dans
une province. C'eft un to-efîn qui répand l’alarme
dans les provinces voifines ; les grains fe reffer-
rent ; la frayeur , en groffiffant les dangers, multiplie
les importations étrangères & les pertes de
l'état.
Avant de fe réfoudre à une pareille démarche,
il ne fuffit pas de connoître exactement les be-
foins & les reffources d'une province j ilfaudroit
être inftruit de l'état de toutes les autres dont
celle-ci peut devenir l'entrepôt. Sans cette recherche
préliminaire, l'opération n'eft appuyée
fur aucun principe : le hafard feul en rend les effets
plus ou moins funeftes.
Je conviens cependant que , dans la pofition
aCtuelle des chofes, il eft naturel que les per-
fonnes chargées de conduire les provinces s'efforcent
, dans le cas d'un malheur général ,
d'y fouftraire la portion du peuple qui leur
eft confiée. J'ajoute encore que les recherches
que j'ai fuppofées .effentiellement nécefiaires, &
qui le font, exigent un temps quelquefois précieux
; que le fruit en eft incertain, à moins qu'il
n'y ait un centre commun où toutes les notions
particulières fe réunifient, & ou l'on puiffe les
confulter j que le prix des grains n'eft pas actuellement
une règle fure , foit parce que nos cultivateurs
pour la plupart ne font pas en état de les
garder, foit parce qu'il eft aflez ordinaire , dans
les mauvaifes récoltes, que les grains aient befoin
d'être promptement confommés. Enfin j'avouerai
qu'en voyant le mieux, il eft impoflible
de le fâke : c'eft une juftice que l'on doit au zèle
& à la vigilance des magiftrats qui préfident à nos
provinces.
Il s'agit donc d'appliquer un remède convenable
à ces inconvéniens forcés ; & comme tous les membres
d’un état font en fociété, le remède doit être
général : il eft trouvé. Un citoyen généreux dont la
fagacité s'exerçoît avec autant de fuccès que de
courage & de dépenfe fur les. arts utiles à fa patrie
, nous a propofé l'unique expédient capable de
perfectionner notre police fur les grains, en même-
temps qu'il en a facilité l'exécution par fes découvertes.
On fent que je parle de M. Duhamel du
Monceau, & de ion excellent traité de la confer-
vation des grains.
La multiplicité des magafins de bled particuliers
eft: la première opération néceflaire pour entretenir
l'abondance dans le royaume, maintenir le prix
dans un cercle à-peu-près égal, & procurer en
tout temps un bénéfice honnête au laboureur.
Un axiome de commerce pratique, connu de tout
le monde , c'eft que la-denrée eft à bas prix s'il y
a plus d'offreurs que de demandeurs. Si le grain eft
à bas prix, le recouvrement des revenus publics
& particuliers languit 5 le travail- eft .fufpendu :
L z